Blood, sex and sun
Encensée dans les rares publications qui s’intéressent à la fiction télévisée, la mini-série Les papillons noirs, écrite et réalisée par Bruno Merle et Olivier Abbou, séduit en premier lieu par une mise en scène sophistiquée, un scénario très noir et – chose plutôt rare sur arte – beaucoup de sexe et de sang.

Le titre, ils l’ont chipé à Serge Gainsbourg qui avait écrit en 1967 Les papillons noirs pour Michèle Arnaud. Ces sombres bestioles représentent un mal de vivre venu on ne sait d’où, qui accable Adrien Winckler (Nicolas Devauchelle) et l’empêche d’écrire. Il a pourtant tout pour être heureux, comme on dit : une compagne gentille et intelligente (Alice Belaïdi), et le succès d’un premier roman. Il n’arrive pas à écrire son deuxième qu’il a intitulé Astral désastre ! Comme pseudonyme, il s’est donné Mody. Mody est-il un écrivain maudit ? Le diabète de type Mody est une forme rare et héréditaire de cette maladie, et Adrien, on l’apprendra bientôt, est diabétique.
Un coup de téléphone l’amène chez le vieil Albert, un homme solitaire, un peu bougon, auquel Niels Arestrup confère une imposante présence. Avant de mourir, Albert veut raconter sa vie à Adrien, pour qu’il en fasse un roman. Ce sera l’histoire d’amour entre un petit bâtard abandonné de tous et la fille née d’un Boche et d’une prostituée qu’on a rasée à la Libération. Arrivé là, le spectateur a déjà compris que les enfants ne seront pas épargnés dans la série. Avant même le générique, on a vu un petit garçon assis, tétanisé, dans un décor ultra-seventies, devant un bol renversé de céréales de toutes les couleurs. Le gamin, son pull, le mouvement de la caméra dans un étroit couloir, tout rappelle le Shining de Kubrick (1980). Et puis, cet écrivain qui cale devant sa feuille blanche…

Le film bifurque bientôt vers d’autres genres et d’autres récits – le giallo italien avec ses noces gore d’Eros et Thanatos, et puis la folle virée sanglante de couples meurtriers façon Bonnie and Clyde (Arthur Penn, 1967), Gun Crazy (Joseph H. Lewis, 1950) ou Natural Born Killers (Oliver Stone, 1994) – alors que le thème de l’écrivain qui s’emmêle de plus en plus les pinceaux entre la fiction et la réalité reste à l’avant-plan. Mais ici, ce n’est pas, comme chez Kubrick, la fiction qui pénètre la réalité ; c’est, au contraire, la « vraie vie » qui s’immisce de plus en plus dans le roman d’Adrien.
❝Mieux vaut ne pas en dire trop de ce récit alambiqué et souvent jouissif, qui fonctionne sur plusieurs niveaux temporels [et] s’interroge sur la filiation et la transmission.❞
Comme Shéhérazade dans Les Mille et une nuits, Albert va raconter jour après jour, pour repousser la mort qui l’attend. Dans la tête d’Adrien et sur sa page blanche, les mots d’Albert se transforment en images aux couleurs saturées des années 1970. Il imagine Albert jeune (Axel Granberger), et sa femme Solange (Alyzée Costes) en rousse sensuelle, s’aimant, sous le soleil exactement.

A Lille, Adrien retrouve Nora, mais aussi sa mère Catherine (Brigitte Catillon) qui se fait un peu trop de soucis pour lui. Parallèlement, on suit le parcours d’un étrange couple de policiers, Mathilde (Marie Dernarnaud) et Carrel (Sami Bouajila). Carrel a dans son garage l’un de ces murs sur lesquels les flics suivent au cinéma le parcours des serial killers.
Dans La nuit du 12, Dominik Moll thématisait les féminicides dans le genre du polar. Ici, chose rare, des hommes sont tués parce qu’ils sont des hommes. Mais mieux vaut ne pas en dire trop de ce récit alambiqué et souvent jouissif, qui fonctionne sur plusieurs niveaux temporels (dont certains qu’on ne réalise qu’a posteriori), s’interroge sur la filiation et la transmission, et se démarque du tout-venant de la fiction télévisée par une mise en scène sophistiquée jouant tout autant sur le clash des genres et des atmosphères, que des effets de lumières, des flous, des reflets et de toute une floppée de références musicales, visuelles et narratives.

Quand Niels Arestrup disparaît du récit, les choses se gâtent malheureusement. Quelques révélations qu’on sentait venir et le traditionnel revirement final paraissent très peu convaincants par rapport à l’originalité dont le récit a fait preuve par ailleurs. Et fallait-il vraiment, dans cette histoire jusque-là joliment subversive, réintroduire in extremis le stéréotype de la femme fatale, manipulatrice, et à moitié folle, que seule la maternité remettra (un peu) dans le droit chemin ? Si au moins, les auteurs avaient laissé cette interprétation dans le flou, au lieu de l’entériner par le faux suspens d’un rapt d’enfant ! Ces réserves mises à part, Les papillons noires restent une belle surprise, à découvrir sur arte.tv jusqu’au 12 octobre 2022.
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