Présidé par Vincent Lindon, le jury du 75e Festival de Cannes, rassemblait les actrices-réalisatrices Rebecca Hall et Jasmine Trinca , les comédiennes Deepika Padukone et Noomi Rapace, ainsi que les réalisateurs Asghar Farhadi, Ladj Li, Jeff Nichols et Joachim Trier. Ayant la difficile mission de déterminer les meilleurs parmi 21 films en compétition, ils ont choisi de ratisser large.
Avant de commencer, un mot sur les coproductions luxembourgeoises présentes sur la Croisette. Il y en avait six, toutes sections confondues, ce qui – sauve erreur – constitue un record. Et le jeu en valait la chandelle puisqu’au final, le Luxembourg repart avec trois prix reçus dans la section officielle « Un certain regard ». Vicky Krieps a été couronnée meilleure actrice pour son rôle de l’impératrice Elisabeth d’Autriche dans Corsage (Samsa Film) tandis que l’acteur français Adam Bessa a reçu le prix du meilleur acteur pour Harka (Tarantula). Corsage s’est également vu attribuer le Prix de la meilleure création sonore qui récompense entre autres les Luxembourgeois Carlo Thoss, Alain Goniva et Angelo dos Santos.

Avouons tout d’abord que le jury de ce 75e Festival de Cannes n’avait pas la tâche facile. Pratiquement aucun film n’a convaincu une majorité de festivaliers, et cet accueil mitigé vaut pour la manifestation elle-même, que les uns ont trouvé excellente alors que d’autres (dont je suis) estiment qu’elle fut au mieux très moyenne.
❝Le jury présidé par Vincent Lindon n’a en tout cas pas eu le courage de prendre parti. Il avait sept prix à distribuer, il en a remis dix.❞
Le jury présidé par Vincent Lindon n’a en tout cas pas eu le courage de prendre parti. Il avait sept prix à distribuer, il en a remis dix pour un total de 21 films en compétition, histoire sans doute de faire le plus d’heureux possibles. Du moins a-t-il pris note de la faiblesse générale de la sélection française, en écartant Les Amandiers et Frère et sœur – que la plupart des journalistes français avaient pourtant cru devoir encenser – de même que le bien intentionné mais très imparfait deuxième long métrage de Léonor Serraille Un petit frère. De façon inattendue, il a en revanche offert un Grand Prix (la deuxième place sur le podium) à Stars at Noon de Claire Denis, dans lequel on voit déambuler sans fin Margaret Qualley, excellente quand elle tentait de séduire Brad Pitt dans Once Upon a Time… in Hollywood et curieusement terne dans ce pseudo-film d’espionnage situé dans un pays qu’on imagine être le Nicaragua. C’était pourtant l’un des rares films ayant réussi à faire une certaine unanimité… contre lui !

Si la France a failli, la Belgique jubile. Elle avait trois films en compétition, ils ont tous les trois été récompensés. Le jeune réalisateur Lukas Dhont, qui avait reçu en 2018 la Caméra d’Or pour Girl, est reparti avec un Grand Prix du Jury ex aequo attribué à Close, l’histoire d’une tendre amitié entre deux gamins de 13 ans, qui tourne à la tragédie quand le regard hétéronormatif de l’entourage se porte sur leur relation. Bien qu’un peu trop esthétisant – ou peut-être à cause de cela – Close comptait parmi les favoris pour la Palme. Pour les frères Dardenne, qui ont déjà reçu à peu près tous les prix possibles et imaginables à Cannes (deux fois la Palme d’Or, un prix du scénario, un Grand Prix, un prix d’interprétation, un prix de la mise en scène), le jury a spécialement créé le prix du 75e anniversaire qui a donc été attribué à Tori et Lokita, plutôt moins convaincant que leurs œuvres précédentes. Plus inexcusable est la remise d’un Prix du Jury à Le otto montagne de Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen, qui raconte lui aussi l’amitié fusionnelle entre deux pré-adolescents qui vont se perdre de vue et se retrouver à trente ans. Après un joli début, ce sont près de deux heures et demie de lieux communs sur l’amitié et le temps qui passe, enrobés dans une esthétique publicitaire.

