Cannes – Jour 2: Rester ou partir

Dans Le Otto montagne du couple belge Felix Van Groeningen (Alabama Monroe, 2012) et Charlotte Vandermeersch, on nous raconte une devinette népalaise : qui aura le plus appris, celui qui fait le tour des huit montagnes constituant le monde ou celui qui gravit le sommet du mont Meru considéré comme son axe central ? Celui qui part ou celui qui reste ?

Le otto montagne (c) Pyramide Productions

Dans ce film, celui qui reste est Bruno, né dans un minuscule village du Val d’Aoste, au milieu de paysages magnifiques dans lesquels aucun touriste ne semble jamais s’aventurer mais où des gamins de 10 ans peuvent encore gambader en toute liberté. Ici, les paysans sont frustes et taiseux, les hivers rudes et les possibilités de gagner sa vie rares. Pour le petit Pietro venu de la triste ville de Turin, l’été à Grana ressemble au paradis terrestre, aussi et surtout parce qu’il y retrouve Bruno avec lequel le lie bientôt une amitié profonde (il faut dire qu’ils sont les deux seuls mômes dans le village). Les deux garçons se perdent de vue à l’adolescence mais se retrouvent vers 30 ans, après le décès du père de Pietro, et décident de construire ensemble la maison dont celui-ci rêvait.

❝C’est à se demander si la présence de cette production en compétition ne fait pas partie du greenwashing d’un festival qui mobilise la patrouille de France pour dessiner dans le ciel des drapeaux bleu-blanc-rouge.❞

Le otto montagne (c) Pyramide Productions

Adapté d’un livre à succès de Paolo Cognetti, le film surfe sur l’envie d’espace et de nature qu’a révélée le confinement et qu’il met en scène avec l’esthétique d’une pub touristique de luxe. Grâce à la fraîcheur des jeunes acteurs qui interprètent Pietro (Lupo Barbiero) et Bruno (Cristiano Sassella) enfants, le début fonctionne malgré tout assez bien. Les choses se gâtent quand la maison est construite et qu’il ne reste plus grand-chose à faire… mais encore au moins une heure de film à remplir. On va donc suivre les interminables allers et retours de Bruno (Alessandro Borghi) et Pietro (Luca Martinelli) entre la maison et le bourg, la maison et la fromagerie de Bruno, le Val d’Aoste et le Népal où Pietro part se ressourcer dans des épisodes très Tintin au Tibet. Bruno et Pietro se disent et redisent leur amitié réciproque puis se disputent et se retrouvent en énonçant par douzaines des lieux communs sur la nature, la vie et le temps qui passe. Le jeu assez inexpressif des acteurs (ou ce qu’on devine d’eux derrière leurs barbes d’hommes des montagnes) n’aide pas. C’est à se demander si la présence de cette production en compétition ne fait pas partie du greenwashing d’un festival qui autorise dorénavant les spectateurs à amener leurs gourdes au Palais mais achemine ses stars par hélicoptère depuis l’aéroport de Nice et mobilise la patrouille de France pour dessiner dans le ciel des drapeaux bleu-blanc-rouge quand est projeté Top Gun : Maverick.

Le privilège blanc

Armageddon Time (c) Focus Features

Partir ou rester, c’est aussi la question qui se pose au petit Paul Graff, alias James Gray. Le cinéaste revient dans Armageddon Time (en compétition) sur son enfance dans le Queens au début des années 1980. Dans l’école publique de son quartier, Paul (Michael Banks Repeta), garçon espiègle et rebelle, se lie d’amitié avec Johnny (Jaylin Webb), un gamin noir plus âgé qui risque de l’entraîner sur une mauvaise pente. Bien que progressistes, ses parents décident alors de le mettre dans une école privée et Paul devra choisir entre rester dans sa famille ou s’enfuir en Floride avec Johnny, un rêve de gosse qui tournera mal… surtout pour Johnny.

