- Kultur
Le Festival d’Avignon 2019 : itinéraire très personnel d’un « pèlerin culturel » (Raymond Weber)
J’ai pu passer cette année une dizaine de jours au Festival d’Avignon. Même si j’ai vu 27 spectacles, tant dans le In que dans le Off, » l’itinéraire » que je propose ci-après ne peut être que superficiel, mêlant des « critiques » de pièces à des considérations philosophiques autour du théâtre politique ou de la décolonisation des imaginaires, le tout « enrobé » d’impressions plus générales sur un Festival et ses différentes « fonctions ».
Tout cela, j’aimerais le partager, en toute modestie et avec une grande gratitude pour ces moments artistiques, culturels et émotionnels très intenses.
octobre 2019
C’est avec plaisir et joie que j’ai retrouvé, pour la 20e fois, le Festival d’Avignon. Comme à chaque fois, j’ai abordé le Festival rempli d’espoirs et de craintes, de gaîtés et d’inquiétudes. J’en attendais, comme tous les ans, qu’il me fasse sortir de ma zone de confort, avec ses questionnements et ses prises de position, ses frémissements et ses coups de cœur, ses « cris » et ses moments d’émotion forte et de bonheur, ses surprises et ses confirmations, ses souffles poétiques et ses exigences éthiques et esthétiques, sans parler de la force des textes et du génie des acteurs.
Pour moi, une œuvre de théâtre – surtout politique – est avant tout dialogique : elle a une autonomie fictionnelle et une spécificité poétique qui lui permettent de dialoguer avec les contenus idéologiques qu’elle présente ou qui la traversent, sans leur être asservie, ni se confondre avec eux et donc de les critiquer. Dans ce sens, une œuvre théâtrale doit faire place, à l’intérieur d’elle-même, à la contradiction et au conflit.
J’aime beaucoup la phrase de Harold Pinter qui dit : « la réelle vérité, c’est qu’il n’y a jamais, en art dramatique, une et une seule vérité à découvrir. Il y en a beaucoup. Ces vérités se défient l’une l’autre, se dérobent l’une à l’autre, se reflètent, s’ignorent, se marquent, sont aveugles l’une à l’autre ». « A jamais insaisissable », cette quête de vérité est libre, inattendue, aventureuse, nourrie par le doute.
Olivier Py, qui dirige le Festival depuis 2013, définit ainsi l’ambition de cette 73e édition : « le théâtre, qui promet moins qu’il ne donne, ne se contente pas d’ouvrir des possibles, il est action. Le danger partout s’est accru de vivre dans un monde désenchanté, un monde où nous serions seuls face à la culpabilité et à l’impuissance. Pour nous aider à traverser la sévérité du temps, le théâtre propose tout simplement de nous réunir devant la représentation éternelle de l’humanité aux prises avec cette impuissance. Le silence (du spectateur avant le spectacle, étrange pratique, si anachronique au regard des polémiques braillardes et du sloganisme irruptif des réseaux sociaux) alors devient un moyen de percevoir l’imaginaire partagé, le lien profond et indicible, le messianisme du collectif. (…) Notre impatience d’une société plus juste, d’un rapport au monde plus sain, d’une parole mieux partagée, est le plus haut désir politique. Et pour cela il faut désarmer les solitudes. Il n’y a dans cette aventure aucune hiérarchie, chacun y est absolument responsable de lui-même et de sa part de conscience ».
On voit ici – et c’est un reproche qui est souvent fait à Olivier Py -, que son ambition est plus sociale et sociétale qu’artistique.
Cette interrogation sur le théâtre, on l’a eue aussi grâce au dernier livre d’Olivier Neveux1, dont les thèses ont été vivement discutées dans les coulisses du Festival.
