Berlinale 3 – Entre passé irréel et futur incertain

La nature sert de refuge entre passé irréel et futur incertain dans deux films mettant en scène des catastrophes que rien ne lie entre elles: la Seconde guerre mondiale dans In Liebe, Eure Hilde, bel hommage d’Andreas Dresen à la résistante Hilde Coppi; le Covid dans Hors du temps, film agaçant mais non dénué d’intérêt, d’Olivier Assayas,

Passons rapidement sur Another End de Piero Messina, sérieux candidat au prix du film le plus stupide de la Berlinale. Dans un monde vaguement dystopique, la technologie a trouvé le moyen de conserver la mémoire des humains. Après le décès d’une personne, ses proches peuvent faire implanter ses souvenirs dans le cerveau d’un « porteur ». Une entreprise propose ce service en cas de décès subit, afin de donner à la famille le temps de dire adieu à la personne disparue. Les porteurs, qui parlent et agissent comme le décédé sans lui ressembler physiquement, sont payés pour faire ce travail et censés ne se souvenir de rien une fois la tâche accomplie. Sal (Gael García Bernadl) se laisse donc convaincre par sa sœur (Bérénice Béjo) de faire ainsi « revenir » la femme aimée (Renate Reinsve) pour lui demander pardon de l’avoir tuée dans un accident de voiture. Des dialogues ridiculement affectés au revirement final qu’on voit arriver une heure à l’avance avec (attention : spoiler !) son petit côté « I see dead people », il n’y a rien à sauver dans ces très longues 130 minutes.

Hors du temps © Carole Bethuel

Du coup, on apprécie un peu mieux Hors du temps, réalisé par le Français Olivier Assayas, qui propose un essai autobiographique. Se rajeunissant un peu au passage, il se fait interpréter par Vincent Macaigne, ici nommé Etienne, que le confinement renvoie de façon inattendue en enfance. Il le passe en effet dans la belle propriété familiale à la campagne, en compagnie de son frère Paul (Micha Lescot), dans lequel tout le monde est supposé reconnaître son frère Michka, animateur sur France-Inter de l’émission Very Good Trip. Si cette référence vous échappe, peut-être ne faites-vous pas partie du public cible de Hors du temps, qui ne cesse de faire du name dropping, et d’aligner les renvois à une intelligentsia parisienne qui cultive son entre-soi avec une certaine délectation. Ces messieurs ont par ailleurs emmené avec eux leur compagne respective, celle d’Etienne (interprétée par Nine d’Urso) étant notablement plus jeune que lui. Bien qu’elle soit présentée comme réalisatrice de documentaires, elle semble avoir tout à apprendre de son illustre amant.

Mais si l’égocentrisme du réalisateur agace, si l’étalage incessant de sa culture et de sa propre importance irrite, si on n’en a rien à foutre des problèmes familiaux d’Olivier Assayas, on ne peut contester la sensibilité avec laquelle il filme la nature qu’il redécouvre lors de ce printemps 2020 qui fut, on s’en souvient, particulièrement beau. Les références à Auguste Renoir ou David Hockney font alors sens, approfondissant une réflexion sur la représentation du monde et du temps. Assayas est peut-être le premier à saisir au cinéma l’étrange atmosphère de ce moment du confinement, suspendu entre un passé soudain devenu irréel et un futur très incertain. Souvenons-nous que certains mettaient alors en doute que le cinéma puisse continuer à exister. Le réalisateur ne manque par ailleurs pas d’humour, y compris sur lui-même, et Macaigne apporte au rôle une chaleur inattendue.

In Liebe, Eure Hilde © Frederic Batier / Pandora Film

La nature semble pareillement offrir un refuge passager aux protagonistes du film allemand In Liebe, Eure Hilde, réalisé par Andreas Dresen. Il y rend hommage à Hilde Coppi. Arrêtée pour des faits de résistance et de collaboration avec l’ennemi soviétique, elle fut guillotinée, avec d’autres membres du réseau „Rote Kapelle“, par les nazis en août 1943.

Elle aussi est coincée entre un monde d’avant qui vient d’être anéanti, et un monde d’après qu’elle sait qu’elle ne connaîtra pas mais qu’elle veut meilleur pour son fils. Le film avance sur deux lignes temporelles : vers le futur et la mort dans les séquences qui suivent l’arrestation de Hilde; vers le passé et l’amour naissant pour son mari Hans (Johannes Hegemann) dans les flashbacks qui se passent pour la plupart en été, près d’un lac où les jeunes gens flirtent et profitent de la vie tout en planifiant la résistance. Dresen met en scène les retours en arrière dans des images granuleuses et dans les couleurs un peu délavées d’un bel été allemand qui appartient déjà au passé quand nous le découvrons. Sans aller jusqu’à l’anachronisme utilisé dans certains films récents comme Corsage, il réussit à éviter la raideur et l’artifice de beaucoup de films historiques en modernisant discrètement les décors et les costumes. La sensualité des images filmées par la directrice de la photo Judith Kauffmann célèbre de jeunes gens amoureux de la vie. En prison, Hilde met au monde un enfant pour lequel se battra jusqu’au bout cette petite femme frêle mais têtue et droite. Le réalisateur et son interprète Liv Lisa Fries, qui porte le film avec beaucoup de retenue et de dignité, évitent toute sensiblerie mais ne reculent pas pour autant devant la confrontation frontale avec la violence. La naissance de son fils en prison et l’exécution de Hilde sont des moments exemplaires en ce sens. Malgré quelques longueurs, In Liebe, Eure Hilde s’avère une belle première entrée allemande dans cette 74e compétition.

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