Berlinale 7 – Aimer ou désespérer

Ce mercredi a été présentée dans la compétition berlinoise le film Black Tea, réalisé par Abderrahmane Sissako. Au Luxembourg, le film est coproduit par la société Red Lion, fondée par Pol Cruchten (décédé en 2019), dont l’amitié avec Sissako a permis cette collaboration.

Black Tea (c) Olivier Marceny /Cinéfrance Studios/Archipel 35/Dune Vision

Black Tea d’Abderrahmane Sissako

Abderrahmane Sissako est surtout connu pour le magnifique Timbuktu (2014) dans lequel il racontait l’occupation de la ville de Tombouctou par les islamistes, en rendant notamment hommage au courage et à la dignité des femmes. Dans Bamako (2006), il imaginait le procès intenté par des représentants de la société civile africaine à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international (FMI). Il fait des films féministes et poétiques sur des thématiques politiques et est actuellement l’un des seuls cinéastes, présents dans les festivals, à offrir un point de vue africain sur le monde.

Black Tea commence quelque part en Afrique où une jeune femme dit « non » devant le maire à l’homme qu’elle est censée épouser. Parmi les candidats au mariage qui attendent leur tour se trouve un couple mixte formé par une Africaine et un Chinois. Cela donne-t-il des idées à Aya (Nina Mélo) ? Toujours est-il qu’on la retrouve à Guangzhou (Canton). Femme libre et heureuse, elle travaille dans une boutique de thés, installée dans le quartier africain de la ville. Dans les moments creux, Cai (Chang Han), le patron du magasin, l’initie à la cérémonie du thé, extrêmement ritualisée. Ils sont attirés l’un par l’autre mais vivent leur amour avec la même délicatesse et la même sérénité que celles que nécessite la préparation du thé.

La Chine de Sissako est une Chine un peu irréelle, très stylisée en tout cas, somptueusement filmée. On est peu habitué à voir à l’écran des histoires d’amour sino-africaines et on sait qu’il existe (en Chine comme ailleurs) un racisme anti-Noirs qui est thématisé dans le film, mais passe à l’arrière-plan pour laisser la place à de vraies rencontres, au cours desquelles les personnages s’ouvrent les uns aux autres et trouvent les mots et les manières pour communiquer. Un exemple cocasse en est la traduction d’une négociation commerciale de l’arabe vers le chinois. En quelques plans, Sissako fait ressentir l’humanité de chacun, à l’exception peut-être du vieux beau-père de Cai, qui se fait – à juste titre – traiter de raciste par son petit-fils. Mais Black Tea est un film résolument optimiste, qui invite à dépasser les préjugés. Malgré une narration qui peut paraître anecdotique ou un peu légère, malgré la sérénité parfois un peu forcée du ton, le film à le mérite de nous ouvrir à un autre regard, politique et artistique.

Black Tea sera présenté au Luxfilmfest et sortira fin mars au Luxembourg.

Gloria! de Margherita Vicario

Gloria! (c) tempesta srl

Mercredi ont également été présentées deux œuvres italiennes on ne peut plus dissemblables (bien que partageant quelques acteurs). En compétition, Gloria !, le premier long métrage de Margherita Vicario, s’est révélé un véritable feel-good movie, rendant hommage aux compositrices et musiciennes oubliées du XVIIe siècle. Il est cependant curieux que la réalisatrice imagine pour cela que cinq d’entre elles auraient inventé la musique pop avant l’heure. Jouée spontanément au piano par une jeune paysanne visiblement très douée, ce rythme très moderne symbolise la liberté, l’affranchissement des règles et des conventions et bien sûr l’émancipation féminine (et, en passant, également celle des homosexuels) du patriarcat et de l’Eglise. C’est la musique de la jeunesse face aux représentants de l’Ancien Régime, qui vient d’être balayé par la Révolution française.

Le programme de la Berlinale précise que Margharita Vicario a écrit sa thèse de licence sur l’utilisation de la musique populaire dans le théâtre de Brecht. Ceci explique sans doute cela, mais artistiquement, on est quand même loin du compte. La joie et l’enthousiasme des cinq musiciennes (interprétées par Carlotta Gamba, Galatéa Bellugi, Veronica Lucchesi, Maria Vittoria Dallasta et Sara Mafodda) font néanmoins plaisir à voir et si on veut juste passer un bon moment, Gloria ! fera l’affaire.

Dostoïevski des frères D’Innocenzo

Il faut en revanche avoir l’estomac bien accroché pour se lancer dans la mini-série Dostoïevski, produite pour Sky par les frères Damiano et Fabio D’Innocenzo et présentée à Berlin hors compétition. Le moins qu’on puisse dire, c’est que leur nom de famille n’est pas programmatique car dans leur univers, tout le monde est coupable. Et si vous pensiez avoir touché le fond du désespoir avec le genre du Nordic noir, détrompez-vous !

Dostoïevski (c) Sky Studios Limited/Sky Italia srl/Paco Cinematografica srl (2023)

La série commence par la tentative de suicide d’Enzo Vitello (Filippo Timi), et sa vie n’ira qu’en s’empirant par la suite. Enzo est policier dans un commissariat délabré qui semble planté au milieu de nulle part. C’est une Italie qu’on voit rarement à l’écran, loin des circuits touristiques, l’Italie des pauvres, des marginaux, des laissés-pour-compte. Là sévit un tueur en série qui a la particularité de laisser sur les lieux des crimes des lettres contenant des réflexions nihilistes et la description de ses démons intérieurs. Ce sont ces lettres qui lui valent le surnom de « Dostoïevski ». Se reconnaissant dans la noirceur du tueur, Vitello entame avec lui une correspondance secrète. Parallèlement, il essaie de se rapprocher de sa fille toxicomane Ambra (Carlotta Gamba), qu’il avait abandonnée quand elle était enfant.

Sur six épisodes, la série suit la descente aux enfers d’un homme en guerre contre lui-même, hanté par le mal et la mort. La caméra des frères D’Innocenzo s’approche au plus près des corps – on a même droit à la coloscopie du protagoniste ! – et des cadavres, fascinée par cette chair mortelle et pourrissante qui constitue l’humanité. Les secrets qui sont dévoilés en chemin ont presque toujours un rapport avec les enfants, jetés malgré eux dans une vie où ne les attendent que la souffrance et la mort. On peut trouver malsain, voire pervers, un tel acharnement à décrire le chaos et l’anéantissement de toutes choses, mais le film parle aussi de survie et aboutit même – à la toute dernière image – à une sorte de réconciliation avec la vie. Les frères D’Innoncenzo proposent une vision singulière et particulièrement perturbante de l’existence humaine.

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