- Neveux critique l’inflation d’un prétendu théâtre politique au nom d’une réelle (re)politisation de l’art. Ce qui peut marcher pour le théâtre « social » qui se fait l’écho de souffrances et d’expériences de vie, en essayant de faire apparaître et entendre l’invisible social, c.-à-d. à la fois ce qui structure la société et ce qui est ignoré, caché, exclu, marche plus
difficilement pour le politique, où apparaissent, selon Neveux, trois écueils :
- l’exhibition complaisante et lacrymale des misères du monde, pour venir vérifier bontés et empathies unanimement partagées de la scène à la salle, peut devenir gênante ;
- Neveux reprend l’idée du philosophe Jacques Rancière sur les dangers politiques de la hiérarchique « logique explicatrice », selon laquelle il faut des explicateurs pour appréhender la souffrance ;
- un thème social ou politique ne suffit pas à faire « politique » : il faut une opération, une traduction dans d’autres formes et d’autres perspectives que celles du seul constat et de l’indignation.
Le théâtre politique ne peut réussir qu’ « à condition de venir perturber les rapports convenus, policés et attendus du théâtre et de la politique. Cela suppose de ne pas se rallier à une conception consensuelle de la politique, de porter la contradiction et le conflit dans le présent, et de participer alors, à sa façon, au mouvement réel qui abolit l’ordre dominant ».2
Il faut d’emblée dire, comme le reconnaît Olivier Neveux lui-même dès l’introduction, que ce titre Contre le théâtre politique est ironique… car il s’intéresse profondément à ce que la politique et le théâtre peuvent produire l’un et l’autre, l’un pour l’autre, apporter l’un à l’autre. Ce que l’auteur rejette en revanche, c’est une forme d’injonction contemporaine, faite aux spectacles, de porter un message militant… à condition, bien sûr, qu’ils ne perturbent pas trop l’ordre établi.
En se souciant de l’art aussi bien que de la politique, dès lors qu’il n’y en a pas un qui soit asservi à l’autre, l’ouvrage interroge la force émancipatrice du théâtre dans notre époque dominée par le néolibéralisme. C’est un texte qui tente de tenir le pari difficile de montrer que d’un côté l’explicite n’est pas la condition d’un théâtre qui soit politique, et qu’a contrario l’explicite n’invalide pas non plus la dimension théâtrale d’un propos politique.
Un autre débat, sans doute plus confidentiel, m’a marqué pendant ce Festival : celui de « la décolonisation des imaginaires ».
Dans la lignée d’un Aimé Césaire (1913-2008), qui appelait à un universel « riche de tous les particuliers », Souleymane Bachir Diagne3, entend partir du pluriel pour viser l’universel. S’il y a bien une condition humaine commune à tous, cela ne suffit pas à garantir l’existence de ce dernier. « La pluralité est cause naturelle et n’est pas contraire au commun », a-t-il précisé au cours d’une conférence pendant le Festival. Pour Souleymane Bachir Diagne, un véritable universel ne peut se construire qu’en prenant en considération les différences.
SBD prône la critique nécessaire d’un universalisme qui ne serait que le masque de l’eurocentrisme – l’universalisme marquant, pour reprendre les analyses de Diagne, « la position de celui qui déclare universelle sa propre particularité en disant : ‘J’ai la particularité d’être universel’ ». Mais Souleymane Bachir Diagne insiste également sur l’idée que cette mise en cause d’un « universalisme exceptionnaliste » n’est pas renoncement à l’universel.
SBD critique en quelque sorte l’universalisme au nom de l’universel. Décoloniser les imaginaires, c’est considérer qu’il n’y a pas d’humanités séparées et qu’il n’y a pas un lieu – l’Europe et l’Occident – qui serait seul le théâtre de l’histoire universelle. C’est considérer aussi qu’une civilisation est toujours ouverte et que les cultures humaines ne sont pas des insularités juxtaposées.
Voilà, en tout cas, une réflexion quelque peu décapante qui devrait nous inciter, nous Européens et Occidentaux, à un peu plus de modestie… et à un plus grand respect des cultures des autres.
Il semble en tout cas évident que nous n’en avons pas fini d’une discussion ouverte sur l’imaginaire et sur l’universel, au-delà de la question de la « décolonisation ». Comme Christian Ruby4, je pense qu’il est nécessaire de défendre l’idée d’un universel, toujours indispensable à l’encontre des racismes et des xénophobies. Mais un universel qui reconnait la diversité des cultures et la nécessaire migration des humains et des œuvres. Donc « un universel de l’égalité inconditionnée de n’importe qui avec n’importe qui »5 et qui se fonde sur des « identités en rhizome » (Edouard Glissant).
