De l’amour et du hasard

Contes du hasard et autres fantaisies

Il est rare de voir simultanément deux films d’un même cinéaste à l’affiche dans nos cinémas. C’est pourtant ce qui arrive actuellement avec Ryūsuke Hamaguchi, réalisateur japonais encore peu connu chez nous mais qui a déjà à son actif plusieurs longs métrages dont notamment Asako I et II, présenté à Cannes en 2018.

Rien de plus érotique que les mots (c) Neopa Co.

Depuis déjà plusieurs semaines, on peut découvrir dans les salles luxembourgeoises Drive My Car, Prix du scénario à Cannes l’année dernière et Oscar du meilleur film étranger en 2022. Adapté d’une nouvelle de Haruki Murakami, le film raconte la rencontre improbable, à Hiroshima, entre un célèbre metteur en scène de théâtre venu y monter Oncle Vania, et Misaki, une jeune femme qui lui sert de chauffeur durant son séjour. Tous deux doivent surmonter un deuil inattendu, compliqué par un fort sentiment de culpabilité. Entre le metteur en scène et la jeune femme va se former, au cours de nombreux trajets en voiture, un lien fait de silences, de phrases polies et de confidences abruptes.

Également à l’affiche est donc maintenant le film précédent du même réalisateur Ryūsuke Hamaguchi, qui a reçu – tout juste cinq mois avant la consécration de Drive My Car au Festival de Cannes – le Grand prix du jury à Berlin en 2021. Le titre original signifie « Hasard et imagination ». Les Français ont préféré le traduire par le plus rohmérien Contes du hasard et autres fantaisies. Eric Rohmer fut l’un des grands réalisateurs de la Nouvelle Vague française, connu pour ses films très dialogués dans lesquels il mettait en scène des histoires d’amour souvent enjouées et apparemment anodines, pour mieux disséquer les mystères de l’âme humaine. Il les rassemblait dans des « collections » dont une est intitulée Contes moraux (1947-1963) et une autre Contes des quatre saisons (1990-2000). (Pour ceux que cela intéresse : une douzaine de ses films sont à disposition sur la plateforme La Cinetek.)

L’autre toujours insaisissable (c) Neopa Co.

Dans Contes du hasard et autres fantaisies, Ryūsuke Hamaguchi nous raconte trois histoires, sans lien entre elles, si ce n’est les thèmes de la rencontre, du hasard, de l’imagination, du temps qui passe, et une atmosphère discrètement mélancolique. Le film commence par une séance de shooting photo, manière d’attirer l’attention sur le paraître, la mise en scène, le jeu de rôles. La jeune modèle nommée Meiko (Kotone Furukawa) fait ensuite un trajet en voiture avec sa collaboratrice et amie qui lui révèle qu’elle est tombée amoureuse d’un homme avec lequel elle a passé toute une nuit à parler mais sans faire l’amour. Meiko ne laisse rien paraître, mais l’homme dont il est question est son ex qu’elle va ensuite confronter.

Dans le deuxième épisode, un étudiant, qui s’estime humilié par un professeur, veut se venger. Pour cela, il demande à son amante – une femme plus âgée et mariée – de séduire le professeur, ce qu’elle se propose de faire en lisant à voix haute un texte érotique avec lequel il vient de remporter un prix.

Faire comme si (c) Neopa Co.

Dans le dernier épisode, deux anciennes amies de lycée se retrouvent mais se rendent compte qu’il s’agit d’une méprise et qu’en fait elles ne se connaissent pas. Néanmoins, elles vont « faire comme si ».

De l’art de filmer la parole

Ryūsuke Hamaguchi dit que les films d’Eric Rohmer lui ont appris à filmer une conversation. Contes du hasard et autres fantaisies est en effet une suite de longues discussions, filmées dans des décors variés (une voiture, un café, des bureaux, une chambre, un salon) qui sont finement exploités pour mettre en valeur le dialogue et le jeu des acteurs. Sa maîtrise de l’espace est parfaite et même s’ils sont en japonais, et donc pour la plupart d’entre nous parfaitement incompréhensibles, on a la sensation que ses dialogues sont ciselés, précis… et érotiques. Dans Drive My Car, l’une des séquences les plus intrigantes est celle où une femme fait l’amour à son mari en lui racontant une étrange histoire d’écolière qui s’introduit en cachette dans la chambre du garçon qu’elle aime.

Contes du hasard et autres fantaisies“ dépeint avec une grande subtilité et infiniment de nuances, les contradictions, les failles, les déchirements et les secrets de personnages à la fois proches et lointains.

Dans Contes du hasard et autres fantaisies lui répond comme en écho un texte érotique lu à voix haute, dans le décor tristement banal d’un bureau d’université dont la porte doit rester ouverte, surtout quand le prof s’y trouve seul avec une jeune femme. Mais l’anonymat du bureau et cette porte ouverte sur le couloir n’empêchent pas l’imaginaire, porté par le texte et la voix, de galoper et le désir de passer entre l’homme qui écoute, passif, et la femme qui croyait mener le jeu et sera bien sûr prise à son propre piège. Auparavant, Hamaguchi l’avait filmée avec son amant, un peu lassée, une peu distante, maîtresse de la situation, dans une sensualité que le réalisateur transmet. non en filmant l’acte sexuel, mais le corps assouvi après l’amour des deux amants en train de parler.

Le corps assouvi après l’amour des deux amants en train de parler (c) Neopa Co.

La voix, le corps, les sens, ce qu’on est, ce qu’on aimerait être et ce qu’on fait semblant d’être, mais aussi les incertitudes de l’amour et l’autre toujours insaissisable avec lequel toutes les conversations du monde n’arrivent pas à nous mettre au diapason, sinon peut-être dans la très belle fin, sont les sujets sous-jacents de ce film à la fois léger et grave, qui met de surcroît en avant de magnifiques personnages féminins. On retiendra notamment Nao (Katsuki Mori) la lectrice du deuxième épisode, épouse, mère de famille et amante d’un étudiant plus jeune qu’elle, Natsuko (Fusako Urabe) qui aimait passionnément une fille au lycée et regrette éternellement de l’avoir laissée partir, ou encore Aya (Aoba Kawai), épouse et mère frustrée, qui se souvient avec émotion d’une jeune pianiste dont elle a pourtant oublié le nom.

Drive My Car a rencontré, malgré une durée de trois heures et quelques longueurs, un succès inattendu. Plus modeste en apparence et aussi plus court (deux heures qui passent vite), Contes du hasard et autres fantaisies dépeint avec une grande subtilité et infiniment de nuances, les contradictions, les failles, les déchirements et les secrets de personnages à la fois proches et lointains.

Actuellement au cinéma

Als partizipative Debattenzeitschrift und Diskussionsplattform, treten wir für den freien Zugang zu unseren Veröffentlichungen ein, sind jedoch als Verein ohne Gewinnzweck (ASBL) auf Unterstützung angewiesen.

Sie können uns auf direktem Wege eine kleine Spende über folgenden Code zukommen lassen, für größere Unterstützung, schauen Sie doch gerne in der passenden Rubrik vorbei. Wir freuen uns über Ihre Spende!

Spenden QR Code