Berlinale 8 – Les combattantes

Confirmant une certaine tendance du cinéma actuel à mettre en scène des personnages de femmes fortes et déterminées à prendre en main leur destin, plusieurs films à la 74e Berlinale les décrivent en combattantes.

Après la résistante Hilde Coppi (In Liebe, Eure Hilde), les battantes Lou et Jackie (Love Lies Bleeding), la voyageuse Aya (Black Tea) et les compositrices réinventant la musique au nez et à la barbe des représentants de l’Ancien Régime (Gloria !), la 74e Berlinale a aligné ces derniers jours des femmes combattant pour leur famille, leur dignité ou leur survie.

Vogter de Gustav Möller

Vogter (c) Nicolaj Moeller

Dans Vogter du Danois Gustav Möller (connu pour son thriller en huis-clos, The Guilty), la gardienne de prison Eva Hansen (Sidse Babett Knudsen) voit son rituel quotidien chamboulé le jour où arrive un nouveau détenu. Elle le reconnaît, mais nous ne savons pas encore qui il est. Ce suspense un peu artificiel est maintenu un brin trop longtemps, jusqu’à ce qu’on comprenne que Mikkel (Sebastian Bull) est l’assassin du fils d’Eva.

La présence de Mikkel met à rude épreuve la droiture morale et l’intégrité professionnelle d’Eva. Mais est-il vraiment crédible qu’une gardienne puisse s’introduire en cachette dans la cellule d’un condamné ultra-surveillé dans un quartier de haute sécurité ? Ou procurer une autorisation de sortie à un meurtrier réputé incontrôlable ? En 2002, les frères Dardenne avaient réalisé un film fort et dérangeant sur la confrontation entre un père et le meurtrier de son enfant (Le Fils). Möller s’en tient en revanche à des situations attendues et les revirements d’Eva face à Mikkel (et vice-versa) arrivent trop rapidement pour être plausibles. Bref, on n’y croit pas.

Who Do I Belong To de Meryam Joobeurm

Who Do I Belong To (c) Tanit Films / Midi La Nuit / Instinct Bleu

La paysanne tunisienne Aïcha (Salha Nasraoui) se bat pour ses enfants. Sans crier gare, ses deux fils aînés sont partis au djihad, ne lui laissant que le petit dernier, Adam (Rayen Mechergui). Mais un jour, Mehdi (Malek Mechergui) revient, accompagné d’une femme enceinte et muette, portant le niqab, qu’il présente comme son épouse Reem. Son frère, raconte-t-il, a été tué. Caché dans l’étable pour échapper à la prison, le couple s’enferme dans le silence. Le comportement étrange de Reem fait peur au petit Adam et met en colère le père (Mohamed Hassine Grayaa). Aïcha tente de protéger Mehdi mais sent qu’il cache un secret.

Peu à peu, on comprend que Who Do I Belong To, premier long métrage de la réalisatrice Meryam Joobeurm, bien que filmé dans un style très réaliste, au plus près des personnages et des paysages, est en vérité une histoire de fantôme. Dans son niqab mauve, Reem hante littéralement le film, incarnation oppressante du traumatisme de la guerre subie partout dans le monde par les femmes. Le film est moins réussi dans la dernière partie impliquant une enquête policière à propos d’hommes disparus et d’animaux mystérieusement tués dans le village, mais Who Do I Belong To reste un premier film prometteur.

Une famille de Christine Angot

Premier film également, Une famille (dans la section Encounter) est un documentaire réalisé par la romancière Christine Angot. Elle y revient sur l’inceste subi, à partir de ses treize ans, de la part d’un père qu’elle rencontrait alors pour la première fois. Après en avoir fait le centre de son œuvre littéraire, Angot utilise cette fois le cinéma, non pour décrire les faits et le traumatisme qu’ils ont engendré chez elle et qu’elle a déjà souvent évoqués, mais la réaction des membres de sa famille (belle-mère, mère, ex-mari et fille). Rien que de dire ce mot – inceste – leur coûte, et pour elle c’est comme si on ne la croyait pas.

