Cannes – Jour 9: Showing up et showing off

(Viviane Thill) Le 75e Festival de Cannes s’est terminé sur une note mi-figue mi-raisin avec la grosse déception du Kore-eda, une oeuvre toute en retenue de Kelly Reichardt, une dernière déception de la sélection française et un joli film sur deux gamins qui s’aimaient d’amour tendre.

Du cinéaste japonais Hirokazu Kore-eda, on garde en tête des films fulgurants : la cruauté déchirante de Nobody Knows (2004, sur des enfants abandonnés à eux-mêmes après la disparition de leur mère) ou le subtile Shoplifters, qui lui avait valu une Palme d’Or méritée en 2018. Certes, il a déjà tourné des films plus oubliables mais qui tombaient dans la catégorie des expériences ratées. Broker n’est pas raté, il connaîtra même sans doute un beau succès commercial, mais cette histoire de bébé volé, d’orphelins en quête d’amour et de voleurs et prostituée au grand cœur, n’est qu’une accumulation de bons sentiments ponctués de mélodies sirupeuses au piano. Si on y ajoute un scénario inutilement embrouillé et quelques remarques lancées, comme en passant, sur l’avortement considéré comme assassinat d’enfants, on peine à y reconnaître le cinéaste tant aimé. Surtout, on ne comprend pas pourquoi ce film-là a été retenu pour la compétition.

Une artiste à Portland

Showing Up de Kelly Reichardt ne raconte rien d’autre que la nervosité d’une artiste en train de préparer une exposition alors qu’elle doit en même temps se préoccuper de sa famille éclatée et d’un pigeon blessé. L’élément le plus expressionniste du film réside dans les figurines en céramique (toutes féminines et toutes en mouvement) que crée Lizzie, femme solitaire, modeste, mal dans sa peau, interprétée par Michelle Williams.

On est à mille lieues ici des excentricités de l’art contemporain ridiculisé par exemple dans The Square de Ruben Östland (Palme d’Or en 2017). Chez Kelly Reichardt, l’action se situe à Portland, ville d’élection de la cinéaste, et les artistes mis en scène sont des créateurs locaux dont on imagine que la renommée ne dépasse guère leur ville ou l’Oregon. La flagornerie, la rivalité et la jalousie existent aussi dans ce monde-là, mais de façon plus souterraine, cachée, presque honteuse dans le cas de Lizzie, qui semble envier sa voisine et propriétaire Jo (Hong Chau), nettement plus sûre d’elle et aussi plus sociable. C’est par ailleurs Jo qui sauve le pigeon blessé par le chat de Lizzie et que celle-ci avait simplement rejeté dans le jardin, pressée de s’en débarrasser. Maintenant, elle se retrouve coincée avec un oiseau souffrant de stress post-traumatique qu’elle doit amener chez une vétérinaire quelque peu perplexe.

Showing Up (c) Allyson Riggs/Courtesy of A24

❝Lizzie fabrique ses sculptures comme on imagine que la cinéaste élabore ses films, en remettant vingt fois sur le métier son ouvrage.❞

Les films sur des artistes constituent un genre à part entière, que Kelly Reichardt reprend ici à sa manière, comme elle a revisité auparavant le road movie (Old Joy, 2006; Wendy and Lucy, 2008) ou le western (Meek’s Cutoff, 2010; First Cow, 2019). Loin de « l’inspiration » et du « génie » qu’on voit d’habitude au cinéma prendre possession des créateurs qui semblent alors produire des chefs d’œuvres presque malgré eux, Lizzie fabrique ses sculptures comme on imagine que la cinéaste élabore ses films, en remettant vingt fois sur le métier son ouvrage. « Polissez-le sans cesse et repolissez[-le] ; ajoutez quelquefois, et souvent effacez. », disait Boileau. C’est cela que fait Lizzie et c’est bien moins spectaculaire qu’un peintre jetant sa vie sur la toile blanche ou un écrivain tapant un chef-d’œuvre en une nuit. Lizzie passe bien une nuit blanche sur ses céramiques mais, cela, on ne le voit pas, et le lendemain, elle est juste épuisée.

