L’envers du décor

(c) Magnolia Pictures

Les Russes avaient leurs villages Potemkine [i], les Américains avaient les Riotsville. Constitués de décors de cinéma en carton-pâte, ces derniers n’étaient toutefois pas construits pour simuler un monde idyllique mais, bien au contraire, pour entraîner les forces de l’ordre aux situations de crises réelles ou fantasmées. Présenté en compétition documentaire, Riotsville U.S.A. revient sur un épisode oublié qui a des répercussions jusqu’à aujourd’hui. 

Les „Riotsville“ furent érigés sur des bases militaires à la suite de plusieurs émeutes, dont celle de Watts qui fit une trentaine de morts et plus de mille blessés en 1965 à Los Angeles. Dans ces localités factices, l’armée et la police testaient leurs méthodes d’intervention selon plusieurs scénarios envisagés par leurs tacticiens : snipers, révoltes raciales ou alliance entre militants anti-guerre (du Vietnam) et Afro-Américains.

Cet épisode quelque peu oublié de l’histoire américaine mais dont on ressent les conséquences jusqu’à aujourd’hui, notamment en matière de militarisation des forces de police et leur hostilité envers la population afro-américaine, est le sujet d’un documentaire de Sierra Pettengil, intitulé Riotsville, U.S.A., réalisé uniquement avec des images d’archives, une voix off (écrite par l’écrivain Tobi Haslett) et des textes explicatifs qui replacent les événements dans leur contexte historique. Plus étonnant encore que l’existence de ces villages d’entraînement est ainsi le chapitre sur la commission Kerner, instaurée par le président Lyndon B. Johnson après ce qu’on aussi appelé le « long, hot summer of 1967 », au cours duquel plus de 150 émeutes raciales éclatèrent à travers les Etats-Unis. Cette commission arriva à la conclusion que ces mouvements n’étaient pas dus à l’intervention d’agitateurs « externes » comme le prétendait le gouvernement, mais à la frustration de la population noire face à la pauvreté, la ghettoïsation et le racisme. Pour y répondre, la Commission préconisait de mettre en œuvre un grand programme d’aide et de restructuration profitant aux Afro-Américains. La réponse du gouvernement fut l’augmentation des moyens attribués à la police.

(c) Magnolia Pictures

A peut-être une ou deux exceptions près, la seule violence visible à l’image est celle des films tournés dans un des Riotsville, reflétant l’idée qu’elle est venue en premier lieu des forces de l’ordre et non des manifestants. A un autre moment, la réalisatrice fait suivre une publicité pour un insecticide (commercialisé par Gulf, principal sponsor d’une station de télévision privée) par des images de gaz lacrymogène pulvérisé par camions entiers sur les habitants d’un quartier noir. Riotsville, U.S.A. est un film engagé. Il dénonce la façon dont les émissions et les actualités de l’époque tordaient la réalité pour neutraliser la parole des Afro-Américains et diffuser un sentiment d’insécurité et de paranoïa dans la population blanche. La télévision publique, qui accueillait alors sur ses plateaux quelques activistes afro-américains, fut arrêtée en 1969 quand un sponsor privé lui retira ses fonds.

Les longs extraits des documents d’archives ne viennent pas ici simplement illustrer un discours, mais sont l’un des sujets du film. Pour arriver à ce résultat, Sierra Pettengil a fait un énorme travail de recherche d’archives les plus représentatives et les plus parlantes. En marge du sujet principal, la réalisatrice thématise aussi les sources d’images et les conditions sous lesquelles elles ont été produites à l’époque et sont accessibles aujourd’hui. Cette réflexion sur l’histoire, sa représentation, sa contextualisation et son interprétation fait de Riotsville U.S.A. un documentaire passionnant à plusieurs niveaux. (prochaine séance : 6 mars, 17h00 à la Cinémathèque).

[i] Rappelons que les villages Potemkine sont des faux-semblants construits pour cacher une réalité peu reluisante et faire croire à un monde idyllique.

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