Les Coréens peuvent également être satisfaits. Le Sud-Coréen Song Kang-ho, comédien souvent vu chez Park Chan-wook et Bong Joon-ho (pour lequel il a notamment joué dans Parasite, Palme d’Or 2019), a été sacré pour son interprétation, sympathique sans plus, dans le décevant Broker du cinéaste japonais Hirokazu Kore-eda. On s’était plutôt attendu à trouver à cette place Pierfrancesco Favino qui joue dans Nostalgia un Napolitain revenant dans sa ville natale après quarante ans d’absence, ou Benoît Magimel, extraordinaire dans Pacifiction d’Albert Serra ! Le prix de la mise en scène est allé à Park Chan-wook pour son élégant thriller Decision to Leave. C’est une récompense méritée puisque le film fonctionne essentiellement sur l’atmosphère troublante et mélancolique qu’il parvient à y créer.
❝A 84 ans, Skolimowski a été le seul cinéaste à innover aussi bien dans la forme (en se lançant dans des expériences visuelles inédites) que sur le fond puisque le film traite de notre relation au monde animal.❞
Mais on aurait tout aussi bien pu récompenser pour la mise en scène Leila et ses frères de l’Iranien Saeed Roustayi, l’un des grands oubliés du palmarès. Taraneh Allidousti, l’interprète de la Leila du titre, aurait également fait une excellente meilleure comédienne, récompense qui est allée, à la surprise générale, à sa compatriote Zar Amir Ebrahimi dans le film Holy Spider. Faut-il y voir une décision politique, Zar Amir Ebrahimi – autrefois très populaire en Iran – ayant été obligée de s’exiler après un scandale sexuel ? C’est également le cas de Tarik Saleh, né en Suède d’un père égyptien, qui a peur d’être arrêté en Egypte depuis la sortie (et la censure dans ce pays) de son film The Nile Hilton Incident qui thématisait la corruption policière. Boy From Heaven, récompensé par le prix du scénario, ne va arranger les choses puisqu’il y décrit les tensions, dans une célèbre université islamique, entre différents groupes religieux et l’État.
Le film le plus original du festival fut sans conteste EO, qui a valu un Prix du Jury ex aequo au vétéran Jerzy Skolimowski. Cette odyssée d’un âne, confronté à la bêtise et à la méchanceté humaine, contient des moments fulgurants et d’autres ratés, mais à 84 ans, Skolimowski a été le seul cinéaste à innover aussi bien dans la forme (en se lançant dans des expériences visuelles inédites) que sur le fond puisque le film traite de notre relation au monde animal.

Outre Leila et ses frères, l’autre film manquant à l’appel, dans ce palmarès qui ratisse pourtant large, est R.M.N. du Roumain Cristian Mungiu qui raconte, entre autres, la relation ambivalente que son pays entretient avec l’Union européenne et l’Europe de l’ouest en particulier. Ce n’est peut-être pas le meilleur film de Mungiu, mais il est plus passionnant que la plupart de ceux retenus au palmarès et aurait pu prétendre au prix suprême. Les jurés lui ont préféré les (très) gros sabots chaussés par Ruben Östlund dans Triangle of Sadness qui les aurait – à en croire Vincent Lindon – « extrêmement choqué ». Choqué par quoi ? Le cynisme d’un film dans lequel tout le monde est affreux, bête et méchant (sans le génie d’Ettore Scola qui situait sa comédie dans un quartier pauvre, ce qui est autrement plus casse-gueule que de tirer à boulets rouges sur les très riches de ce monde) ? Par les hectolitres de merde et de vomi qui y sont répandus ? Par la grossièreté de l’analyse politique (Marx contre Reagan) ? On peut éventuellement considérer ce film comme un très long défouloir (150 minutes !), drôle parfois et barbant sur de longs passages, mais si, comme l’avait annoncé Vincent Lindon, on attend d’une Palme d’Or un film qu’on désire avant, qui vous émeut pendant et qui fait réfléchir après l’avoir vu, c’est raté !
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