A l’exception de Ali & Ava qui sortira la semaine prochaine dans les salles luxembourgeoises, le dernier week-end du 12e Luxembourg City Film Festival fut marqué par deux documentaires et un palmarès inattendu.
La folie du monde capitaliste
Prix du meilleur documentaire à Tribeca et nommé à l’Oscar dans la même catégorie, Ascension de la Sino-Américaine Jessica Kingdon peint un portrait cauchemardesque d’une Chine consumériste et disneyisée. Plantant sa caméra dans les usines où les ouvriers en bas de l’échelle sociétale fabriquent à la chaîne et par millions des gadgets dont nul n’a besoin mais que tout le monde s’arrache, elle monte peu à peu dans la hiérarchie sociale pour nous amener au final dans les villas des nouveaux milliardaires qui découvrent l’utilisation de la sonnette pour appeler les domestiques.

Le nouveau capitalisme génère ainsi de nouveaux métiers que les Chinois doivent apprendre : gardes du corps, majordomes, hôtesses… ou fabricantes de poupées sexuelles, l’un des rares produits qui semblent encore être réalisés à la main et sur mesure. C’est l’une des séquences les plus extraordinaires. On voit l’amour du travail bien fait des ouvrières mais on découvre aussi la toxicité des produits utilisés qui leur ravagent la peau et dans ces grands halls très clairs et aseptisés, on mesure, effarés, la misogynie crasse qui s’y étale sous sa forme la plus lugubre : certaines de ces poupées sont fabriquées d’après un modèle vivant dont la photo est fournie par le client!
Mais Ascension n’est pas un film sur la Chine. C’est un film sur la folie d’un monde capitaliste où seul compte l’apparence et où l’idée de l’ascension sociale à la portée de tous finit par creuser les inégalités tout en détruisant la planète. Dans la lignée de documentaires tels que Unser täglich Brot (Nikolaus Geyrhalter, 2006), la réalisatrice filme souvent en plans séquences, toujours sans commentaire, laissant les situations se développer et le spectateur en tirer ses conclusions. C’est fascinant, parfois drôle et presque toujours effrayant.
Outside the Box
Ascension aurait donc fait un très beau prix dans la catégorie « documentaires ». Mais de façon assez incompréhensible, le jury lui a préféré l’insignifiant What Will Summer Bring de l’Argentin Ignacio Ceroi, une variation sur le documentaire à base de « found footage ». Passant quelques mois en France où il visitait sa petite amie venue étudier, Ignacio Ceroi a acheté une caméra d’occasion qui contenait encore les films du propriétaire précédant, un certain Charles Louvet. Celui-ci, un brave homme qui aime ses chiens et sa femme et a été pendant quelque temps chauffeur à l’ambassade française au Cameroun, accepte de lui raconter par bribes son histoire. Peut-être n’est-elle pas tout à fait vraie, peut-être Ceroi l’interprète-t-il mal. Les images amateurs – loin d’être « authentiques » comme on le prétend souvent – trimbalent toujours leur part d’incertitudes, d’ellipses et de mystère sur lesquels de nombreux artistes ont déjà rêvé. L’imagination d’Ignacio Ceroi n’est malheureusement pas très fertile. Lisant d’une voix monocorde les textes que lui a envoyés Charles Louvet, il colle des images dessus mais même avec un détour en Afrique, le résultat ne tient pas la route, n’a rien à dire et ne nous fait rien découvrir. Ce n’est pas que les images de Monsieur Louvet sont mauvaises, c’est qu’Ignacio Ceroi semble plus obnubilé par sa propre histoire (il digère mal le fait que sa copine reste en France alors que lui doit retourner en Argentine) que par les images qu’il a sous la main et dont il ne tire que quelques considérations pseudo-philosophiques plutôt banales.

