Cannes, Jour 8 : La loi du marché

Après La loi du marché, Stéphane Brizé et Vincent Lindon (qui avait reçu au festival 2015 un prix d’interprétation pour ce film) sont de retour en compétition à Cannes avec un nouveau brûlot sur la lutte ouvrière. En guerre commence par une citation de Bertolt Brecht : « Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu. »

Le film raconte l’histoire d’un combat perdu d’avance.

Le titre s’applique au sujet – car c’est bien d’une guerre qu’il s’agit mais qui ne laissera des victimes que d’un seul côté – et tout autant au style du film, tourné caméra à l’épaule comme un reportage de guerre dont le reporter serait embarqué („embedded“) avec les syndicalistes. Le protagoniste en est Laurent Amédéo (Vincent Lindon, à nouveau seul acteur professionnel parmi des débutants qui jouent peu ou prou leur propre rôle). Laurent est syndicaliste CGT et se bat pour sauver son emploi et celui de 1100 ouvriers quand leur usine à Agen, filiale d’une multinationale basée en Allemagne, est menacée de fermeture. Par manque de compétitivité, disent les dirigeants ; pour mieux remplir les poches des actionnaires, répondent les travailleurs.

Le film commence par des reportages de chaînes tv en continu qui résument l’essentiel de la situation. L’objectif de Brizé est ensuite de montrer l’envers du décor en tournant là où les télés s’arrêtent, donc au cœur des réunions syndicalistes et des rencontres avec les dirigeants industriels et politiques. Il veut montrer le point de vue des ouvriers, aller au-delà des quelques phrases d’interview qu’on entend au journal du soir, comprendre comment des hommes et des femmes en arrivent à s’attaquer physiquement à un dirigeant (on pense bien évidemment à la chemise déchirée du cadre d’Air France). Toute la construction du film converge vers ce moment de violence déclenché par l’humiliation de trop dans un dialogue de sourds entre des patrons, mus par la seule logique économique, et des travailleurs qui cherchent à sauvegarder leur existence et celle de leurs enfants.

Laurent ne cède rien, pour lui c’est la victoire (la conservation de l’usine) ou la mort. D’autres syndicalistes sont en revanche prêts à négocier pour essayer de sauver ce qui peut encore l’être : une indemnité de départ la plus élevée possible. Brizé dit vouloir faire entendre les deux points de vue de la manière la plus objective possible. Sauf que derrière Laurent, il y a la stature morale de Vincent Lindon, c’est lui que la caméra suit, et c’est aussi le seul dont on connaîtra un tant soit peu la vie en-dehors de l’usine. Que le réalisateur le veuille ou non, son point de vue domine même si on devine que son jusqu’au-boutisme le mènera droit dans le mur. Le discours hypocrite des dirigeants, l’impuissance de la politique, l’exploitation cynique des travailleurs qui se sont fait berner par un accord ayant permis à l’entreprise d’engranger les millions d’euros qu’elle a ensuite distribués à ses actionnaires, sont par ailleurs mis en scène pour révolter les spectateurs, au point que certains ont applaudi l’attaque contre le dirigeant sans apparemment réaliser que ce moment marque la défaite définitive des syndicalistes.

Brizé nous plonge au cœur de la tourmente et transmet quasi physiquement la colère des ouvriers, les tensions qui s’installent entre eux, le désespoir qui risque de prendre le dessus. En restant toujours avec les syndicalistes, en se concentrant sur les huis-clos que constituent les différentes salles de réunion et en terminant son film sur un acte désespéré qu’on ne révèlera pas ici, Brizé se cantonne toutefois dans la confrontation sans issue de deux logiques diamétralement opposées où le déséquilibre des forces ne peut faire pencher la balance que dans un seul sens. Le véritable problème, ce ne sont cependant pas les patrons qui ne recherchent que leur seul profit, c’est la législation qui leur permet de le faire. On apprend que la loi française force un patron qui veut fermer son usine, à chercher un repreneur. Mais elle ne l’oblige pas accepter l’offre de ce dernier, ce qui rend de fait la loi inefficace. Car une entreprise n’a aucun intérêt à mettre ainsi en place sa propre concurrence.

Vu ainsi, En guerre fait le constat de l’échec tragique des luttes syndicalistes. Les combats annoncés au début ne pourront en conséquence être menés à l’avenir qu’à un niveau plus directement politique, que le film laisse hors champ.

 

Als partizipative Debattenzeitschrift und Diskussionsplattform, treten wir für den freien Zugang zu unseren Veröffentlichungen ein, sind jedoch als Verein ohne Gewinnzweck (ASBL) auf Unterstützung angewiesen.

Sie können uns auf direktem Wege eine kleine Spende über folgenden Code zukommen lassen, für größere Unterstützung, schauen Sie doch gerne in der passenden Rubrik vorbei. Wir freuen uns über Ihre Spende!

Spenden QR Code