Cannes – Jour 8: 40 pièces d’or et un tweet de Trump

On a vécu – enfin – une bonne surprise du festival. Connu pour son thriller La loi de Téhéran (2019) sur le trafic de drogue en Iran, Saeed Roustayi débarque en compétition cannoise avec un film très différent.

Les frères de Leila (c) Amirhossein Shojaei

Leila et ses frères est le portrait tragicomique d’une famille nombreuse : une sœur – la Leila du titre interprétée par Taraneh Allidousti – et quatre frères adultes mais toujours incapables de subvenir à leurs besoins, sont tous entassés dans une minuscule maison avec leur mère acariâtre (Nayereh Farahani) et le père opiomane (Saeed Poursamimi), aussi pathétique qu’avare et tyrannique. Ce pater familias ne désire qu’une chose : être enfin reconnu par sa famille élargie qui l’a méprisé toute sa vie. Or, cette reconnaissance a un prix qui se chiffre en pièces d’or. Quarante précisément, avec lesquelles ses enfants pourraient acheter un commerce mais dont le père tient à faire don à un cousin à l’occasion d’un mariage. En contrepartie, il deviendra le parrain du clan.

❝Roustayi n’accable pas pour autant ses personnages, tous au final représentatifs d’une petite bourgeoisie iranienne qui s’est appauvrie sous le poids des sanctions économiques et les aléas de la politique mondiale.❞

Au centre de la famille se trouve donc Leila, célibataire parce que personne n’a voulu d’une épouse sans dot mais la seule à rapporter un vrai salaire et surtout la plus déterminée à se sortir de la mouise dans laquelle on l’oblige à vivre. Sauf qu’on ne l’écoute guère puisqu’elle est une femme et qu’elle remet en question les traditions familiales, respect du patriarche compris. Même très ouverts d’esprit, ses frères, l’ouvrier au chômage Alireza (Navid Mohammdzadeh), le magouilleur Manouchehr (Payman Maadi), le bodybuildeur Farhad (Mohammad Alimohammadi) et Parviz, père d’une ribambelle de fillettes (Farhad Aslani), pensent mieux savoir qu’elle ce qui peut profiter à la famille. Bien évidemment, ils ont tort !

Les frères de Leila (c) Amirhossein Shojaei

Roustayi n’accable pas pour autant ses personnages, tous au final représentatifs d’une petite bourgeoisie iranienne qui s’est appauvrie sous le poids des sanctions économiques et les aléas de la politique mondiale. La valeur des quarante pièces d’or fond ainsi comme neige au soleil après un tweet hargneux de Trump ! Alireza est au chômage parce que l’usine où il travaillait à dû fermer, faute de matière première, et ne l’a plus payé depuis des mois. Les magouilles de Manouchehr sont considérées comme business as usual dans une société dans laquelle la corruption est à l’ordre du jour jusque dans les toilettes d’un grand magasin ! Quand Leila se rebelle contre l’obsession – pas seulement paternelle – de sauver les apparences envers et contre tout, elle se fait le porte-parole d’une génération désireuse de vivre enfin une autre vie.

Les frères de Leila (c) Amirhossein Shojaei

Avec des références aussi bien chez Le Roi Lear de Shakespeare que Le Parrain de Coppola (notamment une grandiose scène de mariage au milieu du film), Les frères de Leila est à ranger dans la lignée d’un Ashgar Farhadi (dont on retrouve plusieurs des acteurs habituels). Sa durée apparemment excessive de 2h49 (qui passent très vite) le rapproche de fait d’une mini-série dont on regarderait les épisodes d’une traite. Elle permet aux spectateurs et spectatrices de s’installer au sein de la fratrie et de comprendre les dynamiques qui la sous-tendent. Des dialogues mitraillés à la vitesse grand V, un bel équilibre entre le drame et la comédie, une mise en scène parfaitement rythmée et de merveilleux acteurs font de ce film plutôt radical une des rares belles surprises du 75e Festival de Cannes.

Paradis artificiels

A chaque festival de Cannes, il faut son petit lot de films qui penchent vers un cinéma plus expérimental, ou du moins qui refusent les habituels codes narratifs jugés trop vulgairement commerciaux. Cette année, c’est le Catalan Albert Serra qui s’y colle dans la compétition avec Pacifiction ou, selon le titre français, Tourments sur les îles. De fait, le décor est celui de la Polynésie française où un certain De Roller, Haut-Commissaire de la République française (Benoît Magimel, qui ressemble de plus en plus à Gérard Depardieu, est excellent !), est confronté à une population locale mécontente, de louches étrangers qui sont peut-être des espions, des gars de la Marine très beaux et musclés, et une écrivaine arrivée là pour se reposer. Surtout, une rumeur persistante annonce une reprise en secret des essais nucléaires français au-dessus des îles.

Pacifiction DR

Pacifiction est ce qui resterait d’un film colonial si l’on en enlevait tout le décorum habituel pour n’en garder que les signes : un décor exotique, un représentant de l’Etat en costume blanc, des indigènes, une femme fatale (ici Shannah, une Mahu (homme élevée pour être une femme) interprétée par Pahoa Mahagafanau), des espions, des palmes, de l’alcool, une certaine langueur mêlée à une atmosphère de paranoïa généralisée. Il se dégage de l’ensemble une fascination certaine qui s’évapore néanmoins dans le dernier acte de ce très long film (163 minutes) quand on comprend que Serra nous fait surtout tourner en rond, comme son personnage.

Stars at Noon DR

Effet ou non du hasard, Stars at Noon de Claire Denis (compétition), se sert dans le même réservoir d’histoires et de fantasmes. Adapté d’un roman de Denis Johnson, inspiré de sa propre expérience au Nicaragua et au Costa Rica dans les années 1980, le film suit une jeune femme, prénommée Trish et interprétée par Margaret Qualley (pas vraiment crédible dans le rôle), mi-journaliste, mi-prostituée, échouée là on ne sait comment et qui va s’éprendre d’un mystérieux mais très fade Anglais (Joe Alwyn) tandis que les espions semblent pulluler autour d’eux. C’est moite, c’est trouble, mais le spectateur ne sait jamais pourquoi les personnages sont là, qui ils sont, ce qu’ils veulent ou ce qu’ils craignent. Plus problématique est l’obsession de Claire Denis à mettre à nu sa protagoniste en donnant au male gaze des spectateurs largement de quoi se délecter. Ces scènes paraissent d’autant plus inutiles qu’aucune chimie ne passe entre les deux acteurs et qu’on ne croit tout simplement pas à leur relation… ou peut-être qu’on s’en fiche, largués depuis longtemps par une histoire qui n’a jamais même pris la peine de nous embarquer.

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