Dans un festival globalement peu satisfaisant jusqu’à présent, la coproduction luxembourgeoise Corsage (Samsa Film), présentée dans la section parallèle „Un certain regard“, se démarque alors que la compétition peine à convaincre.
Plutôt que de la kitschissime Sissi incarnée il y a près de 70 ans par Romy Schneider, la réalisatrice autrichienne Marie Kreutzer (Die Vaterlosen, 2011) s’inspire pour son film Corsage d’oeuvres qui excellent à déconstruire les destins royaux : Marie-Antoinette (Sofia Coppola, 2006) ou les nombreux portraits de la princesse Diana (dernier en date : Spencer de Pablo Larrain, 2021), mais aussi la réinterprétation de l’impératrice Elisabeth d’Autriche par Romy Schneider elle-même, dans Ludwig ou Le crépuscule des dieux, tourné en 1972 par Luchino Visconti et auquel Corsage fait directement référence.

Cette fois, c’est Vicky Krieps qui prête ses traits et son corps à Elisabeth, au moment où celle-ci fête ses quarante ans, la durée de vie moyenne des femmes du peuple à l’époque, comme le lui rappelle son médecin. Un corps scruté et épié, mesuré et pesé tous les matins, malmené par ses domestiques encouragées à tirer sur les lacets du corset pour affiner sa taille, pour qu’elle n’ait pas l’air d’avoir grossi de quelques grammes. La seule mission de l’impératrice à la Cour austro-hongroise est de la représenter, rôle qu’elle rechigne de plus en plus à jouer aux côtés d’un François-Joseph agacé mais surtout soucieux de sauver les apparences.
❝Vicky Krieps trouve dans ce portrait complexe, intrigant, ce qui restera sans doute comme l’un de ses plus beaux rôles.❞
Le corset empêche Elisabeth de respirer mais quand elle s’évanouit, c’est de son plein gré et pour échapper à ces male gazes portés sur elle sans relâche. Le film oppose constamment aux cérémonies et dîners officiels la sphère privée (toute relative puisqu’il y a toujours, quelque part, un domestique prêt à tendre l’oreille) dans laquelle Elisabeth est soit confrontée à un homme (l’empereur, son cousin et complice Ludwig ou un possible amant), soit entourée de femmes (domestiques et dames d’honneur) avec lesquelles elle entretient une relation tendue, entre sororité et rivalité. Quelques séquences la montrent avec ses enfants Rodolphe (qui se suicidera plus tard à Mayerling) et Valeria, tous deux rongés par l’anxiété de voir leur mère se comporter de façon « non convenable ».
Aimée parce qu’elle est belle, obligée d’être belle pour être aimée, Elisabeth s’enfonce dans ce qu’on n’appelait alors pas encore une dépression. Sans cesse, elle balance entre la discipline et la rigidité de la Cour impériale et un laisser-aller très moderne que la réalisatrice Marie Kreutzer souligne par des anachronismes éparpillés à travers l’ensemble du film, histoire de dire que les choses n’ont pas tellement changé. Cannes en est le meilleur exemple où les femmes sont obligées de se « faire belles » pour être admises sur le tapis rouge. Dans une jolie scène (également anachronique), Elisabeth s’en moque par avance en batifolant joyeusement devant la caméra de l’un des inventeurs du cinématographe.
Soutenu par un travail remarquable et original sur les décors (Martin Reiter) et les costumes (Monika Buttinger), le film avance par petites touches, parfois un brin répétitives, scénettes éparpillées sur l’année des 40 ans d’Elisabeth dont l’apparent désordre semble épouser les sautes d’humeur de l’impératrice. Marie Kreutzer ne peint pas une image uniquement avantageuse de sa protagoniste. Elisabeth confond ses domestiques (ce qui lui donnera, plus tard, l’idée de se faire remplacer aux occasions officielles par l’une de ses dames d’honneur qui lui ressemble) et malmène parfois son entourage mais peut, le moment suivant, faire preuve d’une grande tendresse à l’égard des mêmes personnes. Elle ne veut pas être aimée pour sa beauté, mais ne cesse de demander si on la trouve belle. Excellent dans l’infinie nuance des sentiments qui traversent son personnage, Vicky Krieps trouve dans ce portrait complexe, intrigant, ce qui restera sans doute comme l’un de ses plus beaux rôles.
Même si on peut reprocher à Corsage une longueur excessive, il arrive aisément à la cheville de certains films vus jusqu’à présent en Compétition. Le sélectionner pour celle-ci aurait permis d’ajouter une réalisatrice (et un film sur la place des femmes dans la société) dans une compétition masculine à plus de 77%!
Un espion chez les imams

L’un des films dont on aurait sans doute pu se passer dans cette compétition est la contribution Boy from Heaven de Tarik Saleh, né de père égyptien et de mère suédoise et connu pour son film The Nile Hilton Incident (2017), qui thématisait déjà la corruption en Egypte et a été interdit dans ce pays. La corruption est une nouvelle fois au centre d’une intrigue alambiquée dans laquelle un étudiant à la prestigieuse université sunnite al-Azhar au Caire se révèle soudainement, et de façon assez peu crédible, plus rusé que les imams et les services secrets qui prétendent le manipuler. Le scénario rappelle certains films d’espionnage qui perdent aussi bien leurs protagonistes que leur public dans des imbroglios de plus en plus compliquées. Le spectateur (du moins occidental) est du coup vite largué, même si la charge contre les services secrets égyptiens semble ne pas être menée de main morte, grâce entre autres à l’interprétation tendance „inspecteur Colombo“ de Fares Fares en enquêteur pas très vertueux mais en fin de compte sympathique.
Desplechin, encore et toujours
Encensé comme d’habitude par la critique parisienne, accueilli généralement de façon plus réservée par le reste du monde, Arnaud Desplechin revient dans Frère et soeur, également en compétition, sur l’histoire d’une famille – de sa famille – qu’il ne cesse d’ausculter depuis ses débuts. Mais on a l’impression qu’il n’a désormais plus grand-chose à ajouter à la saga des Vuillard (le nom portée dans plusieurs films par sa famille fictive). Son chef-d’oeuvre sur le sujet restera Rois et reine (2004), suivi de Un conte de Noël (2008) dont il reprend ici, entre beaucoup d’autres récits et intrigues secondaires, la haine entre un frère et une soeur interprétés dans ce nouveau film par Marion Cotillard et Melvil Poupaud. Les parents qui meurent, le mélodrame, les conventions du théâtre, la cruauté des liens familiaux et les montagnes russes des émotions, tout est ici une nouvelle fois passé à la moulinette, mais sans vraiment nous toucher. Melvil Poupaud endosse le rôle du fils ingrat qui incombait d’habitude à Mathieu Amalric dont Poupaud n’a ni le grain de folie ni la noirceur. Quand il grimpe sur un toit, on ne croit pas une seconde qu’il va sauter (sa soeur non plus d’ailleurs) alors qu’interprété par Amalric, le même personnage maintenait autour de lui une tension permanente qui fait défaut ici.

Au début du week-end, le bilan du festival 2022 reste ainsi globalement assez médiocre. Désormais, tous les espoirs se portent sur David Cronenberg qui sera en lice lundi.
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