- Kino
„The Last Socialist Artefact“ : Un voyage captivant à travers les „modern times“
Dans un paysage audiovisuel où même les meilleures séries ont tendance à se suivre et à se ressembler, Arte.tv propose une pépite encore très peu diffusée en-dehors des pays coproducteurs. The Last Socialist Artefact a pourtant reçu en 2021 le prix mérité de la meilleure série au Festival Séries Mania (section Panorama).
Créée par la productrice Ankica Jurić Tilić et le réalisateur Dalibor Matanić, The Last Socialist Artefact nous emmène dans une petite ville moribonde quelque part en Croatie. C’est là, à Nustin (ville fictive) qu’arrivent un beau jour, en provenance de Zagreb, Oleg (Rene Bitorajac), un entrepreneur quelque peu interlope, bon vivant et éternel optimiste, avec son partenaire Nicola (Krešimir Mikić), long grincheux insomniaque au regard triste. Il y a du Laurel et Hardy dans leur couple mais l’humour très fin de la série est plus tragicomique que burlesque.

D’abord, on se croit dans un western. Le premier café où ils entrent alors qu’ils sont encore en route est tenue par une belle rousse nommée Lipsa (Tihana Lazović) qui les informe tout de go qu’il n’y a rien à Nustin. Une fois sur place, les rares habitants attablés dans le deuxième café les scrutent et s’avèrent peu loquaces. Le maire est visiblement corrompu, l’ingénieur Janda (Izudin Bajrović) qui doit les aider à remettre en fonction une vieille usine fermée depuis vingt ans, est ivre-mort, les hommes en âge de travailler sont sur le point de s’engager pour l’Afghanistan.
On apprend vite ce qu’Oleg et Nicola sont venus faire dans ce bled perdu. Ils veulent rouvrir l’usine pour y fabriquer une turbine spéciale dont seuls les anciens ouvriers de Nustin conservent le savoir-faire et les machines nécessaires à cet effet. Leur commanditaire est un mystérieux homme d’affaires appelé Hassan qu’Oleg tente en vain de joindre au téléphone. Le titre original de la série – et du roman de Robert Perišić dont elle est assez librement adaptée – est No-Signal Area [i]. Cette absence de couverture de réseau mobile place symboliquement Nustin en-dehors de la modernité, facilite le travail des scénaristes (pas besoin d’argumenter pourquoi les protagonistes n’ont pas de nouvelles du dehors) et oblige les personnages à communiquer à l’ancienne.
Si The Last Socialist Artefact a toutes les caractéristiques d’un feel good movie, les créateurs en détournent les règles pour proposer quelque chose de plus subtil.
Mais à la fin du premier épisode, Oleg apprend qu’Hassan ne va acheter qu’une seule turbine. Or, avec Nicola, ils ont promis aux ouvriers de remettre l’usine en marche, ils leur ont concédé l’autogestion comme au temps du socialisme et ils leur ont donné l’espoir, sinon de lendemains qui chantent, du moins d’un avenir possible et de la dignité retrouvée.

Le réalisateur croate Dalibor Matanić, dont le long métrage Soleil de plomb avait remporté en 2015 le Prix du Jury dans la section Un Certain Regard à Cannes avant d’être présenté au Festival Cineast l’année suivante, a réalisé les six épisodes de la mini-série en se focalisant à chaque fois sur un personnage différent. Quatre hommes et deux femmes sont ainsi au centre d’un récit dont on se demande constamment où il va nous mener et qui, au final, nous surprend moins par des revirements imprévisibles que par la nuance et la tendresse avec lequel il suit ces personnages blessés par la vie, la guerre et l’Histoire. Peu à peu, de beuverie en fête bien arrosée – on boit beaucoup à Nutsin et ce n’est pas de la bibine ! – Matanić tisse entre ses protagonistes de frêles liens tout en évitant (presque) toutes les situations stéréotypées auxquelles on aurait pu s’attendre.
Mais si The Last Socialist Artefact a toutes les caractéristiques d’un feel good movie, les créateurs en détournent les règles pour proposer quelque chose de plus subtil. Le socialisme d’antan n’est pas plus romantisé que le capitalisme actuel n’est grossièrement diabolisé. La solidarité qui renaît entre les ouvriers s’installe par petites touches. Les émotions passent plus par les gestes et les regards que les grandes déclarations. Il y a un méchant dans l’histoire que le scénario oublie étrangement vers la fin et c’est presque tant mieux ; des histoires d’amour où, pour une fois, les partenaires se retrouvent à égalité ; pas vraiment de happy end mais un magnifique générique de fin au dernier épisode.

La dignité retrouvée des ouvriers reposera sur un mensonge d’abord, et un détournement ensuite, qui ridiculise tout en l’interrogeant la propension du capitalisme moderne à transformer en pièce de musée, voire en œuvre d’art, les reliquats de l’ère industrielle. The Last Socialist Artefact est ainsi – aussi – un commentaire doux-amer sur les temps qui changent.
[i] La traduction française du roman, parue en 2019 chez Gaïa Editions, est intitulée Les Turbines du Titanic.
Sur arte.tv jusqu’au 25 mai 2024
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