Cannes, Jour 3 : Ce que la guerre fait aux femmes

(Viviane Thill) Deux films dans la section parallèle « Un certain regard » ont marqué la journée de jeudi. Le premier est la coproduction luxembourgeoise Les hirondelles de Kaboul adaptée par Zabou Breitman (au scénario) et Eléa Gobbé-Mévellec (à la création graphique) du roman de Yasmina Khadra paru en 2002.

(c) Mélusine Productions

Le film est dessiné à l’aquarelle en laissant visible la texture du papier. Cette technique traditionnelle est utilisée ici de façon très poétique pour raconter l’histoire cruelle de deux couples détruits par la guerre et le règne des Taliban à Kaboul. Il y a Atiq (voix de Simon Abkarian), le vétéran de la guerre contre les Soviétiques devenu gardien de prison, un homme amer qui vit entre sa femme (Hiam Abbass) en train de mourir d’un cancer et les prisonnières vouées à être exécutées. Et puis il y a le jeune historien Mohsen (Swann Arlaud) et sa femme Zunaira (Zita Hanrot), une artiste révoltée contre le sort que les Taliban font subir à l’Afghanistan. Alors, elle peint sur les murs de sa chambre où elle est confinée de superbes autoportraits nus qu’elle cache derrière un rideau, et sous son tchadri elle porte des chaussures blanches ce qui est strictement interdit. Un accident tragique va unir le sort de ces quatre personnages.

La société luxembourgeoise Mélusine Productions avait déjà coproduit le superbe dessin animé The Breadwinner qui évoquait par les yeux d’une petite fille le sort des femmes sous les Taliban. Les hirondelles de Kaboul s’adresse à un public plus âgé pour raconter le désespoir et la folie qui guettent les habitants de la ville soumis au régime de terreur des islamistes. Il est centré sur le sort et la révolte des femmes mais il décrit aussi comment l’idéologie islamiste ronge peu à peu l’âme et la conscience des hommes qui s’habituent, jour après jour, à l’extrême violence banalisée et notamment celle qui s’exerce à l’encontre des femmes. Mohsen ramasse ainsi un jour une pierre et la lance sur une femme lapidée, acte dont lui-même et son couple ne se relèveront pas.

Les hirondelles de Kaboul est un film magnifique et poignant qui témoigne aussi de la fragile liberté des femmes (Mohsen se souvient du temps où  elles allaient en jupe courte au cinéma à Kaboul) qui n’est pas menacée que dans les pays islamistes.

Beanpole du Russe Kantemir Balagov thématise également la violence subie par les femmes pendant la guerre. Il le fait cependant de manière plus dérangeante et plus provocante, plus radical dans la forme aussi. On y fait d’abord la connaissance de Iya (Viktoria Miroshnichenko), une infirmière qui souffre d’étranges crises épileptiques pendant lesquelles elle se raidit et ne contrôle plus son corps. Elle a avec elle un petit garçon qu’elle adore et qui n’a jamais vu de chien car, comme le dit un vétéran à l’hôpital, « on les a tous mangés ». Cette référence voilée au terrible siège de Leningrad est caractéristique d’un film qui se focalise sur les détails pour finir par dessiner un portrait sans concession de l’après-guerre.

(c) Wild Bunch

Entre en scène Masha (Vasilisa Perelygina) que Iya a connue au front et qui s’avère être la mère du petit garçon entretemps décédé. Comme elle-même ne peut plus avoir d’enfants, elle décide que Iya lui doit une vie et veut la forcer à en faire un à sa place. Entre mensonges et refoulement, on ne saura jamais ce qu’ont vécu les deux femmes au front.

Inspiré par le livre La guerre n’a pas un visage de femme dans lequel Svetlana Aleksievitch a rassemblé des témoignages de femmes russes sur la 2e guerre mondiale, Beanpole raconte une société traumatisée dont les membres, enfermés chacun dans sa souffrance, sont dans l’incapacité de s’entraider. Réalisé par un cinéaste de tout juste 27 ans dont c’est le deuxième long métrage après le déjà très remarqué Tesnota, une vie à l’étroit (2017), le film se caractérise par sa maîtrise formelle, un jeu d’acteur recherché mais très saisissant et plusieurs séquences d’une intensité rarement atteinte au cinéma. On sent là un auteur intransigeant, exigeant et passionnant dont le film est le plus original sur le fond et la forme qu’on ait vu jusqu’à présent à ce festival où il aurait mérité de figurer en compétition.

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