Armageddon Time (c) Anne Joyce / Focus Features

Tout en mettant en scène une famille juive comme on en a vue des dizaines au cinéma (on danse, on crie et les fêtes de famille se terminent généralement mal), le film se concentre essentiellement sur des thématiques sociales. Bien que ses parents ne soient pas tout à fait aussi riches qu’il l’imagine, Paul est conscient de faire partie d’une classe privilégiée, celle qui peut se permettre d’assurer à ses rejetons un bon départ dans la vie en les envoyant dans des écoles prestigieuses (celle de Paul est également fréquentée par la famille Trump). Le grand-père (Anthony Hopkins) est là pour rappeler que cela n’a pas toujours été le cas, qu’à cause de leur nom (Graff en est la version américanisée) et de leur origine, ils ont eu autrefois à subir les injustices dont souffre toujours la population afro-américaine. Et tout en faisant promettre à Paul qu’il sera un « mensch » (un « honnête homme ») et se battra pour ses convictions, il lui apprend aussi que la société est injuste et que, parfois, on ne peut rien y faire. Un message contradictoire avec lequel le gamin, tout pétri de l’idéalisme de la jeunesse, devra se débrouiller. Tout cela sur l’arrière-fond de l’élection de Reagan dont James Gray nous rappelle avec à-propos qu’il brandissait la menace nucléaire bien avant Poutine.  

Revenant après ses virées historique (The Lost City of Z, 2016) et spatiale (Ad Astra, 2019) à un terrain plus familier et modeste, celui de son enfance passée entre Brooklyn et le Queens, James Gray n’innove guère mais réussit un beau film sur les tourments et les questionnements de l’enfance, la prévalence du « privilège blanc » et l’apprentissage cruel des compromis.

Le voyage d’EO

EO (c) Alia Films

EO confirme que notre relation au monde animal occupe de plus en plus les cinéastes et qu’ils trouvent des façons originales de traiter le thème.❞

Le protagoniste du film EO (traduction française : Hi-han) est plus inattendu. Eo est un âne que nous rencontrons la première fois dans un cirque dont des activistes bien intentionnés vont cependant le libérer très rapidement pour l’envoyer dans un long périple au cours duquel il fera des rencontres, pas toutes réjouissantes. Non, EO n’est pas un film pour enfants mais une sorte de remake moderne, le mysticisme en moins, de Au hasard Balthazar, célèbre chef-d’oeuvre de Robert Bresson (1966) qui montrait un âne en observateur et victime expiatoire des péchés humains.

EO (c) Alia Films

A 84 ans, le réalisateur Jerzy Skolimowski (Deep End, 1970) peut tout se permettre et il ne s’en prive pas. EO apparaît par moments comme un hymne aux bêtes traquées et maltraitées par les humains, par méchanceté, bêtise ou indifférence. L’âne encaisse stoïquement et subit sans broncher. Le cinéaste ne nous encourage pas vraiment à projeter sur lui des émotions humaines mais s’efforce plutôt de nous faire voir et entendre le monde par ses yeux et ses oreilles. La bande son est un mélange entre un bruitage ultra-agressif (machines, cris, aboiements, etc.) et une musique aux airs de symphonie composée par Pawel Mykietyn. Au niveau de l’image, on passe de quelques séquences plutôt réalistes à des virées presque psychédéliques qui sont peut-être les rêves – ou les cauchemars – de l’âne. Tout ne fait pas sens, à commencer par une étrange séquence avec Isabelle Huppert (dont l’âne est d’ailleurs absent), mais après les documentaires Gunda (Viktor Kossakovski, 2020) et Cow (Andrea Arnold, 2021), EO confirme que notre relation au monde animal occupe de plus en plus les cinéastes et qu’ils trouvent des façons originales de traiter le thème.

Après le printemps arabe

Harka (c) Wrong Men North

Ce jeudi a aussi été présentée la première coproduction luxembourgeoise dans la section officielle « Un certain regard ». Harka, coproduit par Tarantula Luxembourg, suit le jeune Ali qui essaie tant bien que mal de survivre dans la Tunisie actuelle en vendant de l’essence en contrebande. Bien qu’il doive céder une part de son argent aux policiers corrompus, il économise ce qu’il peut pour partir en Europe. Lorsque son père meurt, son rêve s’effondre : il est obligé de s’occuper de ses deux jeunes sœurs et de payer les dettes du père. Le réalisateur Lotfy Nathan est Américain (aux origines égyptiennes) et cela se reflète dans sa mise en scène à la fois efficace et élégante, soutenue par une symbolique visuelle maîtrisée, la belle interprétation d’Adam Bessa et une excellente BO d’Eli Keszler qui emmène le film à la façon d’un thriller (avec quelques relents de western). Malgré un scénario trop prévisible, Harka s’avère une oeuvre forte et puissante.

Harka (c) Wrong Men North

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