Le Festival d’Avignon est, évidemment, non seulement le lieu de confrontations philosophiques, autour de l’état du monde et des évolutions dans le théâtre, mais aussi – et surtout – un reflet de la créativité contemporaine, tout comme il est un gigantesque marché6.
Est-ce l’influence grandissante de cette dernière fonction, celle du marché, qui fait que j’ai eu l’impression que les pièces « de boulevard » étaient trop envahissantes, tout comme les reprises, et que les grands actes artistiques et créateurs étaient plutôt clairsemés ? Un peu comme si on se complaisait dans les facilités de la connivence et du conformisme culturel et qu’on voulait rester dans la tiédeur de l’entre-soi.
A quoi sert finalement un festival comme celui d’Avignon?
Lieu de découverte, de diffusion de (jeunes) artistes? Ou bien lieu de rencontre pour les professionnels de la diffusion culturelle ? Ou encore atout touristique – et économique – pour une ville, une région ?
Il est devenu aujourd’hui patent qu’un Festival comme celui d’Avignon, par sa dynamique artistique, festive et conviviale, favorise la mixité sociale et intergénérationnelle, attire aussi bien les classes moyennes que les étudiants et les jeunes et a un impact culturel, humain, social et économique sur son territoire.
C’est aussi, indéniablement, un moteur de la démocratisation culturelle.
Pour Yves Michaud, nous vivons dans « le culte de l’événementiel et de l’éphémère ». L’œuvre compte moins que le plaisir de se retrouver, communier, vivre une expérience globale.
Dans un Festival, la frontière entre l’art, le divertissement, l’image politique et l’attrait touristique reste souvent poreuse. Le public est du reste plus indulgent en plein air et en vacances.
Trois semaines de Festival In, ce sont 40 lieux, 60 pièces (plus de 200 levers de rideau), avec les débats, rencontres, projections, qui font plus de 400 rendez-vous.
139 lieux pour 1592 spectacles ! C’est le bilan du Festival Off d’Avignon, avec des spectacles de théâtre, de danse, de cabaret, de marionnettes, de cirque, de jeune public, de musique…
Ce sont aussi, tant dans le In que dans le Off, des espaces de rencontre, un temps suspendu, un microcosme où se rejoue le vivre ensemble qui règle la marche du monde.
Comment, pour les créateurs, se faire voir et entendre dans pareille jungle inextricable? Comment, pour les spectateurs, faire les bons choix? Un critère de plus en plus pertinent est le lieu des représentations. En effet, depuis quelques années, certains théâtres, comme Les Doms ou La Manufacture, après le Théâtre du Balcon (Serge Barbuscia), le Théâtre des Halles (Alain Timar), le Chêne Noir (Gérard Gilas) ou encore le Théâtre Golovine et Les Hivernales (pour la danse) sont «reconnus». D’autres salles se font leur place, comme le Train Bleu, plus particulièrement ouvert aux émergences. Nombreux sont dès lors les candidats, plus d’une centaine chaque fois, à concourir pour la dizaine de créneaux disponibles. La qualité est alors au rendez-vous, la plupart du temps.
Ce qui n’est malheureusement pas le cas d’autres salles où faire un maximum d’argent en peu de temps semble être l’ambition principale, sans souci artistique ni culturel.
Certaines régions françaises, tout comme la Belgique (avec les Doms), ont compris l’impact artistique et culturel d’une présence en Avignon et offrent un lieu à quelques-unes de leurs compagnies dûment sélectionnées7. Nos voisins de la région Grand Est, après la Région Champagne-Ardennes, ont ainsi occupé une ancienne caserne des pompiers d’Avignon. Ce dont ont « profité » notre ministre de la Culture et la Fédération des Théâtres Professionnels Luxembourgeois dont le spectacle Révolte a pu être accueilli dans ce lieu. Ils avaient par ailleurs organisé une Journée luxembourgeoise, le 16 juillet : initiative sans doute intéressante, mais dont l’impact reste limité, vu qu’on a préféré rester entre acteurs culturels choisis du Grand Est et du Luxembourg, sans la moindre ouverture à d’autres régions.
