(Viviane Thill) Il y a les blockbusters avec lesquels on nous rebat les oreilles des mois à l’avance (comme Top Gun : The Maverick, prévu pour la mi-juillet mais dont le trailer passe et repasse déjà partout) et les chefs-d’œuvre qui se font parfois attendre (comme Beanpole / Une grande fille, grand film dévastateur et radical qui doit sortir le 18 mars au Luxembourg, soit plus de sept mois après la sortie française). Et puis il y a les productions plus discrètes qui font quelques petits tours à l’Utopia et s’en vont faute de spectateurs assez curieux pour s’y aventurer.
C’est le cas cette semaine de pas moins de trois films qui valent tous le détour pour une raison ou une autre. La llorona est peut-être le plus urgent car à l’exception de ce mardi soir, il se trouve déjà relégué dans les seules séances de l’après-midi, ce qui est généralement mauvais signe.
La llorona (c) Les Films du Volcan
Pourtant, ce troisième long métrage de Jayro Bustamante refait (littéralement) remonter à la surface un des épisodes les plus sombres et les plus tabous de la récente histoire du Guatémala : le massacre de 200.000 personnes dont une très grande majorité de Mayas et le déplacement massif et brutal de dizaines de milliers d’autres, accusés d’être des opposants communistes. En 2013, l’ancien dictateur Efrain Rios Montt fut jugé pour génocide et crimes contre l’humanité et condamné à 80 ans de prison mais le jugement fut invalidé par la Cour constitutionnelle. C’est ce procès dont s’inspire Bustamante (Ixcanul, 2015, Tremblements, 2019) en se plaçant du côté du dictateur – dans le film il s’appelle Enrique Monteverde – avant, pendant et après le procès. Le vieillard nie tout ce qu’on lui reproche tandis que sa fille et sa femme commencent à se confronter aux atrocités qu’elles n’ont pas su ou pas voulu voir, aidées en cela par une jeune domestique maya qui vient s’immiscer dans leur maison et leurs cauchemars. C’est elle la « llorona », la « pleureuse » des légendes sud-américaines, qui hante les fleuves (et ici les piscines) et pleure la mort de ses enfants. Même si on peut lui reprocher de ne pas donner assez de contours à ses personnages, Jayro Bustamante se sert plutôt habilement de cette vieille histoire de fantôme pour dénoncer une société hypocrite, sexiste et raciste qui continue à profiter de ses privilèges acquis au prix de l’assujettissement de la population indienne.
Noura rêve (c) Propaganda Production
Dans le premier long métrage de la Belgo-Tunisienne Hinde Boujemaa, Noura rêve… de divorcer et d’aimer librement son amant Lassaad. En Tunisie, chacun des époux peut demander le divorce en raison d’un préjudice subi et Noura tente d’invoquer à cet effet les multiples séjours de son mari Jamel en prison. Mais quand Jamel est libéré prématurément avant que le divorce ne soit prononcé, Noura se retrouve à sa merci et forcée de renier son amant pour leur épargner à tous deux les cinq ans de prison par lesquels la loi tunisienne continue de punir l’adultère.
Formidablement interprétée par Hend Sabri, actrice tunisienne d’ordinaire très glamour et qui joue ici à visage nu, Noura est une femme libre et fière mais impuissante face à une société qui la réduit au rôle de mère et d’épouse. Pourtant les hommes sont aussi victimes. Lotfi Abdelli – humoriste connu en France et en Tunisie – campe Jamel en père aimant et mari maladroit qui viole sa femme sans même en avoir conscience. L’amant (Hakim Boumsaoudi) ne s’en sort guère mieux, obsédé qu’il est de venger sa virilité humiliée par Jamel. C’est dans les relations complexes et fouillées entre ces trois personnages, leurs non-dits, leurs (res)sentiments, leurs mensonges mais aussi l’amour et l’espoir auxquels continue à rêver Noura, que réside la force du film qui dénonce presque au passage la corruption et les inégalités sociales.
Muidhond (c) Versus Production
La réalisatrice belge Patrice Toy s’attaque à un thème difficile qu’elle tente d’approcher d’un point de vue inhabituel. Muidhond, basé sur un roman de la psychologue judiciaire Inge Schilperoord (La tanche, Editions Belfond), suit le combat d’un jeune pédophile contre ses pulsions. Jonathan (Tijmen Govaerts) sort de prison et tente de s’isoler le plus possible mais ne peut échapper à la petite voisine Elke (Julia Brown), fillette esseulée qui, sans comprendre ce qui tourmente Jonathan, reconnaît en lui sa propre solitude et cherche à se lier d’amitié avec lui.
En montrant le corps de la fillette à travers les yeux de Jonathan, la cinéaste fait bien comprendre que le désir sexuel que suscite Elke vient entièrement du garçon et qu’elle n’y est pour rien. On est ici à mille lieues de Lolita et si le film est troublant, c’est parce qu’il nous oblige à voir en Jonathan un homme en souffrance, torturé par des pensées qu’il ne peut empêcher. Le film met visuellement en scène son total isolement que vient refléter en miroir le poisson (la tanche, supposé avoir des pouvoirs guérisseurs) emprisonné dans un aquarium trop petit où il se heurte sans cesse aux vitres et finit par dépérir. Courageusement, Patrice Toy nage à contrecourant, non en nous appelant à avoir pitié d’un pédophile – elle ne laisse aucun doute au fait qu’un passage à l’acte serait insupportable et dévastateur – mais en demandant d’au moins reconnaître l’humanité des pédocriminels que la société se hâte de traiter de monstres pour mieux s’en distancer.
Afin de promouvoir la visibilité des réalisatrices, forum_C publie la liste des film tournés par des femmes à l’affiche au Luxembourg. Du 3 au 11 février (par ordre alphabétique):
- Als Hitler das rosa Kaninchen stahl (Caroline Link)
- Atlantique (Mati Diop)
- Birds of Prey (Cathy Yan)
- Farewell (Lulu Wang)
- Frozen II (Chris Buck, Jennifer Lee)
- Die Heinzels (Ute von Münchow-Pohl)
- Lindenberg ! Mach dein Ding! (Hermine Huntgeburth)
- Latte Igel und der magische Wasserstein (Nina Wels, Regina Welker)
- Muidhond (Patrice Toy)
- Noura rêve (Hinde Boujemaa)
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