Des humains se transforment en animaux dans le deuxième long métrage de Thomas Cailley. Ils nous forcent à regarder en face le monde qui change et à reconsidérer notre rapport à la nature.

Au milieu des années 1970, premier moment fort de la prise de conscience écologique, Alain Souchon chantait « Le monde change de peau » et se demandait si ce nouveau monde serait « laid ou bien beau, couvert de couleur peinture ou de vert nature ». Au même moment, son collègue Michel Jonasz voulait « changer tout » « pour une vie qui vaille le coup ». Au Luxembourg, la minorité des résidents bénéficiant du droit de vote vient de décider qu’elle ne voulait surtout rien changer, dans l’espoir (illusoire) de réussir la transition écologique tout en maintenant la croissance, le pouvoir d’achat (y compris celui de la population la plus aisée) et un système de valeurs basé sur la société de consommation. Sauf que ce n’est plus à nous de décider si le monde va ou non changer de peau. La « mut » (comprendre : mutation) a déjà commencé et nous ne pourrons pas l’arrêter. La question est comment on décide d’y faire face.
Dans son premier long métrage Les Combattants, sorti en 2015 et multiprimé en France (César du meilleur premier film, meilleure actrice (Adèle Haenel) et meilleur espoir masculin (Kévin Azais) ; Prix Louis Delluc du premier film), le réalisateur Thomas Cailley mettait en scène une jeune femme obsédée par l’idée de la fin du monde et la façon d’y survivre. Dix ans plus tard, le monde ne s’est pas effondré mais n’est plus tout à fait le même. Simplement, on s’habitue à tout, comme nous l’a rappelé la crise du Covid. On fait avec. On regarde ailleurs.

Dès les premières minutes de son deuxième long Le règne animal, Cailley reprend un poncif du film apocalyptique : l’embouteillage. Alors que François (Romain Duris) et son fils Emile (Paul Kircher) prennent leur mal en patience, un homme bizarre et violent, un fou peut-être, s’échappe d’une ambulance également bloquée. Il semble avoir une aile dans le dos. Cette apparition, qui nous sidère, n’émeut pourtant guère les protagonistes du récit. « Quelle époque » se contente de grogner quelqu’un.
Peu à peu, on comprend qu’une partie de l’humanité est en train de se transformer graduellement en bêtes diverses et variées. Virus, réaction de défense de la nature, mutation spontanée ? Nulle explication n’est donnée et les personnages n’en demandent pas. Quand elles deviennent violentes comme le Birdman entraperçu au début, ces « créatures » sont enfermées, étudiées et traitées avec les moyens du bord. La mère d’Emile en fait partie. L’adolescent est mal à l’aise en sa présence, mais son père décide de déménager dans le sud de la France pour y suivre son épouse qui va être transférée dans un nouveau centre adapté à cette étrange maladie. En route, les créatures s’échappent et se réfugient dans une forêt. Et Emile découvre qu’il est lui aussi en train de se transformer.
On est loin des héros hollywoodiens qui sauvent le monde entier en sauvant leur famille. Dans Le Règne animal, il n’y a pas de monde à sauver mais une relation au monde à transformer.
La toute première image du film montre la main d’Emile se mêlant aux poils de son chien. Dans le plan, le garçon et l’animal ne font déjà qu’un. La frontière entre espèces est d’emblée abolie. Tout le film est situé dans l’entre-deux, le temps de la mutation d’Emile qui correspond aussi à son adolescence et à la découverte de la sexualité. Mais contrairement à de nombreux films de loups-garous ou de vampires (la saga Twilight), la mutation n’est pas ici qu’une simple métaphore de la puberté, plutôt celle d’un monde qui se transforme sous nos yeux.

La transformation des humains en animaux force les personnages à envisager une relation nouvelle avec la nature. A accepter que les humains fassent partie intégrante du monde animal et sont donc dans l’obligation de trouver un moyen de cohabiter avec lui. A voir dans les bêtes des êtres doués de sentiments et peut-être d’une forme d’intelligence. Certains le refusent et, ne pouvant plus les ignorer, veulent emprisonner, voire abattre les créatures (qu’ils appellent plutôt « bestioles »). Ils croient ainsi pouvoir continuer à vivre comme avant, sans songer que cela reviendra bientôt à tuer leurs propres partenaires et enfants. Le monde change et, qu’il le veuille ou non, chacun devra tôt ou tard accepter ce changement, s’y adapter et consentir à évoluer également.
Le film ne prétend pas que cela va de soi ou sera facile. Après avoir perdu sa femme, François voit son fils lui échapper. Fidèle en cela aux modèles américains, Cailley centre son récit sur une relation familiale et plus précisément ce lien père-fils qui lui a, dit-il dans les interviews, été inspiré par sa propre paternité. Mais on est loin des héros hollywoodiens qui sauvent le monde entier en sauvant leur famille. Dans Le Règne animal, il n’y a pas de monde à sauver mais une relation au monde à transformer. François y arrive parce qu’il a fait sienne une phrase du poète René Char : « Tout ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience ».

On peut reprocher au film de négliger ses personnages féminins. Nina (Billie Blain), la petite amie d’Emile, a certes un beau rôle de soutien mais cela ne va guère plus loin. Quant à Adèle Exarchopoulos dans la peau d’une gendarme bienveillante, elle n’a pas grand-chose à faire, au point que la narration semble simplement l’oublier à la fin (tout comme d’ailleurs le chien, pourtant présenté comme le fidèle compagnon d’Emile).
Mais, et c’est peut-être sa plus belle réussite et ce qui le distingue de tant de films traitant de près ou de loin des crises écologiques, Le règne animal arrive à nous faire entrevoir un monde certes angoissant dans un premier temps, mais qui peut devenir désirable et harmonieux. Une possible utopie au lieu des habituelles dystopies.
Actuellement au cinéma
Le film Les Combattants est disponible sur a-z.lu
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