What Will Summer Bring faisait partie des films dit « hybrides » (entre fiction et documentaire) ou « présentant des écritures nouvelles » rassemblés sous le nouveau label « Outside the Box » inauguré cette année par le Festival. Le mélange entre fiction et documentaire est de plus en plus fréquent et aboutit souvent à des résultats intéressants. Attirer l’attention sur ces œuvres n’est donc pas une mauvaise idée. Quant aux films présentant des écritures nouvelles, cela signifie le plus souvent qu’il s’agit d’œuvres très lentes et très peu narratives. Pas le genre qui fera venir plus de spectateurs dans un festival qui semble déjà peiner à attirer les foules. A la fin de cette 12e édition, les organisateurs annonçaient quelque 10.000 spectateurs, moins de la moitié du chiffre réalisé certaines années précédentes. Bien sûr, il y a le Covid et sans doute moins d’élèves dans les séances scolaires, qui sont d’habitude parmi les premiers à profiter de l’événement. De façon générale, les rangs étaient pourtant plutôt clairsemés dans la plupart des séances. Alors le Covid a bon dos, mais dans un pays qui n’a pas une grande culture cinématographique et peu de cinéphiles purs et durs, on se demande pourquoi les organisateurs s’entêtent à vouloir tirer le festival vers un cinéma cérébral et conceptuel ?

Atlantide, qui a remporté le Grand Prix, faisait également partie du label « Outside the Box ». Son réalisateur Yuri Ancarani est un artiste vidéo dont les films sont montrés autant dans les expositions que dans les festivals. Atlantide (d’ailleurs une coproduction russe, ce dont ne semble pas s’être rendus compte les responsables, sinon ils l’auraient peut-être retiré de la compétition) mérite le label, le réalisateur suivant langoureusement de jeunes désoeuvrés habitant près de Venise et qui remplissent l’abyssal vide de leur vie (même les filles ne semblent les intéresser que moyennement), sous le soleil tapant de l’Italie, avec la passion des « barchini », des petits bateaux à moteur avec lesquels ils se font la course.
Le film est constitué de très beaux plans de la lagune de Venise, d’une séquence à la fois mélancolique et ironique autour d’un bateau de croisière, de longs trajets en bateau dans la lagune ou dans les canaux de Venise mais la caméra du cinéaste semble surtout se plaire à revenir encore et encore sur les torses nus, bronzés et musclés des jeunes gens parmi lesquels elle s’attache particulièrement à Daniele dont le barchino est trop lent pour rattraper les autres.
Il faut donc être patient mais on est récompensé à la fin. Après un duel viril en bateau, le film se mue soudain en une sorte de virée psychédélique et hypnotique qui n’est pas sans rappeler la fin de 2001, A Space Odyssey. Venise toute entière chavire et, davantage que son reflet, nous découvrons un spectre ressemblant curieusement à un décor de science-fiction, énorme vaisseau à la fois spatial et nautique qui nous entraîne de la nuit à la lumière.
Mentir pour survivre
Depuis le succès de Valse avec Bashir (Ari Folman, 2008), le documentaire en images animées est devenu un genre à part entière. Le Danois Jonas Poher Rasmussen lui offre un nouveau chef-d’œuvre avec Flee. Il s’y met en scène lui-même interrogeant son ami Amin, un Afghan ayant fui son pays de longues années auparavant. C’est d’abord pour conserver l’anonymat d’Amin que Rasmussen a choisi cette forme mais elle lui permet aussi de reconstituer le périple infernal d’Amin, passé par la Russie, manquant de mourir lors de sa première tentative d’entrer en Europe et y réussissant enfin au prix de tout un pan de son identité qu’il devra abandonner. Car pour être sûr de ne pas se voir renvoyer en Afghanistan où il aurait risqué la mort, Amin doit se faire passer pour un mineur sans accompagnement et prétendre que toute sa famille est morte. Et ce mensonge lui gâche la vie puisqu’il doit mentir à tout le monde, y compris à ses amis et ses amants.

Ce que le film fait très bien comprendre, c’est que l’identité d’Amin ne s’épuise pas dans le fait d’avoir été un réfugié. Il est académicien, il est l’ami de Jonas, il est le fils de ses parents, il est homosexuel. Et il cherche à réconcilier toutes ces différentes identités dans l’homme qu’il est devenu. Réalisé à partir d’enregistrements sonores avec le vrai Amin, le film mélange des pratiques d’animation différentes pour aboutir à un résultat à la fois sobre et poignant qui lui a valu non pas une mais trois nominations aux Oscars, pour le meilleur documentaire, le meilleur film d’animation et le meilleur film étranger. Nous y reviendrons quand il sortira au Luxembourg.

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