Au début de sa deuxième mi-temps, le 15e Luxfilmfest propose un excellent long métrage écossais en compétition, alors que la présence de Vicky Krieps ne suffit pas à soutenir l’attention tout au long d’un film de fantômes quelque peu maniéré.
On Falling de Laura Carreira (Compétition)

La Portugaise Aurora (Joana Santos) travaille en Ecosse dans un entrepôt, genre Amazon, où elle rassemble dans son caddy les commandes qui seront ensuite expédiées aux clients. Ils sont des dizaines comme elle, surveillés à distance par les managers et rappelés à l’ordre par les bips de leurs lecteurs de codes barres dès qu’ils s’arrêtent de scanner.
Au début de son premier long métrage On Falling, Laura Carreira nous place au milieu des employés qui s’apprêtent à franchir le tourniquet de sécurité pour aller au travail. L’image rappelle à la fois la file des ouvriers dans le film Metropolis et l’entrée d’un camp de prisonniers. On suit ensuite longuement Aurora dans les couloirs de l’entrepôt, cherchant dans les étagères les divers objets à déposer dans son caddy, tout en activant inlassablement son scanner. Quand leur rendement est supérieur à ce qu’on attend des ouvriers, ils ont droit à un morceau de chocolat. Quand il se situe en dessous des quotas exigés par la direction, les fautifs sont instantanément rappelés à l’ordre. C’est un travail monotone, abêtissant, qui réduit les travailleurs au rang de bêtes de somme – ce que démontre littéralement la réaction d’un petit garçon visitant les lieux avec ses parents. Pendant les repas, ils se parlent à peine, s’isolant sur leur portable. Quand l’un d’eux se suicide, les autres constatent qu’ils ne connaissaient même pas son nom.
Dans l’appartement qu’elle partage avec des inconnus, Aurora se retrouve pareillement en tête à tête avec son téléphone. Les relations avec ses colocataires sont cordiales mais superficielles. Dès qu’un lien humain semble aller au-delà du papotage inconséquent, chacun se retranche sur son portable. Quand s’y adjoint la précarité matérielle, ce mode de vie rend les humains incapables de vraies interactions, les dépouille de toute volonté, les plonge dans la solitude et les jette dans une crise d’identité profonde. Un carton, qui se met de façon impromptue à exécuter une drôle de chorégraphie sur un tapis roulant, a plus de personnalité que ces ouvriers.
A l’instar de Boris Lojkine qui, dans L’histoire de Souleymane nous a récemment mis dans la peau d’un livreur de restaurant sans papiers, Laura Carreira décrit la monotonie et la pression auxquelles sont soumis ceux qui font en sorte que nous ayons tout tout de suite, et l’aliénation – au sens marxiste du terme – qui va avec. Sa mise en scène volontairement répétitive épouse le sujet du film sans jamais s’avérer lassante, jusqu’à une scène bouleversante où, face à une recruteuse, Aurora saisit tout à coup le vide de son existence. (Prochaine séance le 14 mars)
Went Up the Hill de Samuel Van Grinsven (Hors compétition)
Bien loin du réalisme abrupt de On Falling, il est encore question d’aliénation, mais dans un autre sens, dans le long métrage Went Up the Hill du Néo-Zélandais Samuel Van Grinsven, qui se plaît à jouer sur les codes du film d’horreur sophistiqué et du conte de (méchante) fée. Dacre Montgomery (connu pour son rôle de Billy Hargrove dans la série Stranger Things) y est Jack, un jeune homme venu à l’enterrement d’une mère qu’il n’a pas connue. Il est accueilli par Jill (Vicky Krieps), la mystérieuse veuve de cette dernière. On comprend vite que derrière ce drame familial se cache un secret qu’il faudra mettre à jour pour que tous deux puissent continuer à vivre. Or, dès que le sommeil s’empare de Jack et Jill, ils sont possédés à tour de rôle par le fantôme de la défunte qui n’a pas que de bonnes intentions. Cela donne lieu à quelques séquences insolites, comme celle où la mère s’empare du corps de son fils pour faire l’amour avec sa veuve.

Le pitch semble donc plutôt alléchant mais, malheureusement, le réalisateur s’intéresse davantage à sa mise en scène très affectée qu’à la crédibilité de son histoire. Fonds noir, reflets dans un miroir, maison d’architecte en béton et bois au milieu des montagnes, hurlement du vent, craquements dans la maison et craquements de la glace sur l’étang devant la maison, constituent l’ambiance tourmentée dans laquelle les deux personnages se déplacent comme s’ils étaient eux-mêmes des fantômes, chuchotant et poussant de grands soupirs plutôt que de parler normalement. Le mystère, sur lequel l’intrigue repose, est quelque peu biaisé d’emblée, puisque le spectateur se rend bientôt compte qu’il aurait suffi de poser les bonnes questions à la sœur de la morte pour que Jack comprenne ce qui a bousillé son enfance, et pour que Jill soit confrontée à la vraie nature de son épouse.
Showcase Shorts Pro (Made In/With Luxembourg)
Lundi a été présenté, sous le titre un peu pompeux de Showcase Shorts Pro, la traditionnelle soirée des courts métrages luxembourgeois, qui permet chaque année à une douzaine de plus ou moins jeunes réalisateurs et réalisatrices de se faire remarquer. Outre le déplaisant Huss de Laurent Prim, qui met en scène une sorte de vigilante dans l’Ösling où les habitants décident de se débarrasser d’un (très) méchant concitoyen sans que cet acte d’auto-justice ne soit réfléchi ou mis à distance par un point de vue quelconque, on retiendra quatre films, tous réalisés par des femmes.
Ce qu’il reste de Céline Coutelier Schlesser, passée par le BTS Cinéma et Audiovisuel, raconte de façon convaincante, en tout juste 13 minutes, la relation entre une jeune femme (Juliette Moro) et sa mère (Valérie Bodson), qui se retrouvent après le suicide assisté de de la grand-mère.
Troisième court métrage de Roxanne Peguet, Mia Mio met en scène la crise d’identité, après une soirée alcoolisée, de Mia, jeune femme mal dans sa peau. Dans le rôle titre, l’excellente Magaly Teixeira passe en vingt minutes par plusieurs états d’âme avant d’accepter l’idée de changer de corps pour être en phase avec elle-même.

Régisseuse, assistante de production, éducatrice spécialisée, Marylène Andrin-Grotz en est également à son troisième long métrage qui est aussi son plus réussi, grâce notamment à l’interprétation intense de Timo Wagner qui joue dans Raccrocher un éducateur un peu trop impliqué dans son travail. Le rythme frénétique du film épouse parfaitement le bouillonnement d’Elio, les nerfs à fleur de peau mais incapable de sauver ses protégés et lui-même.
Enfin Anne Simon, surtout connue au théâtre mais déjà autrice d’un court métrage précédent, signe cette fois avec l’actrice Céline Camara Fade to Black, un scénario plutôt malin, qui mêle la mythologie luxembourgeoise à une réflexion plus profonde qu’il n’y paraît d’abord, sur la façon dont les meilleures intentions du monde – fièrement exhibées – peuvent conduire au contraire de ce qu’on voulait faire. En l’occurrence, l’idée d’une Mélusine noire (interprétée par Céline Camara) n’aboutit dans le récit au bout du compte qu’à réduire, une fois de plus, cette dernière à la couleur de sa peau, tout en la privant de parole.

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