Luxfilmfest 2 – Se souvenir de la lenteur des choses

La coproduction luxembourgeoise Slocum et moi ainsi que le beau documentaire The Brink of Dreams ont constitué les deux points forts du premier week-end du Luxfilmfest 2025.

Slocum et moi de Jean-François Laguionie (Made in/With Luxembourg)

En présentant dimanche le film Slocum et moi, le producteur Stephan Roelants (Mélusine Productions), tout en remerciant le Luxfilmfest d’accueillir cette coproduction majoritairement luxembourgeoise, fulminait une fois de plus contre l’idée apparemment indécrottable qui consiste à assimiler systématiquement les films d’animation au cinéma pour enfants. La projection, en présence du réalisateur Jean-François Laguionie, de la scénariste Anik Le Ray et du compositeur Pascal Le Pennec, avait ainsi lieu à 14h00.

Slocum et moi (c) Melusine Productions

Or, Slocum et moi, n’est pas en premier lieu un film pour enfants, en tout cas pas pour les petits. Âgé aujourd’hui de 85 ans, Laguionie s’y souvient de son adolescence sur les bords de la Marne, et de l’amour de ses parents qui avaient construit, dans leur petit jardin, une réplique du bateau de Joshua Slocum, premier homme à avoir réalisé un tour du monde en solitaire sur un voilier. C’est une vie tranquille dans une France tout juste en train de se relever après la Seconde guerre mondiale. Plus proche de sa mère, le jeune garçon éprouve pour son père, qui n’est pas son géniteur biologique, une tendresse parfois mêlée de malaise.

La construction du bateau prend plus de cinq ans – à peu près le temps de production du film. Laguionie s’inscrit dans ce temps long et lent. Le jeune garçon comprendra bien plus tard que ce qui comptait, ce n’était pas le voyage, mais le rêve du voyage et les liens qu’il a permis de tisser durant toutes ces années entre lui et ce père adoptif parfois un peu maladroit, un peu bourru aussi.

S’il peut apprendre quelque chose à un public jeune – et faire s’en souvenir les plus âgés – c’est qu’il est concevable qu’on prenne son temps, et qu’il est même parfois permis de le perdre. Avec ses couleurs pastel, le jazz manouche qui rythme les sorties familiales, les jours d’ennui où rien ne se passe ou les escapades au bord de l’eau du jeune François, ce film délicatement suranné et un brin languissant, fonctionne comme l’antithèse du monde dans lequel voudraient nous entraîner Musk et consorts. A ce titre, il ferait presque figure d’acte de résistance.  

The Brink of Dreams de Nada Riyadh et Ayman El Amir (Collaboration artistique)

Le temps long est aussi celui qui fut nécessaire pour le tournage du film égyptien The Brink of Dreams réalisé par Nada Riyadh et Ayman El Amir et qui leur a valu au dernier Festival de Cannes l’Œil d’or du meilleur documentaire. Il a fallu deux ans de recherche, suivies de quatre années de production et la mise en place d’une véritable relation de confiance pour réaliser ce documentaire étonnant sur un groupe de jeunes filles coptes qui font du théâtre de rue dans le sud de l’Egypte. Avec détermination, intelligence et courage, elles posent à leurs spectateurs et spectatrices des questions qui dérangent, notamment sur le rôle des femmes. Leurs spectacles, mis en scène par Majda, la plus engagée d’entre elles, ne plaisent pas à tout le monde. Au mieux, ils sont considérés comme un passe-temps avant le mariage, au pire comme une activité indécente.

The Brink of Dreams (c) The Party Film Sales

Peu à peu, le groupe va pourtant se désagréger quand les filles atteignent l’âge d’être mariées. Avec un pincement au cœur, on les voit alors, l’une après l’autre, abandonner leur rêve de devenir comédienne ou chanteuse. Bien que les mariages arrangés constituent justement l’un des sujets récurrents de leurs représentations, au moins deux d’entre elles vont rapidement rentrer dans le moule patriarcal imposé par la société. Le poids de cette tradition est si fortement ancré, même dans la tête de ces militantes féministes, que la jeune Haidi se conformera aux désirs de son fiancé – redoutable manipulateur sous son air sympa – qui souhaite qu’elle arrête le théâtre, alors même que le père de la jeune fille l’encourage au contraire à continuer. Monika épouse de son côté son cousin et devient une très jeune maman. Seule Majda tentera de poursuivre son rêve en allant étudier le théâtre au Caire.

Restant toujours près de leurs jeunes protagonistes, le couple de cinéastes réussit un très beau et poignant récit de passage à l’âge adulte dans un environnement qui ne fait aucun cadeau aux femmes. Les mères et sœurs des protagonistes sont d’ailleurs absentes du film dans lequel les familles ne sont représentées que par les pères, frères et futurs maris.

Architecton de Victor Kossakovsky (Collaboration artistique)

Architecton (c) A24

The Brink of Dreams a été présenté dans une séance unique avec la Theater Federatioun. Une autre collaboration artistique, cette fois avec Paperjam, permettra mercredi 12 mars de découvrir l’envoûtant documentaire Architecton de Victor Kossakovsky, connu pour avoir tourné Gunda (2020) sur la vie d’un cochon de ferme. Dans Architecton, présenté l’année dernière en compétition à la Berlinale, il s’intéresse cette fois… aux pierres et demande pourquoi nous nous entêtons à privilégier la laideur à la beauté, le béton à la nature, le court terme à l’éternité.

Invention (Compétition documentaire)

Invention (c) Neurotika Haus / Jacket Weather Production

Ces deux derniers films auraient pu figurer dans la compétition documentaire à la place de Invention de Courtney Stephens, présenté comme un objet « hybride » dans le programme sous prétexte que l’actrice principale Callie Hernandez rejoue un événement de sa vie devant la caméra. Mais ce qui fonctionnait parfaitement dans le délicieux Vittoria, donne lieu ici à un film plus flottant, en partie parce que la caméra reste toujours à distance de la protagoniste qui, pour faire le deuil de son père, doit d’abord décider quelle attitude adopter vis-à-vis de lui. Ce père était en effet un médecin excentrique, inventeur et concepteur de théories étranges sur la circulation de l’énergie entre le corps humain et le cosmos. C’est assez intriguant au départ mais la réalisatrice ne semble pas trop savoir où elle veut nous emmener. Les interludes durant lesquels on l’entend discuter en off du film avec son actrice ne sont pas plus éclairants et n’apportent rien au procédé. (Prochaine séance le 12 mars)

Sex de Dag Johan Haugerud (Hors compétition)

Le Norvégien Dag Johan Haugerud vient de remporter à la Berlinale 2025 l’Ours d’or pour son film Dreams, dernière partie d’une trilogie dont le Luxfilmfest présente le deuxième épisode Sex hors compétition. Un peu moins réussi que Dreams car systématiquement construit sur une suite de discussions entre chaque fois deux personnages, Sex raconte le désarroi d’un homme qui se voit en rêve devenir une femme en la présence de David Bowie, alors que son collègue vit une inattendue rencontre sexuelle avec un inconnu et commet l’erreur d’en parler à sa femme. La (re)mise en perspective de la sexualité masculine est mise en scène avec un brin d’humour et sur un ton agréablement anodin, ce qui rend d’autant plus gênant la réaction de l’épouse qui ne cesse de faire un drame à propos de l’infidélité homosexuelle de son mari.  Ces événements somme toute mineurs ne justifient en tout cas pas la durée de plus de deux heures du film, aussi bien écrit soit-il. (Prochaine séance le 11 mars)

Sex (c) Motlys

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