Restons peut-être un instant sur les « structures » et voyons de plus près deux « modèles » : d’une part, le Théâtre Houdinière et, d’autre part, le Train Bleu.
- Le Théâtre Actuelest une affaire de famille, la famille Houdinière : des comédiens devenus producteurs, puis diffuseurs. C’est un exemple de la professionnalisation et de la « parisianisation » du Festival, dans le sens que le Off d’Avignon est devenu un nouveau modèle économique pour les producteurs. Ils l’utilisent comme une rampe de lancement pour tester des créations, sans les coûts de communication prohibitifs de la capitale. Ainsi, La machine de Turing, de Benoît Solès, grand succès au Festival Off de 2018, a pu enchaîner quelque 190 dates de tournée d’ici juin 2020, sans compter les représentations parisiennes à l’Atelier Théâtre Actuel (ATA).
- Le Train bleu (avec 2 salles) est une structure nouvelle qui invite des compagnies qui sortent des clous et seulement des créations de l’année. Elle se fonde donc sur les émergences, afin de rendre visibles les compagnies et les aider à rayonner. Le Train Bleu se veut aussi lieu de rencontres de professionnels qui y découvrent des esthétiques différentes.
L’équipe assure la technique, laisse à ses locataires des temps de montage décents, gère les réservations, s’occupe du service de presse.
Enfin, en dehors du Festival, c’est un lieu de résidences.
Terminons sur quelques spectacles qui m’ont marqué8 :
- De l’ascension à la chute. C’est une création de Wendy Beckett, artiste australienne, attirée par la Camille Claudel torturée, la rebelle, l’indocile, la hautaine, l’artiste passionnée.
Aidée par une actrice exceptionnelle (Célia Catalifo dans le rôle de Camille), elle restitue le drame qu’a enduré Camille Claudel, victime de l’ombrageux Rodin et de son frère Paul le carriériste, inspirée par les textures et les nuances du plâtre, du marbre, de l’argile, de la terre, de la peinture et de la toile. La danse fera en sorte que les corps apparaissent dans la vérité sensible que la géniale sculptrice savait rendre.
Enfermée dans l’enfer de l’asile à Ville-Evrard, puis dans le cloaque atroce de Montdevergues, condamnée à partager, pendant plus de 30 ans, le sort des aliénées, Camille devient folle de l’avoir été décrétée, reléguée dans l’oubli, le froid et la misère, pendant que le monde, sa famille et son ancien amant oubliaient son génie.
Ce qui m’a fasciné, dans ce spectacle, au-delà de l’histoire tragique de Camille Claudel et de la superbe interprétation de Célia Catalifo, c’est la manière dont Wendy Beckett fait interagir sculpture et danse, le figé et le mouvement, pour traduire le génie de la sculptrice.
- Rage. Rage est une oeuvre inspirée du roman éponyme de l’écrivain japonais Yoshida Shuichi. Po-Cheng Tsai et ses huit danseurs taiwanais posent un regard sensible sur notre époque, les sensations et émotions que provoquent les états de solitude de nos sociétés contemporaines et créent un univers singulier tout à la fois sombre et très esthétique. Les corps expriment l’indifférence et les antagonismes; la désolation et la solitude laissent place parfois à des espoirs de partage. Ils sont l’illustration d’une pensée et d’un dire dont on ne sait rien, mais qui nous occupe.
Le début est dans ce que sera la fin. Un corps de femme désarticulé gît sur le sol. Disparitions puis apparitions. Cette femme est traversée par une fureur. Seule, puis face à un homme auquel elle voudrait en vain s’accrocher, sur lequel elle espère se reposer. Puis approchée par un groupe qui se refuse à la regarder. Les tableaux se succèdent ainsi: la femme à sa rage et les autres s’approchant, s’éloignant.
