forum_C : Two not so Fair Ladies

Hasard du calendrier ou non, quelques mois à peine après le début du mouvement Me Too, deux films sortent sur nos écrans dont les personnages féminins constituent un pied-de-nez assumé à l’image que le cinéma hollywoodien voudrait nous imposer des femmes. Vicky Krieps dans Phantom Thread et Margot Robbie dans I, Tonya incarnent deux héroïnes aux antipodes de „l’éternel féminin“ made in Hollywood.

On pourrait interpréter Phantom Thread comme un remake de Pygmalion qui tourne mal. Un grand couturier (Daniel Day-Lewis) décide de faire d’une serveuse (Vicky Krieps) sa maîtresse et son égérie. Dans les deux fonctions, il exige bien entendu qu’elle se soumette en tous points à ses idées et à ses sauts d’humeur. Mais alors que le scénario semble pointer vers l’histoire d’un homme qui façonne une femme selon ses désirs pour – littéralement – la faire entrer dans les habits qu’il a prévus pour elle, Alma se rebiffe et va changer les règles du jeu! Quand Reynolds lui jette à la figure qu’elle n’a pas de goût – insulte suprême dans la bouche d’un couturier! – elle répond qu’elle y tient pourtant, à son goût, même s’il ne plaît pas au grand artiste.

La femme idéale selon le couturier Reynolds  (c) Annapurna Pictures

Quand il l’habille comme une poupée pour présenter sa nouvelle collection aux dames de la haute société, on s’attend à ce que la chenille se transforme dans le papillon qu’il a imaginé. Mais non, Alma reste Alma, elle ne change ni sa façon de marcher ni sa façon d’être. Dans je ne sais plus quelle interview, Vicky Krieps a expliqué qu’elle avait décidé de ne pas jouer sur le registre de la séduction, alors même que le scénario l’aurait permis. Et en effet, elle n’use à aucun moment des minauderies et coquetteries qui sont l’apanage de quasiment tous les personnages féminins dans le cinéma populaire et elle ne met pas outre mesure son corps en valeur. Un corps qui, par ailleurs, ne correspond pas aux normes hollywoodiennes, ce que thématise explicitement le film. La première chose que fait en effet Reynolds après avoir ramené Alma chez lui est… de la mesurer. On apprend que les bras d’Alma sont trop musclés, ses hanches trop larges, son cou trop maigre, ses seins trop petits (et, pourrait-on ajouter, ses dents ne sont pas droites). Mais Alma est comme elle est et – chose inattendue – elle entend le rester! C’est peut-être cela qui trouble tant le couturier, lui qui n’aime vraiment qu’une femme morte (sa mère) et qui fige ses clientes dans des robes qui les empêchent de bouger et les leur reprend quand elles ont l’outrecuidance de faire la fête en les portant.

L’artiste contemplant son oeuvre (c) Annapurna Pictures

Reste à voir combien de temps, Vicky Krieps, remarquée et remarquable dans ce rôle hors norme, résistera comme Alma aux sirènes d’Hollywood qui, de Marlene Dietrich à Jennifer Lawrence, a formaté bien des actrices avant elle, les rendant trop souvent au final insipides et interchangeables.

Peut-être Vicky fera-t-elle mieux de suivre l’exemple de Margot Robbie qui est devenue productrice pour pouvoir jouer un rôle de femme hors des sentiers battus. Elle s’est même enlaidie (un peu) pour interpréter Tonya Harding, une patineuse artistique qui devint célèbre dans les années 90 en réussisant la première le triple axel en compétition avant d’être accusée de complicité dans une sombre affaire – jamais complètement élucidée – d’agression de sa principale rivale.  Comme Alma, Tonya, issue d’un famille pauvre qualifiée de white trash dans le film, n’est pas à l’aise dans les robes de princesse dans lesquelles on veut la forcer.

Une pose très peu féminine  (c) LuckyChap Entertainment

Sa malchance vient du fait que son talent se situe dans un domaine où les sportives sont jugées sur leur technique mais aussi sur leur présentation. Or Tonya, élevée à la dure par une mère peu aimante et violente, est considérée comme boyish – trop peu féminine – dans sa façon (très énergique) de patiner, mais aussi d’être et de parler. Le film est aussi une réflexion sur le mythe américain selon lequel chacun est supposé avoir droit à une chance (et même une deuxième) pour réaliser son rêve. Cendrillon de pacotille, Tonya perdra bien une chaussure (une histoire de lacets mal noués) mais au lieu du prince charmant, elle épousera un séducteur de province qui la bat et finira par ruiner sa vie.

Plus inattendu encore que ce personnage déjà passablement atypique est la façon dont il est mis en scène. Plutôt que de nous apitoyer sur le sort de la pauvre Tonya ou de sa rivale, les auteurs ont opté pour une sorte d‘Affreux, sales et méchants à l’américaine, ce qui n’a guère plu à ces messieurs-dames de la critique (21 messieurs pour 6 dames parmi les critiques cités sur allocine.fr) qui se sont extasiés sur le très élégant Phantom Thread mais dont certains ont fait la fine bouche devant ce I, Tonya trop politiquement incorrect dans la façon dont il met en scène la pauvreté et les scènes de violence conjugale (Tonya rend coup pour coup avant d’appeler la police qui a tendance à ignorer ses bleus) et le personnage, rarissime au cinéma, d’une mère indigne auquel Allison Janney réussit à conférer une réelle humanité, ce qui valait bien un Oscar.

Allison Janney en mère indigne (c) LuckyChap Entertainment

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