Cannes 4 – Un palmarès presque parfait

Après le désastreux palmarès de l’année dernière, le jury présidé par Ruben Östlund – qui avait remporté en 2022 une Palme d’or contestée pour Triangle of Sadness – a réalisé un parcours presque sans faute. 

Ce jury, qui rassemblait aussi les cinéastes Julia Ducournau (Titane, Palme d’or 2021), Damían Szifron (Les nouveaux sauvages, 2014), Atiq Rahimi (Singué sabour, 2012), Rungano Nyoni (I’m Not a Witch, 2018) et Maryam Touzani (Le Bleu du caftan, 2022), l’acteur-réalisateur Paul Dano, l’actrice-réalisatrice Brie Larson et l’acteur Denis Ménochet, a décidé de ne récompenser que les sept films obligatoires (pas d’ex-aequo, pas de prix spéciaux), ce qui – sauf erreur – n’était plus arrivé depuis dix ans !

Les Feuilles mortes d’Aki Kaurismäki (c) Sputnik

Trois films revenaient cette année dans les conversations sur la Croisette : The Zone of Interest de Jonathan Glazer, Anatomie d’une chute de Justine Triet et Les Feuilles mortes d’Aki Kaurismäki. Dans un monde dominé par la guerre, l’injustice économique et l’isolement social, le réalisateur finlandais imagine, comme une faible lueur d’espoir, une simple mais poignante histoire d’amour entre une vendeuse de supermarché qui vient d’être licenciée et un ouvrier porté sur l’alcool. Sa déchirante mélancolie, sa modestie assumée et un joli clin d’œil final à Chaplin ont fait de ces Feuilles mortes l’un des beaux films de ce festival, mais soyons honnêtes, il n’apporte rien de vraiment nouveau à l’œuvre de Kaurismäki.

The Zone of Interest (c) A24

Deux fois Sandra Hüller

Les Feuilles mortes est reparti avec le prix du Jury alors que le Grand Prix a été attribué à The Zone of Interest. Le film de Jonathan Glazer (Under the Skin, 2013) est une proposition cinématographique audacieuse qui sera à coup sûr débattue intensément dans les mois qui viennent. En mettant en scène la vie tranquille de la famille de Rudolf Höβ à côté du camp d’Auschwitz sur lequel le père règne en maître, le film interroge la capacité très humaine à refuser de voir l’horreur qui a lieu sous nos yeux. Le personnage principal du film n’est pas Rudolf Höβ, mais sa femme Hedwig que Sandra Hüller interprète comme une parfaite ménagère allemande dont le champ de vision s’arrête au mur de son jardin. Peu importe que les cheminées fument, que les chiens aboient et que la machine de la mort gronde jour et nuit.

Dans Anatomie d’une chute de Justine Triet, la même actrice interprète une écrivaine à succès et mère de famille, accusée d’avoir tué son mari. Le rôle est tout à fait différent, mais elle y excelle pareillement à creuser la personnalité complexe d’une femme, habituée à contrôler son discours et sa vie, et soudain confrontée aux interprétations et réinterprétations de sa personne et de son couple par des étrangers .

Troisième femme à recevoir la récompense suprême sur la Croisette (en 76 éditions du festival !), la réalisatrice Justine Triet a vilipendé dans son discours de remerciement le « schéma de pouvoir dominateur » du gouvernement français, coupable à ses yeux d’avoir purement et simplement ignoré les nombreuses manifestations contre la réforme des retraites. Elle a aussi plaidé pour la sauvegarde de l’exception culturelle française qu’elle estime être en danger et sans laquelle, a-t-elle souligné, elle ne serait pas là aujourd’hui. C’est grâce à cette fameuse exception française, qui stipule que la culture n’est pas un bien marchand comme un autre, que le cinéma français est l’un des plus dynamiques au monde et aussi l’un des rares à tenir tête à l’hégémonie américaine. Le maire de Cannes a immédiatement traitée la cinéaste d’« enfant gâtée », s’empressant d’infantiliser par ce vocabulaire la femme qui venait de rapporter à la France sa onzième Palme d’Or.

Merve Dizdar dans Les Herbes sèches (c) Memento

Le prix d’interprétation féminine n’est pas allé à Sandra Hüller mais, de façon plus inattendue, à la comédienne turque Merve Dizdar dans Les Herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan. Elle y interprète une militante, amputée d’une jambe après avoir été victime d’un attentat. Le prix se justifie notamment par une grandiose ,scène de querelle idéologique entre son personnage et le protagoniste du film mais le jury a sans doute aussi voulu ainsi honorer le film de Ceylan, qui fut l’un des grands moments de ce festival.