Petit à petit ou subitement, l’individuel s’essaye au collectif. Le collectif sera un couple ou une meute et émerge la question qui fonde le geste: comment faire rage commune? Au final nous sommes seuls et fermés à l’autre, pour qui nous serons au mieux devenus un sujet de conversation. Le geste est fort et magnifique. Et a créé une émotion telle dans l’assistance que nombre de gens étaient en pleurs !
Au tomber de rideau, on entend la magnifique chanson, interprétée par Natalie Cole : I wish you love.
- Le champ des possibles, de et avec Elise Noiraud. C’est le dernier volet d’une trilogie intimiste d’Elise Noiraud, sur les affres du passage à l’âge adulte.
Seule en scène (elle interprète 17 personnages !), Elise Noiraud nous raconte, avec force émotions et beaucoup de drôlerie, une histoire d’émancipation a priori banale : une jeune provinciale débarquant à Paris, mais qui se transforme en comédie humaine universelle, mêlant névroses familiales, espoirs déçus, désirs enfouis et rencontres déterminantes.
À signaler le personnage de la mère, aimante mais envahissante, virtuose du chantage affectif et des pizzicato sur la corde de la culpabilité.
Texte intéressant et interprétation très convaincante.
- Le Grand Feu. Jean-Michel Van den Eeyden, directeur de l’Ancre-Théâtre Royal, y met en scène une plongée contemporaine et authentique dans l’œuvre de Jacques Brel.
Ensemble avec le rappeur belge Mochélan et le beatmaker Rémon Jr, Jean-Michel Van den Eeyden s’est lancé le défi de porter à la scène des textes de Jacques Brel en version rap, 40 ans après sa disparition. Plus qu’un hommage et loin du concert de reprise, Le Grand Feu est un rendez-vous avec l’artiste, ses mots, sa pensée, sur l’amour, la
passion, la liberté, la solitude, l’amitié, la mort…
Comme le dit Laurence Bertels (dans La Libre Belgique), «Le rappeur n’imite pas Brel. Il se l’approprie avec son air dégingandé, sa voix caverneuse, son visage émacié et sa tendresse brouillée. Il s’enfièvre, entre dans le costume du chanteur et lui rend vie ». À mi-chemin entre théâtre et musique, en dialogue avec le DJ qui donne un bel écho, c’est un spectacle très émouvant et qui rend pleinement justice à la beauté des chanson de Jacques Brel.
- Révolte d’Alice Birch, est une production du Théâtre du Centaure, qui « représentait » le Luxembourg dans ce Festival 2019. C’est une pièce inattendue, radicale, pertinente! Les dénonciations féministes et sociales sont aujourd’hui monnaie courante, mais souvent de l’ordre du discours, et finissent en ronron médiatique, à l’arrière-plan de nos existences distraites.
C’est une pièce de théâtre qui n’est ni littérature, ni démonstration, ni sermon moralisant, ni manifeste militant. Elle est à la mesure des discriminations qui l’inspirent. Phrases, bouts de phrases, mots, s’entrechoquent, explosent, emportent dans le souffle de leurs explosions. Rien de prêt à consommer. C’est le spectateur qui leur donne un sens.
Cette éruption verbale, Sophie Langevin a réussi à la transformer en personnages et en images scéniques. Dans une boîte blanche – un lieu d’anonymat généralisateur –, surgissent quatre personnages vêtus de vêtements blancs au style étrange, les déréalisant pour mieux les imposer dans ce qu’ils représentent.
Un spectacle bien mis en scène par Sophie Langevin, avec de bons acteurs et qui ne démérite nullement.
- Voyage terrestre et céleste de Simone Martini. C’est une création théâtrale autour du récit poétique du Toscan Mario Luzi (1914-2005), sur une musique originale d’Isabelle Chauvalon : récit (par Serge Barbuscia), chant et les deux orgues de la Cathédrale Notre-Dame des Doms (où on peut encore trouver des fragments de fresques de Martini) forment un ensemble cohérent.
Arrivé au terme de sa vie, le peintre Simone Martini (14e siècle) quitte la cour pontificale d’Avignon pour retrouver, dans une démarche tant artistique que spirituelle, la Maesta, son chef d’œuvre peint à l’âge de 30 ans à Sienne.
