Produit par le célèbre documentariste Alex Gibney, The Bibi Files donne la parole aux opposants israéliens du gouvernement Netanyahu. Ils décrivent la dérive d’un homme politique autrefois respecté, qui ne fait plus la différence entre sa personne et le pays qu’il dirige, qui s’est cru au-dessus des lois et à qui il ne reste désormais que la fuite en avant.
Samedi après-midi à Luxembourg. Au Glacis, les gens se rassemblent pour une manifestation appelant à arrêter les bombardements dans la bande de Gaza. Beaucoup hésitent à les soutenir, de peur d’être qualifiés d’antisémites. Mais à quelques dizaines de mètres du lieu de rassemblement, un film à l’affiche du ciné Utopia donne la parole à des Israéliens qui combattent le gouvernement Netanyahu et se désolent, eux aussi, de ce qui est en train de se passer à Gaza et en Israël.

The Bibi Files est produit par l’Américain Alex Gibney. Connu pour avoir remporté l’Oscar du meilleur documentaire en 2008 avec Taxi to the Dark Side (2007) dans lequel il mettait en cause l’armée américaine, accusée d’avoir torturé à mort un chauffeur de taxi afghan peu après le 11 septembre 2001, il n’a cessé d’interroger les structures et les abus de pouvoir, la corruption et l’emprise de l’argent. Il a réalisé des films sur des scandales financiers (Enron : The Smartest Guy in the Room, 2005), les abus sexuels dans l’église catholique (Mea Maxima Culpa : Silence in the House of God, 2012), la scientologie (Going Clear : Scientology and the Prison of Belief, 2013), la crise des opioïdes (The Crime of the Century, 2021) mais aussi sur Lance Armstrong (The Armstrong Lie, 2013), Steve Jobs (Steve Jobs : The Man in the Machine, 2015) ou l’oligarque et ennemi juré de Poutine, Mikhaïl Khodorkovski (Citizen K, 2019). Actuellement, il prépare un documentaire sur Elon Musk.
C’est à cet homme qu’une personne voulant rester anonyme a envoyé un jour un message annonçant qu’elle voulait mettre à sa disposition des documents quelque peu particuliers. Il s’agissait de près de mille heures d’enregistrements de la police israélienne, plus exactement des interrogatoires réalisés, entre 2016 et 2018, dans le cadre des enquêtes menées contre Benjamin Netanyahu pour fraude, corruption et abus de confiance. Gibney, qui ne parle pas l’hébreu, a alors contacté en Israël le journaliste d’investigation Raviv Drucker, qui lui a confirmé l’intérêt de ces vidéos et est devenu conseiller et intervenant sur le film.
N’ayant pas le temps de diriger le film lui-même, Gibney a fait appel à la réalisatrice sud-africaine Alexis Bloom dont il avait produit auparavant le documentaire sur Roger Ailes (ancien PGD de Fox News et conseiller de Trump) intitulé Divide and Conquer : The Story of Roger Ailes (2018). Elle a un père juif et connaît bien Israël. En complément des images reçues, parmi lesquelles il a fallu faire un tri et trouver un fil rouge, Alexis Bloom a interrogé de nombreux témoins et commentateurs de la scène politique israélienne, dont la plupart n’ont toutefois pas voulu apparaître dans le film.
Ceux qui s’expriment à l’écran tracent de Benjamin Netanyahu le portrait d’un premier ministre en Roi-Soleil, ne faisant plus la différence entre sa personne et Israël, méprisant, menteur, corrompu jusqu’à la moelle et terrorisé à l’idée d’aller en prison. On en parle peu dans les médias européens, mais son procès pour fraude et abus de confiance est toujours en cours, bien que régulièrement perturbé par la guerre.
L’un des principaux témoins dans l’une des affaires de corruption reprochées au Premier Ministre israélien est le discret mais sulfureux milliardaire Arnon Milchan, ancien espion et marchand d’armes israélien, qui s’est réinventé en producteur hollywoodien. Il a à son actif des films comme Pretty Woman, JFK, Fight Club, Brazil, The Revenant, 12 Years a Slave, Once Upon a Time in America, Bohemian Rhapsody, Birdman et The Big Short.
Hadas Klein, ancienne assistante de Milchan, détaille devant la caméra d’Alexis Bloom les cadeaux que son patron faisait régulièrement au couple Netanyahu: des cigares et des bouteilles de champagne hors de prix, mais aussi des bijoux. Simples cadeaux entre amis, comme l’affirme Netanyahu, ou pots-de-vin sous-entendant quelques faveurs que seul un Premier Ministre peut accorder? Milchan aurait largement profité en Israël de baisses d’impôts et il semble que Netanyahu soit intervenu auprès de John Kerry afin d’obtenir un visa longue durée pour son copain (peu apprécié des autorités états-uniennes depuis qu’il s’est vanté d’avoir procuré secrètement à son pays des technologies nucléaires).
