„News of the World“ de Paul Greengrass
Quoi de mieux en cette période tourmentée et confinée qu’un western ? Les grands espaces, des personnages ambivalents (et, si possible, de vrais bons méchants !) ainsi qu’une réflexion pertinente sur l’un des mythes fondateurs des Etats-Unis, voilà ce qu’on attendait de News of the World (sur Netflix depuis le 10 février). A minima, on espérait de l’action et du suspens de la part du réalisateur Paul Greengrass, spécialiste de films sur la guerre et le terrorisme (Bloody Sunday, United 93, Green Zone, Captain Phillips, 22 July) et auteur de la série Jason Bourne. Eh bien, c’est raté!

Il est vrai qu’il y a aussi Tom Hanks, apparemment à l’initiative du film. C’est également lui qui en aurait confié la réalisation à Greengrass sous la direction duquel il a déjà fait Captain Phillips. Or, on a un peu de mal à imaginer Hanks dans le rôle d’un as de la gâchette à la William Munny (Unforgiven). Depuis que John Wayne a rendu l’âme (et même déjà àun peu avant), c’est pourtant là l’archétype du héros westernien : un anti-héros ambigu, tiraillé entre violence et repentance, entre légende et réalité (sordide), massacreur de bisons et d’Indiens, conscient de sa disparition prochaine. Alors certes, Tom Hanks est ici fatigué et plus très jeune. Son capitaine Jefferson Kyle Kidd est un vétéran traumatisé de la guerre de Sécession, qui semble avoir renoncé à rentrer chez lui. Mais ambigu ? C’est un adjectif qui ne sied guère à l’acteur Hanks et donc son capitaine Kidd, tout traumatisé et cicatrisé qu’il soit, est un homme bon et juste, toujours prêt à prendre la défense de la veuve et de l’orphelin. Ou plutôt de l’orpheline puisque sur son chemin, il rencontre une fillette en robe d’Indienne (Helena Zengel, l’extraordinaire jeune comédienne découverte dans Systemsprenger), ne parlant pas un mot d’anglais. Il s’avère que Johanna (ou Cicada selon son nom indien) a été enlevé à ses parents biologiques, des immigrés allemands, par des Kiowas qui l’ont ensuite adoptée. Ceux-ci ayant été massacrés à leur tour par des Blancs, elle se retrouve doublement orpheline. Dans cette Amérique profondément divisée de l’après-guerre, personne ne semble se sentir responsable d’elle et, comme il est bon et juste, le capitaine Kidd entreprend de la ramener à son oncle et sa tante, à 600 km de là.
❝Comme Kidd qui évite soigneusement toute discussion politique, le film louvoie entre des thématiques qu’il soulève sans oser les traiter.❞
Sauf que Johanna ne se souvient – au début en tout cas – plus du tout de sa première famille. Elle se laisse pourtant emmener par Kidd et les voilà partis dans les plaines du Far West où les attendent de méchants pédophiles et un étrange homme d’affaires aux manières expéditives très trumpiennes. En chemin, Kidd gagne tant bien que mal leur vie en lisant à haute voix les nouvelles aux habitants analphabètes des bleds perdus qu’ils traversent. C’est son métier qui donne son titre au film.
Cahin-caha, leur périple se poursuit ainsi, tout juste interrompu par une fusillade sur des rochers, une roue cassée, quelques lectures de journaux bien peu passionnantes et une rencontre avec des Kiowas dans la seule séquence visuellement intéressante du film.
La métaphore de la ligne droite

Comme Kidd qui évite soigneusement toute discussion politique, le film louvoie entre des thématiques qu’il soulève sans oser les traiter. Le contexte – la haine d’une moitié des Américains envers l’autre qui vient de remporter la guerre – présente pourtant quelques analogies avec la situation actuelle. A quoi bon la mettre en place si c’est ensuite pour s’abstenir de la commenter? Le sujet des enfants blancs élevés dans des tribus indiennes a été peu étudié dans les westerns si l’on fait fi de quelques rares classiques (The Searchers et Dances With Wolves) dans lesquels il est cependant question non d’enfants mais de femmes blanches. Johanna est déchirée non seulement entre deux (l’américaine et l’indienne) mais entre trois cultures puisqu’elle est d’origine allemande. La représentation des immigrés allemands miséreux s’échinant à tirer de quoi manger d’une terre ingrate qui n’a rien d’un nouvel Eden est assez inhabituelle mais évacuée en deux petites séquences.
Une question plane deux heures durant sur le film mais n’est jamais adressée directement : pourquoi Kidd ne rend-il pas Johanna aux Kiowas qu’elle considère comme sa seule vraie famille ? Il n’est pourtant pas du genre à prendre ces derniers pour des « sauvages ». La réponse est évidente autant qu’apparemment indicible dans un film grand public : la vie que Johanna a connue avec sa tribu n’existe déjà plus. Dans la scène de la rencontre avec les Kiowas, ceux-ci sont filmés comme des fantômes, surgissant d’une tempête de sable, vagues silhouettes se détachant sur le désert, condamnés à la disparition tout comme les bisons (digitaux) qui remplissent, pour un court moment encore, les plaines parcourues par les chariots des immigrés toujours plus nombreux.

Mais de tout cela, le film n’a pas le courage ni même l’ambition d’en débattre. La métaphore de la ligne droite (philosophie occidentale) à laquelle Johanna oppose celle du cercle (philosophie indienne) ne sera finalement pas remise en question et le film se termine sur une sorte de happy-end aussi prévisible que peu excitante.
Si au moins, News of the World pouvait, à défaut de les remettre en question, se servir des codes du western classique pour nous faire passer un bon moment. Mais la mise en scène de Paul Greengrass est d’une désolante platitude et les grands espaces ressemblent à des images prises sur Google Earth. Helena Zengler s’en tire encore le mieux en faisant de Johanna un personnage atypique et impénétrable. Elle parvient à ne jamais paraître attendrissante, même dans une scène où elle doit ramasser une poupée surgie du passé.
Si vous voulez voir comment de vrais grands réalisateurs s’approprient le western pour l’enrichir tout en s’en servant pour un commentaire à la fois drôle, tendre et cruel sur le destin humain et le monde tel qu’il va, regardez plutôt The Ballad of Buster Scruggs de Joel et Ethan Coen, datant de 2019 et toujours disponible sur Netflix !
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