Ne pas être à sa place, c’est le sentiment qui lie une femme du XVIIIe siècle à deux lesbiennes en 1989 et à un hippopotame tué en Colombie en 2009.
Pepe de Nelson Carlos De Los Santos Arias
L’une des missions d’un festival international est de faire connaître des cinématographiques ignorées ou méconnues. Mission accomplie à la Berlinale qui accueille en compétition le long métrage dominicain Pepe. Tourné par Nelson Carlos De Los Santos Arias, Pepe relève du cinéma expérimental dans la mesure où il ne raconte pas vraiment une histoire mais est présenté comme la rêverie post-mortem d’un hippopotame tué en Amérique latine. A l’origine, il y a l’histoire vraie des hippopotames importés en Colombie par Pablo Escobar. Ils se sont échappés de son parc, ont proliféré et se sont répandus sur le rio Magdalena où ils constituent une menace pour la population et la faune locale. En 2009, un hippopotame appelé Pepe a été abattu, ce qui a déclenché une vague de protestations de la part d’associations de défense des animaux.

Le film donne une voix – plusieurs voix mêmes, en des langues différentes – à Pepe qui meurt sans jamais avoir compris où il se trouvait. Ce flottement identitaire et géographique justifie les errements de ses souvenirs en même temps que les digressions et les divagations du récit et le patchwork stylistique. Mais les métaphores cryptiques, les références codées et sans doute insaisissables pour un spectateur européen, les 1001 bifurcations vers des embryons d’histoire aussitôt abandonnées, ont vite fait de nous perdre et nous lasser en route.
Des Teufels Bad de Veronika Franz et Severin Fiala
Ce qui est sûr, c’est que Pepe a été déporté vers des contrées où il est considéré comme un intrus, inadapté au nouveau monde qui l’accueille, littéralement désaxé. Toutes proportions gardées, c’est un peu la situation dans laquelle se trouve Agnes, la protagoniste du film Des Teufels Bad, réalisé par les Autrichiens Veronika Franz (femme et collaboratrice de Ulrich Seidl qui a produit le film) et Severin Fiala, dont on avait vu en 2014 le film d’horreur Goodnight, Mommy.
Ils ont découvert par hasard le phénomène du « suicide indirect » au XVIIIe siècle : pour échapper à la damnation éternelle, des personnes suicidaires commettaient un meurtre afin d’être condamnées à la peine capitale, ce qui leur permettait de se confesser avant de mourir. Il s’agissait souvent de femmes et elles tuaient de préférence des enfants qui n’avaient pas encore péché et étaient donc, eux aussi, assurés d’aller au paradis. Les cinéastes ont retrouvé dans les dossiers judiciaires les cas de plusieurs de ces femmes souffrant de ce qu’on appelait alors « le bain du diable », autrement dit la dépression.

Agnes (Anja Plaschg), issue d’un village très pauvre en Haute-Autriche et mariée dans un autre, est l’une de ces femmes. Son mari Wolf (David Scheid) ne la touche pas. On comprend qu’il préfère les hommes, chose si taboue qu’il est inimaginable de seulement formuler ce genre de pensée. Agnes souffre en silence de ne pas avoir d’enfants. Elle se sent étrangère dans ce lieu où, pour sa belle-mère et pour les voisins, elle semble n’en faire jamais assez. Alors que Wolf, qui se reconnaît sans doute dans le déphasage de sa femme, se montre gentil et patient avec elle, Agnes monte de plus en plus souvent sur la colline où est exposé le corps en décomposition d’une femme décapitée après avoir commis un infanticide.
On est dans l’atmosphère de Läif a Séil : un village reculé, le poids de la religion et de la communauté, l’injonction faite aux femmes d’être mère. Des Teufels Bad opte cependant pour une description presque documentaire de la vie villageoise et de la lente descente aux enfers d’Agnes, dans le silence de Dieu et sous le regard impuissant de Wolf. Curieusement, le film n’atteint jamais l’intensité à laquelle on pourrait s’attendre. Le sentiment de gêne et de profond malaise qu’il suscite vient d’ailleurs : du sadisme avec lequel est mis en scène le chemin de croix de cette femme, torturée psychologiquement et physiquement durant deux longues heures devant nos yeux. Les cinéastes disent avoir voulu donner une voix aux femmes que l’Histoire a délaissées. Mais, contrairement à Pepe, Agnes n’a pas de voix. Elle n’a que des larmes et du sang à offrir.
Love Lies Bleeding de Rose Glass
Heureusement, Lou et Jackie sont là pour remettre les pendules à l’heure. Non pas qu’elles ne souffrent pas. La réalisatrice britannique Rose Glass ne lésine pas non plus sur le sang dans Love Lies Bleeding (Berlinale Spezial), déjà présenté à Sundance et qu’on verra bientôt au Luxfilmfest. Mais elles sont des filles du XXe siècle (1989 pour être précis) et les hommes, elles n’ont en rien à faire. Alors, quand la bodybuildeuse Jacky (Katie O’Brian), elle aussi déracinée, débarque dans la petite ville du Nouveau-Mexique où Lou (Kristen Stewart) gère une salle de sport, elles tombent très vite follement amoureuses l’une de l’autre. Et quand Beth (Jena Malone), la sœur de Lou, mariée à un gros macho qui la bat, atterrit à l’hôpital mais ne comprend toujours pas qu’elle doit le quitter, Jackie décide de prendre les choses en main. Bien entendu, la situation dérape de façon très gore, mais elle permet à Lou de se venger enfin d’un père amateurs de scarabées et de flingues (Ed Harris, quasi méconnaissable).
Marchant résolument dans les traces d’une tradition qui va de Bonnie and Clyde à Natural Born Killers en passant par Thelma and Louise, Rose Glass fait joyeusement voler en éclats l’idée toujours tenace que les réalisatrices ne devraient pas toucher à la violence au cinéma. Et très clairement, elle préfère les tomboys aux girlies. Une représentante de ces dernières (Anna Baryshnikov) est en tout cas salement malmenée. La fin hénaurme gâche un peu le plaisir mais, grâce aussi à l’alchimie entre Kristen Stewart et Katie O’Brian, Love Lies Bleeding restera dans les annales du genre.
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