Quelques remarques sur l’article de Marc Baum paru dans forum
(Alain Sertic)

Dans le numéro 431 du magazine forum de mai 2023, un article de Marc Baum a été publié sous le titre : « Suffizienz – die Endgegnerin des Kapitalismus? » (Suffisance – l’ultime défi du capitalisme ?). Dans un pays où les débats politiques de fond sont devenus très rares, Baum dénonce dans un langage clair les effets du système capitaliste et ses mécanismes, à l’origine des crises sociale et climatique actuelles.
Dans son texte, Marc Baum prend position pour une société qui ne devrait pas extraire et consommer davantage de ressources que ce que la nature peut renouveler. Pourtant, une civilisation qui est bâtie sur les besoins d’une croissance économique illimitée, d’une augmentation constante du profit financier, de toujours plus de productivité sur un marché en concurrence ne pourra nous mener que vers une catastrophe globale.
Les conclusions de Baum paraissent évidentes. Citons quelques passages clés de son texte : « […] même un capitalisme vert mène dans l’anthropocène », « Pour les gens de gauche, le capitalisme est un modèle économique qu’il s’agit de dépasser […] », « De par sa dynamique structurelle, le capitalisme gomme les frontières et il est totalitaire […] », « […] la consommation ne peut plus être considérée comme relevant du domaine strictement privé », ou encore « Le leitmotiv économique de la concurrence capitaliste […] cèderait la place à celui d’une coopération solidaire. ».
Ces quelques passages indiquent clairement une direction de marche à gauche, ce qui est positif. Il y a seulement deux congrès, c’était encore loin d’être le cas. Il faut maintenant prendre en main ce mince fil rouge pour adopter une vraie stratégie et une pratique cohérente écosocialistes afin de pouvoir affronter les luttes à venir. Une rupture avec le système libéral, sa logique infernale et l’ordre établi des multinationales est une tâche urgente et inévitable pour sauver l’humanité d’une catastrophe. Malgré cela, nous constatons que cette ligne politique, avec toutes ses complexités, est encore loin d’être entièrement comprise et acceptée par l’ensemble de Déi Lénk.
Comment faire avancer notre programme dans ce sens, quelles mesures et orientations seront nécessaires ? Des revendications d’un caractère « réformiste de gauche », on en a déjà vu beaucoup pendant les cinquante dernières années. J’admets que ce n’étaient pas les questions que la rédaction de forum avait adressées à Marc Baum, mais elles s’imposeront inévitablement.
En juillet 2019, le journal hebdomadaire Woxx (4.7.2019) avait posé la question à Marc Baum s’il était prêt à participer à un gouvernement de coalition. En l’occurrence, avec le LSAP et Déi Gréng. Sa réponse était en principe un « oui » ! Le problème serait situé, selon lui, « dans la logique d’une rupture, de développer un programme au sein d’une coalition qui pourrait changer la situation ». Cela, c’était il y a quatre ans.
Maintenant, il écrit dans forum : « La transition à une société sobre ne va certainement pas se faire sans conflits : une société sans obligation de croissance, sans possibilités de profits illimités et avec une utilisation limitée des ressources aura de puissants adversaires. Tous ceux dont les intérêts de profit sont en jeu se défendront contre des transitions socioécologiques aussi fondamentales. »
Les questions d’ordre stratégique, de « pouvoir » et de « gouvernement » commencent de nouveau à revenir lentement mais sûrement sur le devant de la scène. La voie d’un « gradualisme parlementaire » n’est rien de nouveau, c’était déjà la question clé de l’Union de la gauche française vers la fin des années 1970 ainsi que lors de la « révolution portugaise » en 1974-75, qui toutes les deux se sont mal terminées pour la gauche.
Il faut savoir tirer les leçons de l’Histoire
Y a-t-il sérieusement quelqu’un pour croire encore qu’avec les directions du LSAP et de Déi Gréng, avec les Fayot, Asselborn, Bausch, Tanson, etc., on pourra former des coalitions pour une démarche de « transition » vers une rupture avec le système social actuel ? C’est plus qu’illusoire et presque un affront au bon sens. Depuis plus de 40 ans, nous assistons à toutes sortes de capitulations et de « retournements de veste » des différentes variantes de la gauche réformiste. De François Mitterrand à Alexis Tsipras, de Mario Soares à Luiz Inácio Lula da Silva, des ministres du Parti communiste français aux sociaux-démocrates scandinaves. Les bilans ont toujours été négatifs, les résultats néfastes. Chaque opération guidée par une stratégie d’un changement institutionnel par des « réformes structurelles du système » a échoué lamentablement et nous a menés à la situation actuelle.
