Viva il cinema!

Le Festival de Cannes 2020 est annulé mais vive le cinéma!

C’est peu ou prou ce qu’a déclaré mercredi dernier Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, lors de l’annonce de la sélection officielle 2020 qui ne verra pas les palmiers de la Croisette.

56 films ont néanmoins été choisis qui pourront s’orner du prestigieux logo « Sélection officielle Cannes ». C’est une façon d’attirer sur eux l’attention du public et de la critique mais aussi de leur ouvrir le circuit des innombrables « petits » festivals de par le monde qui reprennent chaque année les films passés à Cannes.

Cannes joue traditionnellement un rôle majeur de défricheur et Frémaux sait que laisser passer une année sans festival, c’est condamner à mort beaucoup de films qui risquent de passer inaperçus dans des salles où se bousculeront à l’automne les blockbusters. A commencer par le 25e James Bond, le nouveau film d’animation Disney-Pixar intitulé Soul (qui fait d’ailleurs partie de la sélection cannoise), Top Gun : Maverick, Black Widow, Godzilla vs Kong, le remake de West Side Story par Steven Spielberg ou celui de Dune par Denis Villeneuve qui sont tous maintenant programmés pour la période d’octobre à décembre, sans parler des nombreux films d’auteur qui ont, eux aussi, dû repousser leur sortie. Arborer la Palme de Cannes devient dès lors un atout de taille.

Les heureux élus ne sont cette année pas classés en sections mais en « premiers films » d’un côté, cinéastes « nouveaux-venus » (sous-entendu : en sélection officielle) et « fidèles » de l’autre.

Parmi ces derniers, un certain nombre étaient attendus : Maïwenn, réalisatrice de Polisse et Mon roi présentera le film semi-autobiographique ADN, Thomas Vinterberg propose Druk avec Mads Mikkelson sur une bande de profs qui décident de s’enivrer pour mieux faire cours et, dont on ne sait si le film est joyeusement incorrect ou lourdement moralisateur (la bande-annonce oscille entre les deux), le prolifique François Ozon est là avec Eté 85 sur deux jeunes hommes qui semblent s’aimer d’amour tendre et Wes Anderson avec une œuvre qui paraît faite sur mesure pour Cannes puisqu’il s’intitule French Dispatch et présente une étonnante brochette de stars françaises et anglophones, ce qui, en temps normal, est un argument positif sur la Croisette. Très chic !

Mais il y a aussi ceux qui manquent à l’appel, parce qu’ils sont sortis entretemps sur une plateforme internet, comme De Five Bloods de Spike Lee qui devait présider le jury et a déjà promis sa présence pour l’année prochaine. Son film sort le 12 juin sur Netflix. Plus étonnant, le producteur de Benedetta de Paul Verhoeven (sur une nonne mystique et lesbienne au 16^e siècle !) qui savait déjà son film sélectionné pour Cannes 2020 avant l’annulation du festival, a décidé de repousser la sortie d’un an entier. Benedetta est d’ores et déjà en lice pour la Palme d’Or 2021. Tout comme peut-être le nouveau film de Bruno Dumont dont on n’a pas de nouvelles. Quant à Tre Piani de Nanni Moretti, il ira sans doute à Venise. Risquer une sortie aux résultats incertains ou laisser passer 2020 comme une « année blanche » et se positionner pour Berlin ou retenter Cannes, c’est aussi la question que doit se poser Leos Carax dont la comédie musicale Annette est tout de même déjà en production depuis six ans !

La petite histoire ne dit pas quels films ont été sélectionnés avant ou après la crise sanitaire. Last Words, fable post-apocalyptique de Jonathan Nossiter (cinéaste américain devenu agriculteur adepte de la permaculture en Italie après avoir réalisé le documentaire Mondovino en 2004), raconte la fin de l’humanité décimée par un virus en 2085. Elle meurt en regardant de vieux films conservés à la Cinemateca de Bologne. Mais le film le plus près de l’actualité pourrait bien être Mangrove 9 du réalisateur britannique Steve McQueen qui raconte l’histoire vraie d’une émeute provoquée par la violence policière dans un quartier noir de Londres en 1970. Chose rare (mais pas  unique), deux films du même réalisateur sont au programme virtuel de Cannes. Mangrove 9 et Lovers Rock sont en fait deux épisodes devenus films à part entière d’une mini-série sur la communauté antillaise de Londres commanditée par la BBC à Steve McQueen.

Dans les nouveaux-venus, l’Egyptienne Ayten Amin s’intéresse dans Souad à la jeunesse de son pays et A Good Man de Marie Castille Mention-Schaar (Les héritiers) présente l’intérêt d’avoir pour interprète principal l’étonnante Noémie Merlant qui était amoureuse d’Adèle Haenel dans Portrait de la jeune fille en feu, a joué une jeune adolescente s’éprenant d’une attraction de fête foraine (!) dans la coproduction luxembourgeoise Jumbo et interprète ici un jeune homme trans qui va décider de mettre au monde un enfant.  

16 réalisatrices figurent parmi les 56 cinéastes en sélection officielle, meilleur chiffre absolu depuis au moins 2015 (les statistiques de Cannes ne remontent apparemment pas plus loin…). Il ne faudrait pas jeter pour cela la pierre au comité de sélection. Seuls 25,7% des films qui lui ont été soumis étaient réalisés par des femmes, ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour l’avenir !

L’un des objectifs avoués de cette sélection fantôme est de soutenir le cinéma dans un moment de crise. Un critère des sélectionneurs a d’ailleurs été cette année : Est-ce un film pour le retour en salles ? C’est sans doute pour répondre à cette question que cinq comédies françaises ont été intégrées dans la sélection dont Les deux Alfred de Bruno Podalydès avec son frère Denis. Ils nous avaient ensemble donné en 2015 le délicieux Comme un avion qui incitait à larguer les amarres et tout arrêter pour se laisser emporter au rythme paresseux d’un kayak…

Et Thierry Frémaux de rappeler qu’en 2020 on aurait aussi fêté à Cannes le 100^e anniversaire de Federico Fellini. Viva il cinema !