Je n’ai, pour autant que je me souvienne, jamais vu Sissi. Ça me faisait un point commun avec Emily Atef, la réalisatrice de 3 jours à Quiberon, qui dit n’avoir regardé qu’après le tournage de son propre film la trilogie qui rendit célèbre la jeune Romy Schneider. Comme moi, Emily Atef a donc connu d’abord l’actrice dans ses films français, La piscine avec Alain Delon, et chez Claude Sautet avec Michel Piccoli ou Yves Montand, mais aussi L’important, c’est d’aimer d’Andrzej Zulawski et sa mythique scène d’ouverture quand, sur une musique déchirante de Georges Delerue, l’actrice porno dévastée jouée par Romy Schneider implore Fabio Testi de ne pas photographier sa déchéance (regarder la scène ici).

(c) Rohfilm Factory
C’est au film de Zulawski qu’on pense d’abord en voyant celui d’Emily Atef. Car durant les trois jours qu’elle passe en 1981 à Quiberon avec une amie d’enfance (Birgit Minichmayr) mais aussi un jeune journaliste, allemand et passablement macho, (Robert Gwisdek) et un ami photographe (Charly Hübner) qui sont venus l’interviewer pour le Stern, Romy Schneider se trouve elle aussi dans un état de fragilité extrême, meurtrie par le suicide de son ancien mari, la séparation avec Daniel Biasini et l’éloignement de son fils David. Elle doit de plus se soumettre aux exigences d’une cure de désintoxication qui semble la laisser sans force. Et c’est dans cette situation qu’elle se retrouve face aux questions agressives et même humiliantes de Michael Jürgs et à l’appareil photo de Robert Lebeck. L’un en rapportera une interview dans laquelle elle se décrit ainsi : « Je suis une femme malheureuse de 42 ans et je m’appelle Romy Schneider » et l’autre des photos en noir et blanc qui sont parmi les plus célèbres de l’actrice. Des photos où elle rit et saute sur les rochers de Quiberon (elle s’y foulera le pied !) mais aussi des photos sans maquillage où, les traits tirés, accrochée à sa cigarette, elle laisse apparaître sa détresse à nu.
Le film a été tourné, en noir et blanc, à partir de cette ‚histoire vraie‘ et de ces photos (outre la vingtaine de tirages publiés, Emily Atef a pu consulter plusieurs centaines de clichés pris par Lebeck à Quiberon) avec, pour jouer Romy Schneider, l’actrice allemande Marie Bäumer qui lui ressemble étrangement. Ce n’est pourtant ni un biopic ni un documentaire sur Romy Schneider. Du coup, si on peut comprendre l’émotion de sa fille Sarah Biasini qui fait le tour des plateaux télé pour déclarer que non, sa mère n’était pas alcoolique (alors que de nombreux témoignages vont dans ce sens), ses déclarations sont quelque peu hors propos… et en même temps en plein dans le thème du film.

(c) Rohfilm Factory
Car inspiré d’une série de photos, 3 jours à Quiberon est d’abord l’histoire d’une femme prise au piège d’une image, ou plutôt d’images contradictoires: celles, toutes différentes, qu’ont d’elle les journalistes, son amie d’enfance, ses fans, ses détracteurs, mais aussi l’image qu’elle se fait d’elle-même, celle qu’elle imagine que sa mère, ses maris, ses enfants se font d’elle et enfin l’image que nous tous, nous avions d’elle et celle que nous conservons aujourd’hui, qui varie d’un spectateur à l’autre, selon donc qu’il a découvert l’actrice dans Sissi, La piscine ou L’important, c’est d’aimer.
Si Romy Schneider n’a pas été oubliée, c’est précisément parce qu’elle est à la fois Sissi et la Nadine du film de Zulawski, la mère qui veut être là pour ses enfants et l’actrice qui les abandonne pour aller tourner, l’Allemande et la Française, la femme qui se cache au fond de son lit et celle qui s’échappe la nuit pour aller danser avec des inconnus, la femme sereine et celle rongée par le doute que rencontre le Stern, celle qui abhorre les journalistes et celle qui les fait venir jusqu’au lieu de sa cure, s’écroulant devant eux sur le tapis de sa chambre mais les amenant au final exactement là où elle veut les avoir. Dans l’interview de Michael Jürgs, elle ne changera qu’une phrase sur sa mère.
Sur le visage de Romy Schneider (et de façon troublante celui de Marie Bäumer) se reflètent toutes nos propres émotions, toutes nos contradictions et les tragédies à venir (la mort de son fils et la sienne, à 42 ans, quelques mois plus tard), sans fard, de façon directe, et c’est ce qui fait qu’on la confondait avec ses rôles et ses rôles avec la vie, et c’est ce visage que Lebeck n’arrête jamais de photographier.
Un visage qui a d’ailleurs fasciné dès ses jeunes années. A l’origine de 3 jours à Quiberon, il y a peut-être un autre film qu’Emily Atef ne mentionne (à ma connaissance) pas dans ses interviews mais qu’elle connaît sans doute: un long entretien en noir et blanc, tourné en trois jours également, non à Quiberon mais à Kitzbühel par le cinéaste Hans-Jürgen Syberberg et dans lequel Romy Schneider, alors âgée de seulement 27 ans, confesse ses doutes, sa fatigue et (déjà) son envie de changer de vie. Diffusé une seule fois à la télé allemande puis interdit par l’actrice, il n’est réapparu que beaucoup plus tard. Le film s’appelle Romy – Porträt eines Gesichts (lire ici un article en allemand sur le film).

(c) Rohfilm Factory
Pour un rapide rappel de sa carrière, on peut regarder C’était quoi Romy Schneider ? dans l’émission Blow Up d’arte.
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