Bêtes humaines : 18e Festival Cineast – 1

Le 18e Festival Cineast présente comme d’habitude un programme riche en films venus d’Europe de l’Est et centrale. Le très beau documentaire polonais Trains, réalisé à partir d’images d’archives, et le film slovène Little Trouble Girls, font partie des productions à découvrir dans les deux semaines à venir.

Trains © Drygas Production / Era Film

Voyage à travers cinq décennies et deux guerres

L’histoire du chemin de fer est étroitement lié à celle des Etats européens. Il n’y a qu’à penser à notre Feierwon, composé par Michel Lentz en 1859 pour célébrer le départ du premier train de la gare de Luxembourg et devenu l’hymne inofficiel du Grand-Duché. On y célèbre – vingt ans après l’indépendance du pays – son patriotisme en clamant « Mir wëlle bleiwe wat mer sinn » (à l’occasion changé en « Mir wëllen dach keng Preise sinn »), tout en exprimant sa fierté de participer désormais au grand concert des nations. Le chemin de fer est indissociable de la révolution industrielle, de l’essor de la sidérurgie… et de la naissance du cinéma. L’un des premiers films présentés par les frères Lumière est L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat (1896).

Et c’est donc en se concentrant sur les trains que le réalisateur polonais Maciej J. Drygas a entrepris de raconter l’Europe dans la première moitié du XXe siècle. Il a écumé pour cela près d’une centaine d’archives cinématographiques, dénichant d’étonnantes images inédites, à commencer par celles, montées au début du film, de la construction d’une imposante locomotive. Trains a remporté les prix du meilleur film et du meilleur montage (Rafal Listopad) au prestigieux festival du cinéma documentaire à Amsterdam (IDFA).

Sans commentaire, uniquement composé d’images d’archives (la plupart admirablement restaurées), Drygas nous entraîne dans un saisissant voyage humain à travers cinq décennies et deux guerres. Au début, c’est la joie qui prédomine. Les trains sont pour la plupart luxueux. On y danse au son d’un orchestre monté à bord et dans l’un d’eux, il y a même une salle de cinéma. Des dames en crinoline attendent sur le quai, les passants scrutent la caméra avec curiosité. Puis se mêlent à ces passants des hommes en uniforme, et soudain, il n’y a plus qu’eux dans les trains. Eux qui s’en vont en faisant des signes d’adieu aux femmes qui restent à quai. Le montage est remarquable. Les soldats partent en riant et reviennent estropiés, défigurés, dans les mêmes trains. Après la Grande guerre, c’est à nouveau l’accalmie, on voyage pour le travail ou le plaisir, on agite des mouchoirs et on fait signe à ceux qui restent ou qui passent. On reconnaît au passage Sergueï Eisenstein et Chaplin. Mais soudain les bras se lèvent de façon plus rigide. Dans le plan suivant, c’est Hitler qui se fait acclamer sur les quais.

Les trains deviennent la métaphore d’une population entraînée par le progrès technologique dans une course vers la catastrophe. Après cette nouvelle guerre, les trains gisent près des rails. Telles d’énormes bêtes éventrées, ils partagent le sort de l’humanité dévastée avant de repartir, une fois encore, vers un avenir d’autant plus incertain que le réalisateur a mis en exergue de son film une citation de Kafka : « There is plenty of hope. An infinite amount of hope. But not for us. »

Corps de femmes

April © First Picture/Frenesy Film Company/

Le texte de Kafka aurait tout aussi bien pu commencer le film April, projeté dans une séance unique le 10 octobre et dans lequel la réalisatrice géorgienne Dea Kulumbegashvili présente le très glauque portrait d’une communauté rurale qui réduit les femmes à la procréation. Nina (Ia Sukhitashvili) est gynéco-obstétricienne dans un petit hôpital et quand le film commence, elle est accusée d’avoir provoqué la mort d’un nouveau-né. Elle est surtout regardé de travers parce qu’on la soupçonne de pratiquer des avortements, pas tout à fait illégaux mais fermement proscrits par la société patriarchale. Accessoirement, on semble aussi se méfier d’elle parce qu’elle n’est ni mère ni épouse.

April commence par un accouchement filmé en direct, contient une césarienne également montrée à l’image et une très longue scène d’avortement hors champ. Nina paraît gravement névrosée, pratique une sexualité sans joie et se perçoit comme un monstre difforme, ce qui se traduit dans plusieurs scènes par un être fantasmagorique, quelque part entre un fœtus de la taille d’un adulte et un personnage de Francis Bacon. Alternant entre de magnifiques plans de la nature et les intérieurs suffocants que les personnages hantent plus qu’ils ne les habitent, Dea Kulumbegashvili impose un cinéma conceptuel et dérangeant, qui refuse de faire le moindre cadeau au public comme à ses protagonistes. On admire le geste résistant et féministe autant que la rigueur du cadrage et la subtilité de la bande son, mais on regrette en même temps de voir au final le film réduire, lui aussi, les femmes à des corps bruts sans joie et sans espoir. 

Foi chrétienne et éveil à la sexualité

Pour une vision plus épanouie de l’humanité, on recommandera Little Trouble Girls, premier long métrage de la cinéaste slovène Urška Djukić (en compétition). Baigné dans une magnifique lumière (Lev Predan Kowarski), il raconte les premiers troubles d’une jeune fille timide (Jara Sofija Ostan), membre d’un chœur venu répéter un concert au sein d’un monastère où des ouvriers sont en train de restaurer les bâtiments. Entre foi chrétienne, amitiés adolescentes et éveil à la sexualité, Lucija cherche sa propre voie.

Little Trouble Girls © SPOK Films

Le film n’est certes pas d’une grande originalité et la fin frôle un peu le kitsch religieux, mais il se démarque par la délicatesse des sentiments, la finesse du jeu de l’actrice principale, rayonnante de bout en bout, et un scénario convaincant.

Trains : 21 octobre, Utopia, 21h00


Little Trouble Girls : 16 octobre, Cinémathèque @ Cercle Cité, 18h30 / 18 octobre, Utopia, 19h00

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