14e Luxembourg City Film Festival 5 – Le grand écart

A mi-parcours, le Luxfilmfest fait le grand écart entre un thriller érotique britannique situé dans le milieu des drag queens, et une dénonciation implacable du régime totalitaire iranien.

Femme de Sam H. Freeman et Ng Choon Ping

Présenté hors compétition où il figure parmi une sélection d’œuvres arborant la mention LGBTQIA+, Femme risque d’être délaissé par la partie du public qui ne s’intéresse pas spécialement à la thématique des minorités sexuelles. Or, Femme est bien plus que cela : un épatant thriller érotique, sublimé par deux acteurs exceptionnels.

Femme (c) Agile Films/Anton/BBC Film

Nathan Stewart-Jarrett y est Jules, une drag queen très à l’aise dans son rôle et son existence, qui voit sa vie basculer le soir où il devient la victime d’une violente attaque homophobe. Quelques mois plus tard, il croise l’un de ses agresseurs dans un sauna gay. Constatant que Preston (George MacKay) ne l’a pas reconnu sans son maquillage et sa perruque, Jules entame avec lui une liaison, dans l’idée de dévoiler l’homosexualité de Preston sur les réseaux sociaux.

Jules endosse ici le rôle – traditionnel dans les thrillers érotiques – de la femme fatale manipulatrice, troublée par sa proie au point de ne plus être bien sûre de savoir encore distinguer entre haine et attirance, jouissance et vengeance. Pour séduire Preston, Jules doit abandonner son personnage flamboyant d’Aphrodite Banks et prendre l’apparence d’un homme « normal » (« Dress normal », lui dit Preston). Mais Preston joue lui aussi un personnage, celui du mec macho et ultra-viril. Contrairement à Jules, il n’est pas à l’aise avec son homosexualité qu’il doit à tout prix cacher à ses copains et qu’il tente de masquer par des rapports brusques et impersonnels. Entre les deux personnages s’installe une relation trouble au sein de laquelle Jules semble d’abord relégué dans le rôle de victime. Mais dès que Preston consent à s’ouvrir un tant soi peu, les rôles s’inversent.

Femme (c) Agile Films/Anton/BBC Film

La caméra suit ce revirement en se rapprochant de Preston dans la deuxième moitié du film, amenant de façon subtile le public à s’attacher à lui autant qu’il s’était jusque-là attaché à Jules. Le trouble de Jules devient alors le nôtre. Dans une atmosphère nocturne saturée par les néons multicolores des nuits londoniennes, Sam H. Freeman et Ng Choon Ping créent une tension érotique comme on en a plus vue depuis longtemps à l’écran. C’est d’autant plus étonnant que, pour eux-mêmes et leur directeur de la photo James Rhodes, spécialisé jusque-là dans la pub et l’enregistrement de concerts, Femme constitue un premier long métrage.

Mais le film vit en premier lieu grâce à ses deux acteurs principaux, Nathan Jarret-Stewart et George MacKay. La tension entre eux est palpable dès le premier regard qu’ils échangent au début du récit. Tous deux jouent des personnages apparemment extrovertis mais en réalité totalement renfermés. Dans le film, et à l’intérieur d’une même scène, l’un et l’autre sont capables de passer d’un sentiment extrême à un autre en déroulant toute la gamme des émotions intermédiaires. C’est une performance artistique qui a été récompensée par le prix de la meilleure interprétation conjointe pour les deux acteurs aux British Independent Awards, où le film a également remporté le prix des meilleurs costumes et celui du meilleur maquillage.

Terrestrial Verses / Chroniques de Téhéran d’Ali Asgari et Alireza Khatami

Ali Asgari n’est pas un inconnu au Luxfilmfest où il a déjà présenté Disapperance en 2018 et Until Tomorrow en 2002. Il revient cette année en compétition avec un film coréalisé – en seulement sept jours de tournage – avec Alireza Khatami et coproduit par Cynefilms au Luxembourg.

Terrestrial Verses (c) Cynefilms

Chroniques de Téhéran / Terrestrial Verses est constitué de neuf plans fixes. Neuf personnages – chacun plus âgé que le précédent – sont forcés de se justifier face à des représentants du régime iranien, qui restent invisibles. Ou plutôt, ils se trouvent à la place de la caméra, et donc à celle du public. A l’intérieur de ce dispositif minimaliste, les réalisateurs dénoncent – non sans humour – l’absurdité d’un système totalitaire qui prétend contrôler ses citoyens, de ce qu’ils pensent à ce qu’ils croient, en passant par les vêtements qu’ils portent et les prénoms qu’ils donnent à leurs enfants. Les agents du régime ne sont pas, comme ils le disent eux-mêmes, des gens de pouvoir, mais des petits chefs qui profitent sans vergogne de l’autorité que le système leur confère sur leurs compatriotes pour humilier ou accabler ceux-ci, deux d’entre eux n’hésitant par ailleurs pas à profiter de la situation pour se rincer l’œil ou exiger un droit de cuissage.

Mais le film célèbre aussi les multiples stratagèmes utilisés par les Iraniens pour retrouver un semblant de libre arbitre. Il y a la femme qui se rase la tête, l’homme qui tatoue des poèmes subversifs sur son corps, l’élève qui rend la monnaie de sa pièce à celle qui prétend lui faire la morale, le jeune père tournant en bourrique le fonctionnaire qui refuse d’inscrire le prénom « David » choisi pour son fils, et la fillette qui s’obstine à danser, cheveux défaits, dans le magasin où elle venue acheter son premier tchador. Réalisé en partie après l’apparition du mouvement Femme Vie Liberté, le film fustige l’aberration du foulard et l’hypocrisie d’une morale religieuse réduite à des normes arbitraires et une interprétation littérale du Coran. A la fin, il ne reste que l’apocalypse… ou l’effondrement du régime.  

Terrestrial Verses repasse jeudi, 7 mars, à 18h30 au Ciné Utopia et vendredi, 8 mars, à 20h30 à la Cinémathèque (les deux fois en présence d’Ali Asgari).

Als partizipative Debattenzeitschrift und Diskussionsplattform, treten wir für den freien Zugang zu unseren Veröffentlichungen ein, sind jedoch als Verein ohne Gewinnzweck (ASBL) auf Unterstützung angewiesen.

Sie können uns auf direktem Wege eine kleine Spende über folgenden Code zukommen lassen, für größere Unterstützung, schauen Sie doch gerne in der passenden Rubrik vorbei. Wir freuen uns über Ihre Spende!

Spenden QR Code