(Viviane Thill) Après un excellent cru et la Palme d’Or (pour Titane) en 2021, la sélection des films français en compétition à Cannes s’avère cette année décevante et tristement nombriliste. Alors que le film suédois Triangle of Sadness tire à boulets rouges sur tous ces égocentrismes, Ali Abbasi nous montre l’envers de la société iranienne.
Après Arnaud Desplechin qui nous narre sa vie de famille dans Frère et sœur, voici Valeria Bruni Tedeschi racontant dans Les Amandiers sa formation en tant que comédienne dans les années 1980 au Théâtre des Amandiers dirigé par Patrice Chéreau. S’inspirer de sa vie pour faire des films n’est pas une tare en soi, Desplechin l’avait fort bien réussi dans le passé (avec notamment Rois et reine ou Les contes de Noël) et dans la compétition 2022, James Gray le réussit avec élégance et intelligence dans sa contribution Armageddon Time. Les Amandiers est en revanche un film sur lequel ne souffle aucun esprit, et surtout pas celui du théâtre, aucune passion et certainement pas celle de Patrice Chéreau.

Tourné dans l’esthétique 16mm pour faire davantage, à la fois, « vintage » et « cinéma-vérité », Les Amandiers suit la promotion 1986 de l’école rattachée au théâtre du même nom à Nanterre. Promotion dont faisait justement partie Valeria Bruni Tedeschi que l’on reconnaît dans la pauvre petite fille riche (Nadia Tereszkiewicz) abandonnée aux bons soins d’un majordome par des parents inexistants. Dans le film, elle s’appelle Stella, juste pour le plaisir d’entendre son amant crier « Stella, Stella », comme Marlon Brando dans A Streetcar Named Desire.
❝Aussi bien dans le scénario que dans la mise en scène et l’ambition, on est loin de l’intransigeance et de l’intensité des films de Chéreau.❞
On suit cette promotion, des premières auditons et sélections, en passant par un stage à l’Actors’ Studio à New York (toujours sur les traces de Brando), jusqu’à la première pièce jouée devant le public. Deux trames régissent le film : le théâtre et le métier de comédien.ne d’une part, et de l’autre une histoire d’amour de la future réalisatrice avec un jeune acteur prématurément mort d’une overdose, qu’elle évoque longuement mais de façon tellement stéréotypée qu’on ne s’y intéresse jamais vraiment. Sur le théâtre et son fonctionnement, on n’apprend pas grand-chose, mais on nous montre quelques exercices de l’Actors’ Studio et Patrice Chéreau engueulant les jeunes comédien.nes. On nous dit que Chéreau était colérique et nerveux mais Louis Garrel, avec son éternelle distance ironique qui ne sied pas à ce rôle, le joue de façon plutôt molle. Aussi bien dans le scénario que dans la mise en scène et l’ambition, on est loin de l’intransigeance et de l’intensité des films de Chéreau (L’homme blessé, 1983, La reine Margot, 1994). L’élément le plus intéressant chez Bruni Tedeschi est finalement la description de l’impact du SIDA sur la vie et la sexualité des jeunes dans les années 1980.

Peu aidés par un scénario qui penche vers la soap, les jeunes acteurs, à commencer par Nadia Tereszkiewicz, Clara Bretheau (Adèle) et Sarah Henochsberg (Laurence) donnent tout ce qu’ils/elles peuvent et on espère revoir plusieurs d’entre eux et elles dans le futur. La présence – même dans un petit rôle – de Suzanne Lindon (fille de Vincent Lindon, et par ailleurs excellente comédienne) dans un film faisant partie d’une compétition dont le jury est présidé par son père, est pour le moins discutable et peut-être symptomatique de l’entre-soi parisien qui explique sans doute aussi la sélection du film.
Pour un avenir plus désirable
Pendant ce temps, Cyril Dion et Marion Cotillard (Demain, 2015) annoncent sur la Croisette la création de leur société de production Newtopia dont l’objectif est de produire des films permettant d’imaginer « un futur désirable, écologiquement soutenable et socialement juste ». On devrait bientôt découvrir une mini-série sur la pionnière de l’écoféminisme Françoise d’Eaubonne ou encore le premier long métrage de fiction de Cyril Dion, une adaptation du roman Le grand vertige de Pierre Ducrozet (2020). A voir le nombrilisme à l’œuvre dans les films français en compétition à Cannes, et son désintérêt total pour les innombrables défis (climat, biodiversité, famines, guerres) qui nous attendent, ils ont du pain sur la planche !
Couronné par la Palme d’Or en 2017 pour The Square, le Suédois Ruben Östlund délaisse dans Triangle of Sadness le milieu de l’art pour s’intéresser aux influenceurs et aux milliardaires dans une satire grossière et beaucoup trop longue (2h30), également présentée en compétition. Il tire à boulets rouges, avec des grenades et… de la merde sur l’argent, la mode, le sexe et plus généralement le (néo)capitalisme. Mais si le début est plutôt drôle (deux mannequins se disputent pour savoir qui va payer l’addition dans le restaurant étoilé où ils viennent de dîner), la suite, située sur un luxueux yacht, rappelle vaguement La grande bouffe de Marco Ferreri qui scandalisa le festival de Cannes en 1972. Aujourd’hui, on ne choque toutefois plus personne en montrant des gens bien mis qui se mettent à vomir leur caviar, surtout quand cela n’en finit pas. La troisième partie réunit les survivants du naufrage qui s’en est suivi, sur une île apparemment déserte où les premiers vont devenir les derniers et constater que l’argent n’achète pas tout (mais procure quand même bien des avantages). C’est la partie la plus décevante car la plus fainéante du film, Östlund ne s’étant visiblement pas creusé la tête pour en tirer quoi que ce soit de pertinent ni même de drôle.

Féminicides
Très remarqué en 2018 pour son étrange film Gräns/Border (Prix Un Certain regard), l’Irano-Danois Ali Abbasi est cette année en compétition avec un polar sur un serial-killer iranien, intitulé Holy Spider, plus classique sur le fond et la forme. Inspiré d’une histoire réelle ayant eu lieu dans la ville de Mashhad au début des années 2000, le film a dû être tourné en Jordanie afin de raconter l’envers du décor de la société iranienne. Tous les tabous liés au cinéma de ce pays sont ici transgressés d’emblée : nudité, sexe, drogue, crime.
❝L’ultra-conservatisme religieux et la profonde misogynie qui va avec […], la corruption, les traumatismes de la guerre Iran-Iraq, le culte des martyrs, tout contribue à l’indifférence que provoque les meurtres de ces femmes.❞
On y suit la journaliste Rahimi (Zar Amir Ebrahimi) en train d’enquêter sur l’assassin qui étrangle tranquillement, nuit après nuit, des prostituées à Mashhad, ville sainte iranienne qui héberge la plus grande mosquée du monde. L’ultra-conservatisme religieux et la profonde misogynie qui va avec (Rahimi manque de se faire violer par un policier), la corruption, les traumatismes de la guerre Iran-Iraq, le culte des martyrs, tout contribue à l’indifférence que provoque les meurtres de ces femmes. C’est Rahimi (personnage fictif) qui, en se mettant elle-même en danger, va forcer les autorités à agir. Le film ne s’arrête toutefois pas à l’arrestation de l’assassin. Le procès et ce qui s’ensuit, la ferveur populaire qui prend la défense de l’assassin et les décisions des autorités politiques et religieuses, sont malheureusement déroulés à la va-vite alors que cela aurait dû être la partie la plus intéressante du film. Au moins, Holy Spider prend-il la peine de nous dire quelque chose du monde tel qu’il (ne) va (pas).
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