Se laisser surprendre

Ce qui rend les festivals de film excitants, c’est que – pour peu qu’on soit prêt à se laisser surprendre – on plonge à chaque fois dans des mondes inconnus. Dans sa dernière ligne droite, le 13e Luxfilmfest nous a ainsi embarqués dans des voyages insolites en Iran et au Costa Rica.

World War III à l’Utopia (c) Philippe Reuter / forum

A Jafar Panahi, Mohammad Rasoulof, Asghar Farhadi ou Saeed Roustayi, les cinéastes iraniens les mieux connus en Europe, il faudra dorénavant ajouter Houman Seyyedi qui vient de présenter en compétition au Luxfilmfest World War III, déjà primé dans la section Orizzonti à Venise et choisi pour représenter l’Iran aux Oscars. Son film débute sur le mode du réalisme social cher à ses compatriotes cités ci-dessus,  mais bifurque rapidement, et de façon très inattendue, vers la satire pour déboucher sur le drame et finalement la tragédie.

Troublant

Au centre de ce périple à travers les genres cinématographiques, il y a précisément le cinéma puisque tout se passe sur un tournage, et pas n’importe lequel : celui d’un film sur l’holocauste, avec un Hitler ahistorique qui tue ses ennemis de ses propres mains. Le film dans le film oscille entre le ridicule et l’horreur, quand des figurants improvisés sont projetés sans crier gare dans ce qui semble être une chambre à gaz. Heureusement, ce n’est que du cinéma et ils en ressortent, humiliés mais vivants. Qu’Houman Seyyedi arrive à se tirer de ce genre de situation suffit à démontrer son talent. La séquence est représentative de son film qui nous plonge continuellement au milieu de circonstances absurdes et cruelles, nous laissant indécis quant à notre réaction face à ce qui nous est montré.

Le faux Hitler dans World War III (c) Namava

Le personnage principal est Shakib (Mohsen Tanabandeh), un ouvrier illettré et l’un des figurants malmenés sur le tournage. Il a perdu toute sa famille dans un tremblement de terre et s’est épris d’une prostituée, sourde et muette, nommée Ladan (Mahsa Hejazi). Eternellement opprimé, osant à peine répondre quand on lui parle, Shakib prend peu à peu de l’assurance quand le réalisateur du film dans le film décide – contre toute vraisemblance – de lui confier le rôle de Hitler après que le comédien qui l’incarnait a dû déclarer forfait (l’une des plus belles scènes du film).

Ainsi promu dans la hiérarchie du tournage, Shakib a désormais le droit de passer la nuit dans la belle maison de style vaguement européen, qui sert de décor au film, lui qui dormait auparavant dans le souterrain humide faisant office de chambre à gaz. On rase sa barbe mais c’est lui qui enlève la « ridicule » petite moustache de Hitler, contrevenant ainsi au contrat qu’on lui a fait signer et qu’il ne peut pas lire. Il se rend compte que, pour la première fois depuis longtemps, on a besoin de lui. Les choses se corsent quand la prostituée Ladan débarque sur le tournage, sans doute attirée davantage par la maison du décor devenue la maison de ses rêves, que par amour pour Shakib.

World War III (c) Namava

Houman Seyyedi ne se contente pas de faire passer son public par des sentiments contradictoires, il le place aussi face à des situations de plus en plus déconcertantes et troublantes d’un point de vue humain et moral. Shakib tente de saisir la seule chance que la vie lui a jamais offerte, et la même chose est vraie pour Ladan, qui reste insaisissable jusqu’à la fin. Elle est en quelque sorte la femme fatale de ce film très noir, qui commence comme un conte réaliste et se termine en tragédie de Shakespeare.

Sans jugement moral

Dans le genre plus balisé du coming of age, La Costaricaine Valentina Maurel réussit néanmoins elle aussi, dans Tengo sueños elétricos, à surprendre en racontant le parcours d’une adolescente rebelle, tiraillée entre une mère (relativement) responsable et un père bohème, immature et instable chez qui Eva (Daniela Marin Navarro) s’est mise en tête d’habiter. Qu’il n’a pas de logement et squatte les canapés de copains successifs ne suffit pas à la décourager, elle prend l’initiative de lui chercher un appartement.

Tengo sueños eléctricos (c) Wrong Men Productions

Aussi dure que le béton de la capitale San José dans laquelle elle déambule, aussi butée que le chat de la famille qui griffe même ceux qui veulent le caresser, Eva assume successivement, vis-à-vis de son père Martin (Reinaldo Amien Gutierrez) le rôle de parent, d’enfant, de confidente et d’antagoniste. Leurs rapports sont difficiles, parfois ambigus. Un geste tendre a fait vite de se retourner en violence, ou vice-versa. Livrée à elle-même, Eva entame sa vie de jeune femme en tâtonnant, submergée par le tumulte émotionnel de l’adolescence. Son premier rapport sexuel, consenti et subi à la fois, avec un ami de Martin, est mis en scène avec tact mais frontalement, et sans rien enjoliver. Valentina Maurel, dont c’est le premier long métrage, décrit avec pudeur et sans jugement moral, ces errances parfois périlleuses d’une adolescente en quête d’affection et de la vie qui l’attend. Tengo sueños elétricos lui a valu, au festival de Locarno, les prix mérités de la mise en scène, du meilleur acteur et de la meilleure actrice.

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