Berlinale 4 – Mères au bord de la crise de nerfs

La maternité est un des grands sujets de cette 75e Berlinale qui met en scène des mères névrosées, jugées de toutes parts, jamais certaines de bien faire et qui se demandent parfois si elles n’auraient pas mieux fait de ne pas avoir d’enfants.

C’est ce qui arrive dans If I Had Legs, I’d Kick You (Compétition) à Linda (Rose Byrne), thérapeute surmenée dont la fille souffre d’une mystérieuse maladie. L’enfant refuse de manger, a peur de tout et se plaint tout le temps. Le père prénommé Charles (Christian Slater), absent pour son travail, n’est présent que par téléphone interposé où il profère des conseils dénués de toute utilité. La spécialiste censée s’occuper de la fillette culpabilise la mère et fixe des objectifs inatteignables à l’enfant. Un jour, le ciel tombe (presque) littéralement sur la tête de Linda. Son plafond s’effondre, laissant un trou béant et suintant (qu’on retrouvera à la fin sous une autre forme sur le corps de l’enfant), et provoque une inondation qui rend l’appartement inhabitable. Linda doit déménager à l’hôtel avec sa fille et, à partir de là, les choses vont de mal en pis.

If I Had Legs, I’d Kick You © Logan White / A24

Un critique a comparé le film de Mary Bronstein à Eraserhead de David Lynch dans lequel un bébé monstrueux couinait à en donner la chair de poule et rendre fous ses parents. If I Had Legs, I’d Kick You est un peu plus réaliste mais presque aussi stressant. La cinéaste ne laisse pas un moment de répit à sa protagoniste. Toutes les personnes que rencontre Linda semblent la juger ou lui faire la leçon. Quand elle croit pouvoir souffler un instant, juste assez pour allumer un joint et siroter un verre de vin, la prochaine catastrophe se déclenche. Dès qu’elle s’éloigne de sa fille, on lui reproche de la délaisser. Quand elle se laisse extorquer un hamster par la gamine, c’est un désastre. L’une de ses patientes, obsédées par les tueuses d’enfants, disparaît en abandonnant un bébé que le père rechigne ensuite à récupérer. De façon générale, les hommes ne sont pas d’un grand soutien car absents, indifférents ou démissionnaires.

Mary Bronstein utilise des codes du film d’horreur, une tension constante et pas mal d’humour (noir) pour mettre en scène la descente aux enfers de Linda et nous placer dans sa tête d’autant plus efficacement que sa fille reste hors champ jusqu’au tout dernier plan. Elle devient ainsi une présence presque irréelle qui tourne à la hantise. Linda ne voit littéralement plus son enfant et ne ressent que ce poids qui l’écrase alors qu’elle sait pertinemment que son propre désarroi ne rend que plus douloureuse la situation pour sa fille.

L’enfant, un étranger

Mother’s Baby © FreibeuterFilm

Même si Linda pense être une mauvaise mère, elle n’en garde pas moins, tout au long du récit, un lien affectif avec son enfant et veut la sauver. Dans Mother’s Baby (Compétition) de l’Autrichienne Johanna Moder, Julia (Marie Leuenberger) est une cheffe d’orchestre renommée qui n’arrive pas à concevoir un enfant avec son mari Georg (Hans Löw). Une clinique privée leur propose une procédure spéciale et Julia tombe en effet enceinte mais l’accouchement se passe mal. Les médecins emmènent le bébé et les parents sont laissés de longues heures dans l’incertitude. Quand on leur présente enfin l’enfant, tout paraît rentrer dans l’ordre mais Julia se persuade peu à peu que le bébé qu’on lui a donné n’est pas celui qu’elle a mis au monde.

Comme Mary Bronstein, Johanna Moder tente d’utiliser les recettes du film d’horreur pour dépeindre ici une dépression post partum sévère. Julia refuse de donner un prénom au bébé et, par conséquent, de le considérer comme son enfant, recourant même, en allemand, au pronom impersonnel « es » pour le désigner. Elle exécute les gestes qu’on lui a enseignés pour le nourrir et le changer, mais n’arrive pas à construire avec lui la moindre relation et refuse toute aide de son entourage. Isolée chez elle, mise à l’écart de l’orchestre qu’elle dirigeait et bientôt remplacée par une plus jeune collègue, elle commence à chercher une signification cachée à chaque geste et chaque mot du gynécologue et de la sage-femme qu’elle soupçonne de cacher un mystérieux complot.

Mother’s Baby © FreibeuterFilm

Alors qu’on est tout le temps avec Linda dans If I Had Legs, I’d Kick You, on regarde Julia de l’extérieur dans Mother’s Baby. Cela tient en grande partie à la mise en scène et aux décors qui sont ici froids et impersonnels, à l’instar des sentiments que Julia n’arrive pas à développer envers son bébé. Mais cela place aussi une barrière entre elle et nous, encore augmentée par la répétition assez lassante de scènes dans lesquelles Julia multiplie les soupçons à l’égard de l’enfant et plonge insensiblement dans la folie. Ou peut-être pas. Le film aimerait laisser flotter une certaine ambiguïté quant à la réalité de ce que découvre Julia mais le drame de cette femme, qui voit en son enfant un étranger, nous laisse finalement insensibles.

Le fonctionnement de la justice

On vous croit © Makintosh Films

Dans On vous croit de Charlotte Devillers et Arnaud Dufey, on est au contraire en plein réalisme. Pratiquement l’ensemble de ce très court (78 minutes) film belge, présenté dans la section Perspectives, est tourné dans le bureau blanc, à la limite de la surexposition, d’une juge pour enfants. Face à elle, Alice (formidable Myriem Akheddiou) se bat pour sauver ses enfants de leur père (Laurent Capelluto, irréprochable dans un rôle casse-gueule) accusé d’avoir sexuellement agressé son jeune fils. Mais parce qu’elle est décidée à éviter que leur garde ne soit confiée à ce dernier, on dit qu’elle est « hystérique ». Parce que son fils en est tombé malade et a manqué l’école, elle est soupçonnée d’être une mauvaise mère.

Le film montre avec précision le fonctionnement de la justice, obligée de prendre en compte les déclarations de toutes les parties, de faire fi de l’accusation d’inceste qui fait l’objet d’une enquête encore en cours, et d’écouter sans intervenir les avocats et les parents plaider leur cause. La caméra cadre tous ces personnages sans bouger. Tout est affaire de parole. Parole donnée (d’éviter aux enfants de devoir côtoyer leur père au tribunal) mais pas toujours tenue, paroles difficiles à ordonner – il faut « bien penser à ce qu’on va dire » -, paroles parfois contradictoires, paroles qu’il faut aussi subir quand c’est l’autre qui énonce des propos inacceptables. Les réalisateurs nous placent tout de suite et sans ambiguïté du côté de la mère et nous embarquent dans son tourbillon d’émotions dans lequel elle a, elle aussi, peur de mal faire, de ne pas en faire assez ou d’en faire trop, constamment sur la corde raide entre sincérité et désir de convaincre. Les auteurs gagnent leur pari grâce à la précision des dialogues, l’excellence des acteurs professionnels et non-professionnels (les avocats sont interprétés par de vrais juristes) et un sens parfait du rythme.

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