Êtes-vous Barbie ou Bella?

En 2023, on a eu Barbenheimer, mais aussi les sœurs ennemies Barbie et Bella Baxter. L’une (Emma Stone dans le rôle de Bella) est nommée aux Oscars et l’autre (Margot Robbie en Barbie) pas, ce qui a apparemment provoqué quelques remous sur les réseaux sociaux. Alors, êtes-vous plutôt Barbie ou plutôt Bella ?

Margot Robbie est Barbie (c) Mattel Films
Emma Stone est Bella (c) Searchlight Pictures

Poor Things de Yórgos Lanthimos et Barbie de Greta Gerwig sont deux films curieusement comparables d’une certaine façon, et résolument dissemblables d’une autre. D’abord, Poor Things est une œuvre cinématographique alors que Barbie est une pub, ça fait déjà une sacrée différence. La première a vu le jour parce qu’un réalisateur a eu envie d’adapter pour le grand écran un livre (écrit par Alasdar Gray) qu’il avait aimé, la deuxième parce qu’une société multinationale voulait relancer l’un de ses produits phares dont les ventes étaient en baisse.

Barbie et Bella sont toutes deux des jeunes femmes vivant, l’une dans une sorte de monde parallèle enchanté (en gros : le pays d’Oz repeint en rose), et l’autre enfermée dans un manoir lugubre. Accompagnée chacune par un homme pas très intelligent et plutôt barbant, Barbie et Bella vont partir à la découverte du « vrai monde » et se libéreront dans le dernier acte des chaînes du patriarcat. Barbie termine son parcours chez le gynécologue, Bella à la faculté de médecine. Laquelle est la plus féministe des deux ?

Des gâteaux, des livres et du sexe

Poor Things (c) Searchlight Pictures

J’avoue être fortement allergique au rose, surtout quand il est utilisé pour la glorification d’une société capitaliste qui prétend libérer les femmes par la consommation. Le début de Barbie est pourtant prometteur : dans une désopilante parodie de 2001, A Space Odyssey (Stanley Kubrick, 1968), des petites filles jettent aux orties leurs poupées-bébés, et avec elles, la maternité comme destin obligatoire. En comparaison, la Barbie sculpturale, qui leur apparaît alors, semble promettre un avenir autrement plus attrayant. Mais le cadeau s’avère empoisonné. Car non seulement, cette poupée n’a pas d’utérus, elle n’a pas d’organes génitaux du tout. Malgré la présence de Ken (Ryan Gosling), la vie de Barbie et de ses amies est faite de cette chasteté que prônent certains apôtres de l’abstinence sexuelle. Entendons-nous : chacun fait comme il veut, mais au pays des Barbies, on n’a pas le choix !

Bella Baxter a non seulement des organes génitaux, mais elle s’en sert. Fruit d’expériences terrifiantes, elle est née (si l’on peut dire) de la transplantation du cerveau d’un bébé dans le corps de sa propre mère décédée. « Son âge mental et son allure physique ne sont pas vraiment synchrones » remarque laconiquement son créateur, qu’elle appelle simplement « God » (Willem Dafoe). Dans un premier temps, Bella ne sait trop comment se servir de ses jambes et de ses bras. Elle se déplace comme une poupée désarticulée mais découvre vite la sensation plus qu’agréable que lui procurent certains frottements entre ses jambes. Et elle a quelque mal à comprendre pourquoi elle n’aurait pas le droit de faire cela à table, ou en public, ou avec un concombre.

Poor Things (c) Searchlight Pictures

Bella apprend avec une vitesse stupéfiante et quand il se rend compte qu’il ne pourra pas la garder pour lui, God a la générosité de la laisser partir avec un avocat lubrique et libertin (Mark Ruffalo) qu’elle va transformer, bien malgré elle, en amoureux transi et terriblement jaloux. Elle adore le sexe, un peu moins l’homme qui a été son instructeur en la matière, et de toute façon, elle comprend vite qu’il n’y pas que cela dans la vie. Parfaitement à l’aise dans sa tête et son corps, avide d’expériences et de savoir, désireuse de s’améliorer sans cesse, elle se met à dévorer des gâteaux et des livres, interroge tout ce que son entourage considère comme allant de soi, à commencer par les bonnes manières et les vérités toutes faites, et cherche à savoir qui elle est vraiment.

Si Barbie a pu choquer dans quelques pays pas vraiment représentatifs en matière de droits des femmes ou des LGBT+[i], ce qui a immédiatement été interprété comme une preuve de son féminisme, Poor Things est interdit en-dessous de 16 ans (y compris au Luxembourg), voire de 18 ans, notamment dans plusieurs pays anglophones. En vérité, aucun des deux films ne propose une réflexion philosophique approfondie sur le féminisme, mais là où Barbie reste désespérément sage et conforme aux stéréotypes de genre (au moins ne tombe-t-elle pas amoureuse de Ken), Bella donne de gros coups de pied dans la fourmilière patriarcale, et cela fait beaucoup de bien! Là où Barbie doit se confronter à une phallocratie de pacotille, aussi vite défaite qu’elle était apparue dans la petite tête vide de Ken, Bella affronte la violence très réelle d’hommes qui ne peuvent supporter qu’elle échappe à leur contrôle. La punition est la mutilation ou la mort (« Tu m’épouses ou je te tue »). A la fin, sachant enfin qui elle est, Bella décide d’avancer dans la vie, aux côtés d’un mari (Ramy Youssef) qui la considère comme son égale.

Barbie (c) Mattel Films

Poor Things propose ainsi au moins une alternative à l’inégalité entre les sexes que Barbie ne cherche à résoudre qu’en la retournant avant de finir sur un statu quo douteux. Et là où Bella se sert de sa tête pour se libérer, les Barbies ont recours à la séduction, supposée être l’arme « propre aux femmes », pour mettre fin au patriarcat instauré par les Kens. Poor Things est par ailleurs l’histoire d’une femme-enfant qui devient adulte sans se conformer à ce que l’on attend d’elle. Barbie joue en revanche à pleins tubes sur la nostalgie de l’enfance (beaucoup de commentatrices commencent par s’extasier sur le souvenir de leurs poupées Barbie) et la répétition infantile des premières émotions.  

Passons sur la laideur de l’univers de Barbie (sans doute affaire de goût), la narration à la fois bien trop prévisible et souvent incohérente (la petite fille qui dit d’abord détester Barbie pour tout ce qu’elle représente, se convertit très vite et sans raison apparente) et le « product placement » éhonté, à comparer à l’explosion de couleurs et la création du monde rétrofuturiste fourmillant de moments magiques (une femme chantant sur un balcon à Lisbonne) et de références habiles à la littérature et au cinéma (dont fait d’ailleurs partie l’épisode souvent critiqué du bordel parisien) dans Poor Things. Avec son corps parfait et son visage qui semble de cire, Margot Robbie n’interprète (certes avec talent) qu’une poupée stéréotypée (c’est même son nom officiel) là où Emma Stone incarne avec une formidable gourmandise l’insatiable appétit de vivre d’une femme prête à conquérir le monde.

[i] Le film n’est pas sorti au Liban et au Koweït et a été déprogrammé en Algérie. Il a également été censuré au Vietnam et flouté aux Philippines, mais pour des raisons géopolitiques (une carte semble attribuer à la Chine des territoires que ces pays revendiquent).

Poor Things est actuellement à l’affiche dans les cinémas luxembourgeois. Quant à Barbie, elle peut déjà être visionnée sur plusieurs plateformes.

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