On peut se demander si Kelly Reichardt a vraiment sa place dans une compétition cannoise où c’est plutôt le showing off qui est de rigueur, et où la Palme d’Or arbore le logo de l’entreprise de grand luxe Chopard (118 grammes d’or jaune 18 carats certifié éthique „Fairmined“ nous apprend-on). Elle n’en a sans doute cure, construisant tranquillement son oeuvre, film après film chez elle, dans l’Oregon, et tant mieux si Showing Up (ce qui signifie aussi „rendre visible“) a pu, un court instant, arrêter la frénésie de la dernière ligne droite à Cannes.

Comme des immigrés en France

Un petit frère DR

Le showing off se trouvait plutôt dans l’autre contribution de ce dernier jour de festival. Avec Un petit frère, la Française Léonor Serraille se prend pour Balzac et raconte l’arrivée d’une Ivoirienne en France, sa vie et ses amours, avant d’évoquer, dans un deuxième et troisième chapitre, le parcours de ses deux fils Jean et Ernest, dont l’un échouera et retournera en Afrique tandis que l’autre s’intègre dans la société française sans pour autant trouver le bonheur.

Le personnage le plus crédible est celui de la mère Rose, interprétée par Annabelle Lengronne, alors que les deux fils sont réduits à des archétypes suivant une voie trop prévisible. Pour caser un quart de siècle, ainsi que des réflexions sur l’immigration, l’identité, le temps qui passe et le sens de la vie en un peu plus de deux heures de film, la réalisatrice essaie de procéder par petites touches, sortes de vignettes évoquant des moments épars qui n’arrivent jamais à faire un grand ensemble.

Amour, amitié

Close (c) Kris Dewitte_Menuet

Récompensé en 2018 par la Caméra d’Or (attribuée au meilleur premier film à Cannes, toutes section confondues) pour Girl sur une jeune fille trans, qui veut à la fois changer son corps et devenir danseuse étoile, le Belge Lukas Dhont s’est vu sélectionné en compétition avec son deuxième long métrage Close. Le film suit Léo et Rémi, deux jeunes garçons qui s’aiment d’amour tendre. Cette amitié, Dhont la filme, au début, dans des images d’une grande douceur. Personne autour d’eux ne se demande si elle évoluera un jour vers autre chose. A treize ans, c’est encore le moment de tous les possibles, même si Léo semble déjà troublé, certaines nuits, couché auprès de Rémi.

À leur entrée au lycée, on leur demande s’ils sont « en couple », quelques remarques homophobes fusent, discrètes mais qui résonnent aux oreilles de Léo. Soudain, il devient conscient de la façon dont sa proximité avec Rémi est considérée par les autres. Gêné, il commence à prendre ses distances. Rémi ne comprend pas ce qui se passe. Il devient triste et un jour, il manque à l’école…

❝… il est si rare de voir présenté de cette façon à l’écran une amitié masculine fusionnelle, que là se trouvait peut-être le vrai sujet du film.❞

Close (c) Kris Dewitte_Menuet

Resté seul, Léo doit vivre avec l’absence et la culpabilité. La plus grande partie du film est consacrée à son incapacité à dire les mots qui lui brûlent les lèvres. Ne pas dire ce qu’on ressent, qui on est : entre „Close“ et „Closet“ (le placard dans lequel sont métaphoriquement enfermés les homosexuels qui cachent leur orientation sexuelle), il n’y a qu’une lettre. Et alors que Léo vit pourtant dans un pays et un milieu apparemment très ouverts, l’homophobie sous-jacente n’est jamais loin et les codes de la virilité sont toujours en vigueur. Léo commence à jouer du hockey sur glace et s’enferme littéralement dans l’armure qui va avec ce sport, jusqu’au jour où il se casse un bras et la voit se fissurer.

Ce genre de symboles devient quelque peu pesant dans le film qui ne rechigne pas non plus à miser sur une mise en scène assez esthétisante : les parents de Léo cultivent et vendent des fleurs, ce qui fournit d’autres métaphores et de jolies images. Mais la description de l’amitié entre les deux garçons, merveilleusement interprétés par Eden Dambrine (Léo) et Gustav De Waele (Rémi), est racontée avec une délicatesse telle qu’on aurait voulu la suivre plus longtemps, au lieu de sombrer directement dans le drame et la souffrance. Car, comme le souligne le réalisateur lui-même dans ses interviews, il est si rare de voir présenté de cette façon à l’écran une amitié masculine fusionnelle, que là se trouvait peut-être le vrai sujet du film.

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