forum_C : „The Witch“ de Robert Eggers

★★★☆☆

(Viviane Thill) Avec seulement deux longs métrages, l’Américain Robert Eggers s’est taillé une solide réputation dans le cinéma d’horreur estampillé « art et essai ». Il a remporté le prix du meilleur réalisateur au Festival de Sundance pour son premier long métrage The Witch et le prix Fipresci de la critique internationale à Cannes ainsi que le prix du jury à Deauville pour son deuxième, The Lighthouse.


(c) A24

Actuellement disponible sur Netflix, The Witch nous ramène dans la première moitié du 17e siècle, à l’époque des tout premiers pionniers américains, ceux qui en 1620 étaient venus sur le Mayflower fonder une nouvelle Jérusalem en Amérique. Il touche donc à une période historique curieusement très peu exploitée dans le cinéma états-unien alors même qu’elle est à l’origine du récit national à travers les ‚Pilgrim Fathers‘ et le poids des croyances religieuses qui s’ensuit.

Après avoir été bannie de la colonie suite justement à une querelle religieuse, la famille de William (Ralph Ineson) tente de survivre à l’orée d’une forêt menaçante. Au lieu de rencontrer Dieu dans ce pays qu’ils prenaient pour un nouvel Eden, ils vont être confrontés au Diable.


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Car quand le maïs dépérit, quand le gibier ne peut être attrapé, quand le bébé nouveau-né disparait, cela ne peut être que l’œuvre du démon qui s’incarne dans une chèvre ou dans une jeune fille aux seins bourgeonnants et aux pensées inavouables. Pour ces puritains hantés par le péché originel et la peur constante de déplaire à Dieu, le Mal est partout, les sorcières existent et les bébés qui meurent avant d’être baptisés vont droit en enfer.

Eggers met en scène de façon quasi documentaire ce que pouvaient être la vie et le système de croyance des pionniers fraîchement arrivés en Amérique et obligés de faire face à un monde inconnu. Le décor a été reconstitué avec un souci palpable du détail. Le réalisateur utilise pour l’essentiel une palette de couleurs monochrome dominée par le gris dans laquelle les quelques taches rouges sont d’autant plus terrifiantes. Les nombreuses séquences de nuit sont éclairées à la chandelle (photographie: Jarin Blaschke). Il n’y a aucune lumière ici, aucun signe de Dieu, aucun espoir.


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Même la nature semble éternellement grise, comme si elle refusait obstinément de nourrir la très pieuse famille de pionniers. Sous-titré A New-England Folktale, le film dépasse toutefois très vite ce niveau strictement historique pour y mélanger des éléments de contes populaires et une imagerie chrétienne très codée. On pense bien sûr à l’épisode des sorcières de Salem qui aura lieu quelque 60 ans plus tard, tandis que la présence de la forêt avec, en son centre, la maison de la sorcière au chaperon rouge, la pomme empoisonnée crachée par sa victime, les enfants vendus par des parents trop pauvres pour les nourrir, sont autant d’éléments tout droits surgis des contes encore non expurgés par Disney, le tout mâtiné de quelques références au Shining de Kubrick.


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Mais Eggers s’avère essentiellement un grand formaliste, créant une atmosphère angoissante par la beauté et la rigueur de ses plans que la composition et la lumière transforment en autant de tableaux. Il joue constamment sur les hors champs et les non-dits, le plus grand de ceux-là étant le tabou de la sexualité naissante et refoulée de Thomasin (Anya Taylor-Joy), la fille pubère de William. Le drame ne commence-t-il pas quand son jeune frère Caleb (Harvey Scrimshaw) lorgne sur ses seins ?

De façon un peu opportuniste et pas tout à fait satisfaisante, le film s’échappera à la fin du carcan puritain pour célébrer in extremis une féminité subversive dans un sabbat émancipateur. Ce n’est pas parce qu’elle est ouverte que cette fin déçoit mais parce qu’elle ne semble convaincre pas même son réalisateur qui ne trouve pas d’images vraiment saisissantes pour l’illustrer alors que son inventivité visuelle marque tout le reste du film.

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Ce thème de la sexualité refoulée trouvera un très curieux écho dans le deuxième long métrage de Robert Eggers. Dans The Lighthouse, deux gardiens de phare interprétés par Willem Dafoe et Robert Pattinson deviennent fous quand ils se retrouvent isolés sur une île minuscule. Ou, pour le dire avec les mots de Eggers: « Rien de bon ne peut arriver quand deux hommes sont isolés dans un phallus géant. ». The Lighthouse est un film tout aussi rigoureux que The Witch d’un point de vue formel, mais complètement déjanté dans son scénario, penchant bien davantage du côté surréaliste, un film où l’inhibition de la sexualité ne s’incarne pas dans le Diable mais s’extériorse par des crachats, des jurons, des vomissements ainsi que de la violence verbale et physique. Au pouvoir subversif de la femme s’oppose en quelque sorte la masculinité toxique. Comparé à ce film, The Witch a une facture presque classique et peut  séduire un public plus large, prêt à se laisser désarçonner par un film d’horreur à l’ancienne, qui n’est pas sans faire penser dans ses meilleurs moments au Nosferatu de Murnau dont Eggers prépare, paraît-il, un remake.

The Witch est accessible actuellement sur Netflix.

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