Le titre du premier long métrage de Molly Manning Walker n’annonce pas un mode d’emploi, bien au contraire. Récompensé au dernier Festival de Cannes par le prestigieux Prix Un Certain Regard, How to Have Sex est une réflexion sur la manière dont la société et les médias façonnent notre conception de la sexualité.

C’est sans doute le prix cannois Un Certain Regard, d’habitude plutôt lié au cinéma dit « d’art et d’essai » pur et dur, qui a incité les programmateurs de Kinepolis à placer le film au ciné Utopia, endroit où il n’a cependant guère de chance de rencontrer son public cible. How to Have Sex raconte en effet le défoulement, dans une station de fête méditerranéenne, de trois lycéennes à la fin d’une année scolaire difficile, situation dans laquelle devraient se reconnaître bon nombre de jeunes Luxembourgeois, qui – pour certains du moins – ont pris l’habitude de se précipiter à Majorque dès les examens terminés, Au programme : piscine et plage (un peu), boîtes de nuit, cuites monumentales, et pour Tara (Mia McKenna-Bruce), la plus jeune du groupe, défloration obligatoire car il n’est pas concevable qu’à 16 ans, elle rentre vierge en Grande-Bretagne.
Molly Manning Walker, qui a tout juste trente ans aujourd’hui, se souvient dans ce film de ses propres virées à Magaluf (Majorque) dont elle dit avoir gardé de très bons souvenirs, mais aussi d’autres plus négatifs. Avec le recul, elle ressent surtout un malaise par rapport au caractère formaté et obligatoire de la sexualité qui y est pratiquée.

Dès leur arrivée à Malia (équivalent crétois de Magaluf), Tara et ses copines Sky (Lara Peake) et Em (Enva Lewis) tentent de se convaincre elles-mêmes, à grand renfort de rires hystériques, qu’elles y passeront les meilleures vacances de leur vie. Une fois à l’hôtel, elles se transforment en poupées Barbie vêtues de tenues affriolantes et se jettent dans la mêlée nocturne. Une grande partie du film se passe dans les boîtes de nuit, à regarder les filles boire et danser, mais outre de nous plonger dans ce tourisme de la fête à outrance, la réalisatrice met subtilement en scène les rapports de force sous-jacents entre les trois copines. Sky, qui semble un peu plus âgée et se prétend plus expérimentée, ne cesse d’envoyer de petites piques à Tara, l’infantilisant devant les garçons rencontrés à l’hôtel tout en faisant mine de la complimenter. Dès le début, il y a ainsi un côté surjoué dans la bonne humeur de Tara, d’autant que pèse sur elle l’injonction de trouver un partenaire avec qui coucher.
Molly Manning Walker complexifie ainsi le principe du consentement pour les filles et les garçons, consentement qui ne veut finalement rien dire dans le contexte de la pression de groupe, des images fantasmées de la masculinité et de la féminité et de l’hypersexualisation de la société.
Molly Manning Walker, qui travaille aussi en tant que directrice de la photo sur les films d’autres cinéastes, dépeint cet univers de façon apparemment documentaire mais en vérité très stylisée. Les couleurs (le bleu, le blanc, l’orange, le vert) aussi bien que la lumière (l’opposition entre les néons de la nuit et la lumière crue du soleil le jour) et le son (le bruit incessant et assourdissant jusqu’à en devenir hypnotique des boîtes de nuit) aident à caractériser les personnages et font monter la tension peu à peu tout en nous plongeant dans une atmosphère de gueule de bois permanente.
La question du consentement
Le moment fatidique finira bien sûr par arriver pour Tara et comme on s’y attend, il sera tout sauf jouissif. Mais avant cela, il y a une fellation collective et publique dont le bénéficiaire pas si heureux que cela est le jeune Badger (Shaun Thomas), qui s’était rapproché de Tara. Mal à l’aise, celle-ci sort alors de la foule hurlant ses encouragements à Badger, et elle se fait finalement déflorer par Paddy (Samuel Bottomley). Paddy a bien intégré les leçons de #MeToo : il prend soin de demander à Tara si elle est d’accord. Mais que vaut ce « oui » que Tara, ivre morte, désorientée, à peine consciente, sachant qu’il faudra bien qu’elle « y » passe, n’a pas le courage ni la force de refuser ? Ou l’accord de Badger pour la fellation supposée valorisante mais qui ressemble en vérité à une agression? Comme Vanessa Filho dans Le Consentement et Mona Achache dans Little Girl Blue, Molly Manning Walker complexifie ainsi le principe du consentement pour les filles mais aussi pour les garçons, consentement qui ne veut finalement rien dire dans le contexte de la pression de groupe, des images fantasmées de la masculinité et de la féminité et de l’hypersexualisation de la société.

Plus problématique encore est ce qui se passe le lendemain lorsque Paddy, qui semble considérer qu’un consentement une fois donné vaut définitivement, veut répéter l’expérience en s’imposant à Tara, cette fois visiblement récalcitrante mais qui, là encore, n’ose pas manifester un refus trop catégorique. Quand Molly Manning Parker a montré cette scène à des adolescents et adolescentes, beaucoup n’ont pourtant pas été choqués par le comportement de Paddy. Puisque Tara a couché une fois avec lui, il avait, selon eux et elles, le droit de récidiver !
Le plus remarquable est peut-être que Molly Manning Parker parvienne à raconter cette histoire sans sexualiser le corps des filles (ni d’ailleurs celui des garçons). Grâce au choix des gros plans, grâce aussi au visage extraordinairement expressif de Tara qui ressent la plupart du temps autre chose que ce qu’elle montre à ses copines, on est constamment avec elle et non en train de la mater.

Celle qui s’en tire le mieux est finalement Em, la copine la plus en retrait dans la bande, qui commence une liaison avec une autre fille, faisant ainsi un pas de côté par rapport aux normes imposées par la société. Elle est sans doute aussi le porte-parole de la réalisatrice qui, après avoir traversé une phase hyperféminine dans son adolescence, a opté pour une apparence plus masculine et une sexualité tournée vers les femmes.
Pour autant, How to Have Sex n’est pas un film moralisant. Paddy n’est pas un violeur vicieux ni violent mais obéit à l’image que la société lui donne des hommes et de leur sexualité. Et Tara n’est pas la victime qu’on attend. Ébranlée, elle reprend courage dans la dernière scène pour repartir à l’assaut de la vie.
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