Comme j’adore cette Maesta de Simone Martini et que je ne manque jamais une occasion pour aller voir cette merveille au Palazzo Pubblico, dans la Salle de la Mappemonde, tant cette histoire que son interprétation, par un récitant, une cantatrice et deux orgues m’ont beaucoup plu.
- Je ne voudrais pas terminer cet itinéraire sans dire quelques mots sur la belle exposition Ecce Homo d’Ernest Pignon-Ernest, à la Grande Chapelle du Palais des Papes.
Près de 400 œuvres, photographies, collages, dessins au fusain, pierre et encre noire, croquis, de cet artiste du « street art » qui évoquent ses réalisations dans les rues des villes et sur les murs des cités, depuis 1966 jusqu’aujourd’hui, témoignant de son engagement politique et social, dans la défense de grandes causes ou au service de la mémoire et de l’histoire collective.
Pour Ernest Pignon-Ernest, il s’agit de faire se rencontrer un lieu et un thème. Prenons l’exemple de Naples. Cette ville de cœur, il l’a arpentée de jour comme de nuit, en promeneur bien sûr, mais aussi en lecteur, sur les pas de Virgile et d’Erri De Luca. Il lui a fallu trois mois et quatre versions déchirées avant de trouver son Pasolini assassiné, portant son propre cadavre, façon Pietà. Il s’imprègne tout autant de musique, d’art ancien et de philosophie et convoque Masaccio et Dante pour nourrir son destin.
Selon lui, « tout (son) travail consiste à faire en sorte qu’une image densifie un lieu, qu’elle le révèle, le perturbe parfois, qu’elle en semble inséparable ».
C’est une expo superbe et qui nous montre qu’il n’y a pas que Banksy et ses interventions, plus ou moins surprenantes, mais commercialement rentables, au monde !
Pour terminer : cet itinéraire très subjectif d’un pèlerin culturel s’est continué après le Festival, notamment par la lecture plus intensive du livre cité d’Olivier Neveux, comme par la (re)lecture des articles publiés sur le Festival dans la presse ou dans l’excellent numéro spécial du journal La Terrasse. J’espère que beaucoup de questions soulevées ici continueront à interroger le lecteur.
1 Contre le théâtre politique, La Fabrique éditions 2019. Professeur d’histoire et d’esthétique du théâtre à l’université Lumière Lyon-2, Olivier NEVEUX travaille principalement sur l’articulation du théâtre et de la politique.
2 Le Monde du 9 juillet.
3 Souleymane Bachir Diagne est un philosophe sénégalais, né le 8 novembre 1955 à Saint-Louis (Sénégal). Professeur de français à l’université Columbia (New York), il est spécialiste de l’histoire des sciences et de la philosophie islamique.
4 « s’exercer à un autre universel : du surplomb à une prescription discutée », dans NectArt n.9, été 2019.
5 Jacques Rancière, Moments politiques, Interventions (1977-2009), La Fabrique 2009.
6 De nombreuses études nous montrent aujourd’hui que, par leur dynamique artistique, festive et conviviale, les festivals tels que celui d’Avignon favorisent la mixité sociale et intergénérationnelle et ont un impact culturel, humain, social et économique sur leur territoire. Cfr l’intéressant article à ce sujet dans NECTaRT n. 9 sur : quelle est l’utilité sociale des Festivals ?
7 À noter aussi, cette année, une présence importante des deux Chine, pour le moment encore sans lieu dédié.
8 Comme je ne peux évidemment pas parler de l’ensemble des 27 spectacles vus, j’ai dû faire des choix, ce qui me laisse frustré de ne pas pouvoir évoquer des spectacles comme « J’entrerai dans ton silence », de Françoise Lefèvre et Hugo Horiot qui éclaire la relation poignante entre une mère et son fils autiste Asperger et leur long chemin vers l’ouverture, ou « Vive la vie » par la Compagnie suisse Interface, spectacle entre théâtre, danse, musique et cirque qui interroge la notion d’évolution et de progrès, ou encore « Axis Mundi », rencontre entre la breakeuse et chorégraphe Anne Nguyen et la marionnettiste Elise Vigneron, pour évoquer notre monde en transformation.
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