forum_C : „L’homme a mangé la terre“ de Jean-Robert Viallet


★★★★☆

La plupart des films qui veulent sensibiliser le public aux crises environnementales s’efforcent de nous faire réagir en montrant les catastrophes qui vont nous submerger si nous ne faisons rien. Jean-Robert Viallet a choisi une autre approche. Plutôt que d’essayer de mettre en images les bouleversements à venir, il retourne en arrière pour demander comment on en est arrivé là. (trailer)

On croyait déjà savoir tout cela : la révolution industrielle, les débuts du travail à la chaîne, le productivisme effréné et le règne de la société de (sur)consommation. Mais L’homme a mangé la Terre va plus loin que ces rappels attendus. Il propose une véritable contre-histoire et assume ses prises de position politiques et polémiques, à l’instar du livre L’événement Anthropocène : La terre, l’histoire et nous de Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz (Editions du Seuil / Editions Points, 2013) sur lequel il s’appuie.

(c) Cinéphage

Les auteurs s’y insurgeaient contre le fait qu’il « devient possible d’écrire des livres entiers sur la crise écologique, sur les politiques de la nature, sur l’Anthropocène et sur la situation de Gaïa sans parler de capitalisme, de guerre ou des Etats-Unis et sans mentionner le nom de la moindre grande entreprise» (p. 85). Le livre et le film nomment donc ces entités et ces personnes qui ont contribué à précipiter l’humanité dans la catastrophe écologique. Ils montrent comment en deux siècles, pour s’enrichir ou accroitre leur pouvoir, des hommes et des Etats ont, souvent en toute connaissance de cause, contribué à détériorer la planète tout en plongeant dans la misère des peuples entiers. Ils dénoncent le lien entre le capitalisme et la guerre et évoquent les sociétés qui se sont enrichies durant la 1ère guerre mondiale (Ford, Daimler, Renault), la 2e guerre mondiale (IG Farben, Dupont) ou la guerre du Vietnam (Monsanto).

Ils montrent comment des armes (avions, chars, bombes ou armes chimiques) et des méthodes de production élaborées pour la guerre ont été adaptées en temps de paix à l’utilisation civile pour produire en masse, pousser à la surpêche et la déforestation ou construire les maisons préfabriquées et standardisées. Ils racontent aussi comment et pourquoi, à plusieurs reprises, la voie vers un monde moins pollué a été bloquée. Dans les années 20, les tramways électriques sont mis au rebut suite au lobbying de l’industrie automobile. Pendant la 2e guerre mondiale, le gouvernement des Etats-Unis soutient massivement la recherche sur les maisons solaires afin de garder le pétrole pour les engins de guerre. Les chauffe-eaux solaires équipent en conséquence 80% des maisons en Floride au début des années 50 mais sont repoussés par le marketing des sociétés électriques et de charbon qui s’associent avec les promoteurs. A la fin des années 70, après les chocs pétroliers, le président Jimmy Carter fait installer des panneaux solaires sur la Maison Blanche. Et puis arrivent Thatcher et Reagan qui stoppent net le mouvement écologiste naissant.

Pour visualiser son propos, Viallet a trouvé des images d’archives rares et étonnantes qu’il insert à des fins d’illustration et d’explication tout en utilisant leur charge symbolique. La voix off (Jacques Bonnaffé) est ultra-présente mais soutenue par un montage expressif et même poétique. Certes, le documentaire prend parfois des raccourcis un peu arbitraires, assénant comme des faits des déclarations qui ne sont pas toujours argumentées dans le texte. Sans doute n’était-il pas possible en 98 minutes déjà bien remplies de traduire 380 pages très denses. Rien n’interdit par ailleurs de questionner certaines proclamations du film qui ne cache pas ses partis pris. Mais il nous invite à abandonner la perspective à court terme pour regarder autrement les raisons et les origines de la crise que nous vivons. Il appelle aussi à apprendre de nos erreurs et ne pas croire une fois encore dans les solutions miracle que promet le progrès.  

Le film est visible gratuitement sur le site arte.tv jusqu’au 28 juin 2019.

A partir de mercredi, forum_C sera en direct du Festival de Cannes!

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