Une famille (c) Le Bureau Films / Rectangle Productions / France 2 Cinéma

Le film commence par des images amateurs montrant une petite fille marchant fièrement dans la rue, une baguette à la main. Elle rigole, elle dit « papa » à un homme qu’on ne voit pas. C’est la fille de Christine Angot. Sur ces films amateurs tournées en format vidéo, on découvre l’écrivaine en jeune mère attentive mais au visage fermé. Plus loin, il y a d’autres images de famille, des photos d’Angot adolescente, qu’elle commente en les situant avant ou après le premier viol, selon l’expression de son visage. Mais la vraie entrée dans le film est la confrontation, glaçante, avec la deuxième épouse du père décédé : une vieille femme élégante qui fait mine de s’apitoyer sur Angot, tout en luttant pour rester à distance de faits qu’à la fois elle prétend ne pas mettre en doute et dit ne pas pouvoir imaginer. Elle est prise dans ses contradictions, et alors qu’Angot voudrait lui faire dire que le père était un salaud, la belle-mère répète combien elle l’admirait.

D’autres personnes aimeraient donner à Christine Angot ce qu’ils pensent qu’elle veut entendre, mais n’y arrivent pas non plus. La mère a pris des notes, l’ex-mari a honte, parce que lui-même a été violé quand il était enfant. Mais ce que le film donne surtout à voir, c’est l’énorme, l’insoutenable violence que constitue pour la réalisatrice, cette impuissance des autres à dire le crime qui a foutu sa vie en l’air.

Shambhala de Min Bahadur Bham

Enfin, le dernier film en compétition suit la quête d’une jeune Népalaise enceinte, à la recherche d’un de ses maris (elle en a trois, dont un enfant d’une dizaine d’années). Parce qu’il croit qu’elle l’a trompé en son absence, Tashi (Tenzin Dalha) ne revient pas à la maison. Pema (Thinley Lhamo) part alors à sa recherche, en compagnie de son autre mari (et frère de Tashi), le moine Karma. 

Shambhala de Min Bahadur Bham, premier film népalais dans la compétition berlinoise, est un film qui subjugue d’abord par la grâce et la beauté des paysages (on est dans l’Himalaya), des costumes et des comédiens. Ça commence comme une tendre histoire d’amour et ça se termine en quête spirituelle et émancipation d’une femme. Il y a un côté quasi ethnologique, avec notamment la description du mariage polyandrique et le départ des marchands qui s’en vont échanger leurs produits à Lhasa et ne reviendront que quelques mois plus tard. Pema semble se débrouiller mais le film laisse entendre que le patriarcat n’est pas un concept inconnu dans ces communautés. On apprend notamment qu’une femme rencontrée en chemin se suicide parce qu’elle est accusée d’adultère et ne peut prouver son innocence. La confrontation entre les traditions et la modernité est pareillement thématisée à travers un petit garçon qui rêve de devenir pilote, ou un instituteur venu de la capitale pour instruire les villageois. Mais Min Bahadur Bham passe rapidement sur ces épisodes et l’un des défauts du film est le manque de variations dans le rythme, de même qu’une longueur excessive (150 minutes) pour un récit tout de même assez minimaliste.

Shambhala (c) Aditya Basnet / Shooney Films

La 74e Berlinale se termine donc sur un sentiment en demi-teinte. Dans un festival où étaient présents très peu de grands noms, la plupart des films présentaient l’un ou l’autre aspect intéressant dans le contenu et plus rarement dans la forme, mais pratiquement aucun n’était vraiment maîtrisé ou sortait du lot d’une façon ou d’une autre. La mission du jury présidé par Lupita Nyong’o, pour en faire ressortir des gagnants, s’annonce difficile.

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