Milchan est l’une des personnes interrogées par les policiers israéliens aux côtés de quelques autres milliardaires, dont au moins un se demande si le moment ne serait pas venu de mettre un terme à son amitié avec Bibi. Comme Netanyahu lui-même, ils conservent vis-à-vis des policiers au moins une politesse de surface. A l’exception d’un enregistrement, durant lequel, acculé par les déclarations d’un ancien conseiller, Netanyahu surjoue l’indignation et la colère, il s’exprime généralement sur un ton posé et faussement désinvolte. Ce n’est pas le cas de sa femme Sara et de son fils Yair. Sara Netanyahu, qui apparaît comme une femme avide de reconnaissance et de pouvoir, et dont les accès de colère sont craints aussi bien par les assistants de son mari que, d’après certains témoignages, par son mari lui-même, insulte les policiers tandis que son rejeton Yair leur jette à la figure qu’ils sont la Stasi et la Gestapo réunies. Enonçant des propos clairement d’extrême-droite, le fils ainé du couple Netanyahu menace les policiers et se comporte comme un enfant gâté qui n’en a rien à faire des lois de son pays ou de la retenue qui devrait être celle d’un fils de Premier Ministre.

C’est l’histoire d’une famille ayant fait main basse sur Israël et bien décidée à ne pas lâcher le morceau. Netanyahu semble même rêver de voir Yair prendre sa succession! C’est du moins ce que constatent, consternées, les personnes témoignant dans le film, dont Ehud Olmert (ancien Premier Ministre, accusé lui-même de corruption, il avait démissionné et passé plusieurs mois en prison), mais aussi des hommes politiques faisant partie de l’opposition, d’anciens collaborateurs de Netanyahu ou encore son ami d’enfance, le médecin Uzi Beller, qui a visiblement du mal à retrouver en Benjamin Netanyahu le Bibi de sa jeunesse.
Le film dépeint surtout la dérive d’un homme politique autrefois respecté, qui s’est cru un jour au-dessus des lois (ou a cru pouvoir s’arroger le droit de les concevoir à sa guise), et à qui il ne reste désormais que la fuite en avant. Lorsqu’il a refusé de démissionner au moment de son inculpation pour corruption et abus de confiance, les partis du centre et de la gauche se sont détournés de lui. Il a dû alors chercher des soutiens dans l’extrême-droite et s’est ainsi rendu dépendant de gens comme le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, condamné en 2007 pour avoir soutenu un groupe terroriste, ou le ministre des Finances et suprémaciste juif Bezalel Smotrich, qui qualifie les Palestiniens de « peuple fictif ».
Rappelant que Netanyahu a approuvé l’envoi de millions de dollars au Hamas par le Qatar, avec l’idée de “diviser pour mieux régner” – empêcher la création d’un Etat palestinien en séparant la Cisjordanie (administrée par l’Autorité palestinienne) et Gaza (où règne le Hamas) -, le film ne rend pas le Premier Ministre directement responsable de l’attaque du 7 octobre mais soutient que la politique de Netanyahu a facilité le pogrom et qu’en désespoir de cause, il continue la guerre à Gaza pour échapper à la prison. Depuis la sortie du film, le Premier Ministre fait également l’objet d’un mandat d’arrêt pour crimes contre l’humanité délivré par la Cour pénale internationale, en comparaison duquel les accusations de corruption peuvent paraître dérisoires.
Les auteurs du film ont apparemment sollicité une interview de Netanyahu qui lui aurait permis de répondre aux accusations mais qu’il a refusée. A défaut, The Bibi Files donne la parole aux Israéliens qui se battent pour mettre fin à la guerre, mais aussi sauver la démocratie israélienne.
L’un des témoins évoque l’habileté de Netanyahu à convaincre un auditoire en se servant notamment de sa voix chaude et enveloppante, qualifiée d’agréable baryton. Mais il y a dans le film une voix qui s’oppose à celle de Netanyahu, la voix presque encore enfantine mais ferme de Gili Schwartz. Cette jeune femme réside à Be’eri, le kibboutz dans lequel près d’une centaine de personnes, qui étaient ses voisins et ses amis, ont été massacrés le 7 octobre. Alexis Bloom montre les images glaçantes des Israéliens fuyant devant les terroristes du Hamas et de Be’eri ravagé, tout comme elle montre celles des Gazaouis bombardés. Gili Schwartz, qui ne veut plus entendre parler de Netanyahu, considérait les uns et les autres comme ses voisins. Face aux discours de haine, de mépris, de peur ou de résignation, elle est la seule à apporter un peu d’humanité et d’espoir.
Netanyahu a essayé, sans succès, d’interdire la projection du film au festival de Toronto à la fin de l’année dernière. Il a également demandé qu’une enquête soit ouverte contre Raviv Drucker. Le film ne peut pas être montré en Israël parce qu’une loi y interdit de rendre public des enregistrements réalisés au cours d’une enquête (c’est pourquoi Netanyahu a ironiquement été masqué dans la bande annonce), mais de nombreux Israéliens se sont procuré des copies pirates. Aux Etats-Unis, le film n’est diffusé que sur une petite plateforme dédiée aux auteurs indépendants. La Belgique et le Luxembourg semblent pour l’instant être parmi les rares pays où il est visible sur grand écran.
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