forum_C : „Ad astra“ de James Gray

★★★☆☆

(Viviane Thill) Dans son dernier film The Lost City of Z (2016), le réalisateur américain James Gray suivait la quête d’un explorateur qui recherchait une civilisation oubliée au fin fond de la forêt amazonienne et abandonnait pour cela femme et enfants, respectivement entraînait plus tard son fils avec lui dans une expédition dont ni l’un ni l’autre ne reviendra. Dans Ad astra, Gray récidive et raconte peu ou prou la même histoire mais la transpose cette fois dans le genre plus moderne du « space travel », et s’offre Brad Pitt en vedette ! (Ce dernier, qui est aussi le producteur des deux films, aurait déjà dû jouer dans le film précédent mais en avait été empêché par World War Z.)

Le point de vue a changé. C’est cette fois celui du fils abandonné par un père explorateur, « premier sur Jupiter, premier sur Saturne » et disparu depuis près de 20 ans lors d’une mission sur Neptune qui consistait à sonder l’univers pour y découvrir des civilisations extraterrestres. Il semblerait qu’à des milliards de kilomètres de la Terre et de sa famille, H. Clifford McBride (Tommy Lee Jones) soit, comme le colonel Kurtz, devenu fou. The Lost City of Z faisait déjà moultes références à Heart of Darkness de Joseph Conrad ; dans Ad astra, James Gray reprend la trame du roman pour envoyer par étapes successives son héros toujours plus au cœur de ses propres ténèbres.

(c) 20th Century Fox

L’abandon du père n’a pas empêché son fils Roy (Brad Pitt) de marcher dans ses pas et de devenir l’un des astronautes les plus réputés des Etats-Unis. Son talent le plus remarquable semble être son extraordinaire sang-froid : sa fréquence cardiaque ne dépasse jamais 80 pulsations par minute ! Même quand il tombe au début du film d’une gigantesque échelle qui semble littéralement monter au ciel. A vrai dire, on ne sait pas trop à quoi elle sert (et pourquoi des hommes doivent y monter et descendre tels les anges sur l’échelle de Jacob !) mais elle est frappée par une mystérieuse surcharge d’antimatière (ou quelque chose dans ce genre) qui menace toute vie sur Terre et fait donc tomber Roy qui chute sur des kilomètres en tournoyant comme une toupie mais atterrit à peu près sain et sauf. Quelques jours à l’hôpital plus tard, ses chefs lui confient une nouvelle mission : établir le contact avec son père qui, pensent-ils, se trouve toujours sur Neptune et envoie sur Terre ces surcharges apocalyptiques.

(c) 20th Century Fox

Roy semble incapable d’exprimer la moindre émotion ce qui en ferait une caricature parfaite de la virilité célébrée dans les films d’action hollywoodiens si James Gray avait une once d’humour. Mais ici, on est dans un film sérieux et on suivra donc Brad Pitt pendant deux heures jusqu’au moment final et libérateur où son cœur s’emballera . Et ce qui le fait s’emporter, ce ne sera ni la peur ni une femme mais la rencontre – désirée et appréhendée – avec ce père qui, en l’abandonnant jadis, semble être à l’origine de son incapacité à communiquer avec d’autres humains. Ou pour résumer le film autrement : Ad astra est l’histoire d’un fils qui fait 4,5 milliards de kilomètres pour pouvoir dire « I love you, dad ».

Heureusement, il y a d’autres pistes de lecture. L’impossibilité de communiquer avec d’autres humains qu’éprouve Roy trouve sa symbolisation visuelle la plus frappante dans le scaphandre qui le protège tout en le coupant de toute interaction avec son environnement. Derrière son casque, Roy est seul comme nous sommes seuls dans l’univers dans lequel son père croit découvrir qu’il n’y pas d’autre vie intelligente. D’où ces images dans lesquelles Roy tourne encore et encore sur lui-même, ces plans répétés du visage de Brad Pitt à moitié caché derrière son casque sur lequel se reflètent les étoiles lointaines ou ceux où il contemple, et nous avec lui, l’immensité de l’espace au-delà du système solaire. Le film fait ressentir, comme probablement aucun autre, l’incommensurable solitude de l’humanité dans l’univers. C’est sa version de « The horror ! The horror » de Conrad.

(c) 20th Century Fox

Cette solitude serait-elle le reflet du silence de Dieu ? Outre l’étrange échelle de Jacob et Roy qui tombe littéralement du ciel au début, on entend plusieurs fois des membres d’équipage prier et surtout le père expliquer dans une vidéo qu’il ne s’est jamais senti aussi près de Dieu que dans l’espace. Mais en 20 ans de solitude sur Neptune, confronté à l’espace infini et infiniment silencieux, il semble avoir perdu la foi jusqu’à se prendre maintenant lui-même pour celui qui envoie l’apocalypse sur Terre. Abandonné par ce père absent et invisible durant la majorité du film, Roy, qui combat sa solitude par un constant monologue intérieur, est celui qui sauvera l’humanité ce qui lui fait de lui un personnage christique. Quand il se bat avec son père dans le vide sidéral, leurs deux mains se tendent l’une vers l’autre à l’image de celle de Dieu et de l’homme dans La création d’Adam peintes par Michel-Ange dans la chapelle Sixtine (la femme de Roy s’appelle Eve…). Mais c’est pour ensuite s’éloigner l’une de l’autre alors que quand Roy atterrit enfin à nouveau sur la Terre, la main de l’homme qui se tend vers lui vient au contraire pour le ramener parmi les vivants. Le film serait-il dès lors un appel à faire le choix de l’humanité au détriment d’un Dieu-le-père qui, aux prières de celle-ci, n’oppose qu’un silence et un mystère éternels?

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