„La nuit du 12“ de Dominik Moll

Juste une femme

Présenté dans la section Cannes Première au dernier Festival de Cannes, La nuit du 12 n’est pas juste un polar. Il revisite le genre pour mettre à nu les relents machistes qui le sous-tendent.

(c) Fanny de Gouville

La nuit du 12, des policiers à Grenoble fêtent un départ à la retraite. Petit détail : on ne voit quasiment que des hommes rassemblés dans le petit bureau de Yohan (Bastien Bouillon) qui va passer chef. Sa première enquête commence quelques heures plus tard. La même nuit, une jeune femme (Lula Cotton-Frapier) se trouvait elle aussi à une fête, à quelques kilomètres de là, dans un village au-dessus de Grenoble. Sur le chemin du retour, alors qu’elle traverse à pied les rues désertes de la petite agglomération, elle est abordée par un homme cagoulé qui l’asperge d’essence et met le feu.

Les policiers d’un côté, une victime féminine de l’autre. Ce pourrait être le début de n’importe quel polar dans lequel la découverte du corps – souvent nu et souvent mutilé – d’une jeune femme lance l’enquête. Les Anglophones appellent cela le « dead girl trope » : des filles mortes qui servent de point de départ à ce qui va suivre. Elles sont parfois prostituées et d’autres fois de jeunes filles sans histoire mais dont on apprend souvent a posteriori qu’elles menaient une double vie, à l’instar de Laura Palmer, la plus célèbre d’entre elles (Twin Peaks, Mark Frost/David Lynch, 1990-1991). La quasi incontournable scène à la morgue permet de montrer une nouvelle fois le corps dénudé et autopsié de la défunte. C’est le male gaze dans sa version extrême et la plus malsaine : un homme (l’assassin, le flic ou le médecin légiste) regarde une femme morte, érotisée par la caméra.

(c) Haut et court

La nuit du 12 n’est pas vraiment un polar comme les autres. Le corps à moitié calciné de Clara Royer n’est ni nu ni érotisé et l’autopsie nous est épargnée. Et dès le début du film, on nous prévient : le meurtre de Clara (inspiré d’un cas réel) fait partie des 20% d’homicides qui ne sont jamais élucidés en France. Le réalisateur Dominik Moll dit avoir ajouté l’avertissement après que les premiers spectateurs s’étaient montrés déçus par la fin. D’autant que là n’est pas ce qui l’intéresse. Le plus terrifiant dans son film est que tous les hommes qu’a fréquentés Clara font de parfaits suspects ! L’un rigole nerveusement en apprenant sa mort, un autre supplie qu’on n’évoque pas sa relation avec Clara devant sa copine officielle, un troisième, rappeur à ses heures perdues, lui avait dédié une chanson dans laquelle il parlait de la « cramer » ! Ces sont juste des mots. Et c’était juste une femme.

„Il y a quelque chose qui cloche entre les hommes et les femmes“

« C’est juste une femme à saloper / Juste une femme à dévaluer / J’pense pas qu’on doive / S’en inquiéter / C’est pas un drame / C’est juste une femme » chantait Anne Sylvestre (Juste une femme, 2016). Et certains flics ne sont pas en reste qui traduisent immédiatement « une fille pas compliquée » par « une fille facile ». Ce qui, en français n’est pas pareil. Et semble sous-entendre que, quelque part, elle l’avait cherché ! Mais Nanie (Pauline Serieys), la meilleure amie de Clara, remet les pendules à l’heure : Clara n’a pas été tuée parce qu’elle aurait été une fille facile. Elle a été tuée parce qu’elle était une femme!

(c) Haut et court

La nuit du 12 est un film sur les féminicides. Rappelons que la définition du féminicide est « le meurtre d’une femme ou d’une jeune fille, en raison de son appartenance au sexe féminin » (Larousse). On parle souvent à ce sujet des meurtres commis par les compagnons ou ex-compagnons des victimes. Aux violences conjugales, le cinéma continue de préférer les tueurs mystérieux, tapis dans le noir (dans le cas présent, les deux ne sont pas forcément irréconciliables). Il n’empêche : la plupart des meurtres commis au cinéma sur des personnages féminins sont bel et bien des féminicides, mais ils sont rarement traités en tant que tel, les réalisateurs préférant fantasmer sur les victimes ou s’intéresser à leurs protagonistes masculins.

(c) Haut et court

Sans révolutionner le genre, Dominik Moll, surtout connu pour Harry, un ami qui vous veut du bien (2000), déjà coécrit avec le scénariste Gilles Marchand, a pondu un étrange polar, centré sur la masculinité toxique et traversé par quelques fantômes. Certains des plus beaux personnages sont féminins : Nanie, mais aussi la juge d’instruction (Anouk Grinberg) ou la femme-flic Nadia (Mouna Soualem), qui rejoint la petite équipe dans le dernier tiers du film. On est très loin des enquêtes viriles, avec coups de feu, coups de poing et poursuites en voiture. Ici, on parle de photocopieuses en panne et de manque de budget, et on s’arrête sur la difficulté qu’a un policier à annoncer la mort de sa fille à une mère. Le rythme du film est inhabituellement languissant, jusque dans la diction de Bastien Bouillon. Au lieu de la ligne droite, privilégiée dans le genre, son personnage se défoule en tournant en rond sans fin dans un vélodrome. « Comme un hamster dans sa cage » dit le policier Marceau (Bouli Lanners) dans un dialogue qui, il est vrai, manque parfois de subtilité, à l’instar des visages des suspects qui se superposent sur celui de Johan durant ses insomnies.

Dominik Moll est meilleur dans la description réaliste du quotidien des policiers que dans un registre plus suggestif tel que le pratique par exemple Park Chan-wook dans Decision to Leave. Mais il nous fait remettre en question, dans un film mélancolique, magnifiquement photographié par Patrick Ghiringhelli, les codes visuels et narratifs d’un genre populaire au cinéma et à la télévision!

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