Un néo-noir indien réalisé par une femme

Santosh de Sandhya Suri

Dans Santosh, la réalisatrice Sandhya Suri suit le parcours d’une jeune femme qui intègre la police et se trouve confrontée à la corruption, à la violence et aux multiples règles non écrites de la société indienne lors d’une enquête sur le viol et l’assassinat d’une adolescente.

© BFI – BBC – MK2

C’est un film indien sans musique. Enfin, presque. Dans une scène, la policière Santosh (Shahana Goswami) et sa supérieure Sharma (Sunita Rajwar) écoutent de la musique bollywoodienne dans leur voiture. Elles discutent de la sincérité des interprètes. Est-ce juste du spectacle ? Ou bien y croient-ils vraiment ? Mumbai (ancienne Bombay d’où Bollywood tire son appellation) elle-même apparaît dans le film de Sandhya Suri comme un Eldorado, mi-fantasmé mi-réel, sur les photos qu’un des protagonistes garde sur son portable.

Née en Grande-Bretagne dans une famille d’origine indienne, Sandhya Suri est à la base documentariste et travaille d’habitude avec des images d’archives. Celles de sa famille dans son très beau premier documentaire I For India (2005). Et celles du British Film Institute dans Around India With a Movie Camera (2018) dans lequel elle posait un regard personnel sur l’Inde d’avant l’indépendance à travers les premières images filmées et sauvegardées par les colonisateurs.  

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La frontière ténue, entre ce que montrent les images et ce qu’elles cachent, constitue ainsi pour la cinéaste un terrain familier. Tous les personnages dans Santosh se fabriquent pareillement une façade pour se conformer à ce qu’on attend d’eux, contourner des règles justes ou injustes, s’imposer dans un milieu hostile ou faire valoir une application de la justice qui peut paraître moralement douteuse.

Santosh elle-même est une jeune femme dont le mari policier vient d’être tué dans une ville fictive au nord de l’Inde. Sans enfants, considérée comme rebelle parce qu’elle a fait un mariage d’amour et a tenu à habiter seule avec son mari, Santosh refuse de s’humilier devant ses beaux-parents qui sont supposés la recueillir. Elle apprend qu’elle peut profiter d’une disposition appelée compassionate appointment qui permet, après le décès d’un fonctionnaire, à un membre dépendant de sa famille de reprendre son emploi. C’est ainsi que Santosh hérite du boulot de son mari et intègre une administration gangrenée par la corruption et aux prises avec les multiples règles non écrites qui régissent dans ce pays les relations entre les classes sociales, les genres, les castes et les religions.

©Taha Ahmad

Dès qu’elle enfile l’uniforme, Santosh change de personnage. Elle se tient beaucoup plus droite et marche différemment. L’uniforme lui confère un rôle et une place dans la société, la protège mais la rend aussi, directement ou indirectement, complice, aux yeux de la population, des dysfonctionnements de la police. Santosh est loin d’être candide mais elle observe ce nouveau monde sans a priori. Quand une adolescente disparaît et que tout le monde au commissariat s’en fiche parce que la fille fait partie d’une caste inférieure, Santosh essaie d’aider les parents. La fille est retrouvée au fond d’un puits et c’est encore Santosh qui amène à la morgue le cadavre qu’aucun des autres policiers n’accepte de toucher. Elle apprend que la victime a été violée et torturée et que son meurtrier présumé pourrait être un jeune musulman qui s’est enfui après la découverte du crime.

Pour s’occuper de cet énième féminicide, la brigade fait alors appel à Sharma, une inspectrice plus âgée qui prend Santosh sous son aile et lui enseigne les règles nécessaires à la survie dans un univers très majoritairement masculin et sexiste.

© BFI – BBC – MK2

Avec son premier long métrage de fiction, Sandhya Suri réussit un magnifique portrait de femme(s). Sans beaucoup de paroles et d’explications, c’est par petites touches qu’elle nous rapproche peu à peu des personnages qui ne livrent cependant jamais tout à fait leurs secrets.

Santosh a été interdit en Inde où on n’a apparemment pas apprécié la description de la torture utilisée par la police, alors que la Grande-Bretagne l’a choisi pour la représenter à l’Oscar du meilleur film étranger. La réalisatrice elle-même qualifie son film de néo-noir parce que tous les personnages agissent dans un univers violent où la fin justifie souvent les moyens, y compris, peut-être, au prix de la vie d’un innocent. Et même si Sandhya Suri nous offre une échappatoire à la fin (et un bel hommage au cinéma !), personne, spectateurs compris, n’en sort vraiment indemne.

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