Regards sur la classe ouvrière

Koji Yakusho dans Perfect Days (c) Master Mind Ltd

De façon moins surprenante, le prix d’interprétation masculine récompense Koji Yakusho, acteur japonais de 67 ans vu notamment dans L’anguille (Shohei Imamura, Palme d’Or 1997) ou Babel (Alejandro González Iñárritu). Dans le film Perfect Days de Wim Wenders, il joue cette fois Hirayama qui, tous les jours, nettoie avec beaucoup d’enthousiasme les toilettes à Tokyo. Dans un rôle presque muet, avec énormément de subtilité, de tendresse et d’humour, Koji Yakusho excelle à nous faire entrer dans le monde de cet homme solitaire qui tire son bonheur des petits plaisir minuscules du quotidien : le vent dans les arbres, une chanson dans un bar, un jeu de morpion joué à distance avec un inconnu, un roman de Faulkner ou une chanson de Lou Reed. A l’origine, c’était une commande pour un court métrage sur l’architecture des toilettes publiques (!) d’un quartier de Tokyo. Wenders en a tiré un long métrage minimaliste – il ne se passe à peu près rien – et très doux, salué presque unanimement à Cannes mais qui, personnellement, me laisse un arrière-goût amer. Outre que la description des conditions de travail est ici très peu réaliste (ou alors les toilettes à Tokyo sont vraiment très propres !) et que Hirayama semble avoir choisi ce boulot (on apprend qu’il est issu d’une famille très aisée qu’il a reniée pour des raisons qu’on ignore), cette exaltation du travail bien fait et du travailleur toujours motivé, réservé et serviable a quelque chose de gênant. D’autant plus quand ce travailleur a un âge auquel il devrait être à la retraite, vu de la pénibilité de ses tâches…

Jeunesse de Wang Bing (c) Gladys Glover – House on Fire – CS Production – ARTE France Cinéma – Les Films Fauves – Volya Films

Également très sollicité par les critiques, le documentaire Jeunesse de Wang Bing, coproduit au Luxembourg par Les Films fauves, est contre toute attente reparti les mains vides. Le réalisateur pose pourtant un tout autre regard sur le monde du travail en filmant les jeunes ouvriers dans l’industrie du textile chinois. Le film souffre de sa durée (plus de trois heures) et de nombreuses répétitions dans la première partie, mais nous fait entrer dans les ateliers où, à longueur de journée et parfois de nuit, de jeunes gens payés à la pièce, confectionnent des vêtements avec une rapidité déconcertante tout en se chamaillant et en flirtant. Leur existence se limite à ces fabriques où les déchets s’accumulent un peu partout (rien à voir avec les toilettes japonaises !) et où ils doivent pourtant manger, dormir, s’amuser et gagner l’argent nécessaire pour se lancer dans la vie. Wang Bing y a passé le temps cinq ans pour gagner la confiance de ces ouvriers, qui se livrent devant la caméra et parfois jouent avec elle. Jeunesse n’est pas un film qui se veut nécessairement dénonciateur, c’est un constat, un état des lieux, infiniment plus honnête, et au final plus humaniste, que le feel-good movie de Wenders.

Jeunesse aurait pu avoir le prix de la mise en scène mais de façon incompréhensible, le jury lui a préféré – et c’est son seul vrai faux pas – une sorte d’illustration de recettes de cuisine intitulée La Passion de Dodin Bouffant et réalisé par Tran Anh Hùng, qu’on avait perdu de vue depuis sa trilogie vietnamienne (L’odeur de la papaye verte, Caméra d’Or à Cannes en 1993 ; Cyclo, Lion d’or à Venise en 1995 ; A la verticale de l’été, 2000). Il raconte la passion partagée d’un certain Dodin Bouffant et de sa cuisinière Eugénie pour la gastronomie, ainsi que leur amour l’un pour l’autre. Le pauvre Benoît Magimel est réduit durant tout le film à déclamer des recettes et des menus, tandis que Juliette Binoche affiche des sourires béats après chaque plat qu’il lui fait goûter. La presse étrangère a cependant adoré ce film « si french » puisqu’intitulé à l’internationale The Pot au feu !

Monster (c) Droits réservés

Le prix du scénario récompense Yuji Sakamoto pour le film Monster de Hirokazu Kore-Eda. Structuré en trois parties reprenant chacune les mêmes faits sous un angle différent, Monster n’est pas une énième version du Rashomon d’Akira Kurosawa (1950) mais un très beau film sur l’enfance, récompensé par ailleurs par la Palme Queer, qui est attribuée chaque année à une œuvre traitant des thèmes LGBT+.

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