Selon Ernest Mandel, il n’y a pas moyen de gérer l’économie capitaliste telle qu’elle est, sans se soumettre à ses règles de fonctionnement fondamentales. Au cas où les écosocialistes participeraient à un gouvernement gestionnaire – sans rupture politique et où les différents participants sont liés à un accord de coalition strict –, indépendamment du soutien momentané de la population, ils se casseraient la gueule s’ils se laissaient entraîner par la gestion des affaires courantes, au lieu de commencer immédiatement à mobiliser pour un débordement à gauche de leur propre gouvernement. Cela, c’est la leçon du « réformisme de gauche », des années 1930 jusqu’à aujourd’hui.
Quand le vin est tiré, il faut le boire. Sans une crise révolutionnaire, il ne pourra y avoir de rupture avec le système capitaliste et la société de classes. Il faut donc toujours, parallèlement à une politique de volonté de rupture, une forte mobilisation populaire dans les rues et des mouvements d’auto-organisation des ouvriers dans les entreprises pour pousser et appuyer les projets de transformation fondamentaux.
Les crises écosociales des années 2030 et 2040 seront graves et profondes, parce qu’elles ont des causes multiples. Les vieux partis vont éclater et de nouveaux partis partiellement antisystème vont probablement apparaître (La France insoumise et Syriza ne sont qu’un avant-goût). Les écosocialistes doivent donc avoir une stratégie claire et déterminée.
La leçon portugaise
« Or, ce qui est le propre des conceptions de transformations linéaires graduelles, c’est qu’elles laissent intactes les structures fondamentales du capitalisme, c’est-à-dire concrètement, le mode de production capitaliste (le marché, le crédit, le profit), les rapports de production capitaliste (la propriété, le travail salarié, etc.) et l’appareil d’État bourgeois. Les soixante dernières années d’expérience l’attestent : le capitalisme est parfaitement capable de “digérer”des nationalisations partielles, aussi longtemps que subsistent ces structures fondamentales.[1] »
Pendant la révolution portugaise, l’ensemble des banques et des grands groupes financiers constituant le « capitalisme des monopoles » dans ce pays ont été à un moment nationalisés, voire confisqués. Malgré la nationalisation de ces monopoles, l’économie portugaise est restée de toute évidence une économie capitaliste. La majeure partie des moyens de production sont restés privés, avec les mécanismes fondamentaux – dans la logique des lois capitalistes – que sont le développement et la reproduction. L’économie portugaise est restée soumise aux impératifs des lois du profit privé et intégrée dans l’économie capitaliste internationale ; elle a dû, de ce fait, se soumettre aux diktats du Fonds monétaire international.
« Le premier ministre Mario Soares, qui, en 1975, jurait par tous les saints qu’il n’était pas social-démocrate, qu’il était socialiste et marxiste, qu’il voulait s’engager immédiatement sur la voie du socialisme, outre qu’il brade l’une après l’autre les conquêtes du processus révolutionnaire de 1974-75, a appliqué de suite une politique d’austérité en tous points comparable aux autres gouvernements européens (Giscard-Barre, Callaghan, Andreotti, Schmidt, etc.[2] »
Dès lors que la majorité de gauche parlementaire a reculé devant le pouvoir du capital international et a ainsi démontré son impuissance, et que le PCP et le PS ont freiné chacun à sa façon les mouvements extraparlementaires (et les comités d’usine), la vague des mobilisations révolutionnaires s’est effondrée comme un château de cartes face au coup d’Etat de la droite du 25 novembre 1975. Ainsi, les travailleurs portugais ont finalement perdu sans être véritablement battus !
La morale de l’histoire est claire : « Ou bien il y aura un vrai renversement révolutionnaire de ce mode de production, une rupture qui empêche les mécanismes fondamentaux du capitalisme de continuer à fonctionner, ou bien les adeptes d’une transformation graduelle par majorité parlementaire seront obligés de se muer en gérants du capitalisme néolibéral.[3] » Le rôle de propagandistes pour l’industrie d’automobile que jouent en ce moment les ministres verts européens en faveur de la promotion des voitures électriques en est un bon exemple.
Comme jadis au tournant entre l’Union de la gauche et le « tournant de la rigueur » début 1983, il n’y aura en tout cas pas de « troisième créneau » pour le réformisme. Conclusion : comme au XXe siècle, on peut s’attendre à l’avenir à de grands mouvements de masse qui vont ébranler le système capitaliste mondial. Sur fond de crise climatique, des crises sociales énormes se dessinent à l’horizon. Il faut des courants écosocialistes révolutionnaires forts pour empêcher la mise au pas et l’avortement des vagues de radicalisation par des illusions réformistes.
[1] Ernest MANDEL, Réponse à Louis Althusser et Jean Elleinstein, Montreuil, Editions La Brèche, 1979, p. 87.
[2] MANDEL, op. cit., p. 90.
[3] MANDEL, op. cit., p. 91.
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