„Reality“ de Tina Satter : La lanceuse d’alerte

En se basant sur le verbatim d’un interrogatoire du FBI, Tina Satter réalise un film politique original et captivant sur une lanceuse d’alerte condamnée, en vertu de l‘Espionage Act, pour avoir divulgué à la presse un rapport des services secrets américains.

© HBO

Dans son premier long métrage intitulé Reality, l’Américaine Tina Satter reconstitue, presque phrase par phrase, un interrogatoire mené par deux agents du FBI à Augusta, petite ville de Géorgie (États-Unis), le 3 juin 2017. Ce qu’elle nous propose est littéralement une reconstitution de la réalité telle qu’elle se présente sur la transcription mot à mot de cette entrevue, rendue publique et qu’a publiée à l’époque le magazine Politico.

Mais Reality est aussi le prénom porté par la suspecte interrogée ce jour-là. Reality Winner, la vraie, apparaît à plusieurs reprises sur des photos dans le film, pour rappeler qu’il s’agit bien d’une histoire « vraie », mais aussi pour montrer que Satter a retranscrit, avec la même attention, les phrases échangées selon le rapport et l’apparence de Reality telle qu’elle-même se présentait sur les réseaux sociaux.

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En traduisant en sons et images le verbatim de cette conversation dont elle n’avait que la version écrite (et non l’enregistrement sonore), la réalisatrice trace peu à peu le portrait d’une jeune femme aux multiples facettes. Mais elle explore aussi les relations de pouvoir explicites (lois et règlements) et implicites (relations hommes/femmes, classes sociales, services secrets, médias) aux États-Unis. Et elle interroge les implications et utilisations de l’Espionage Act. Datant de 1917 et plusieurs fois adaptée depuis, cette loi a, entre autres, servi à accuser Julius et Ethel Rosenberg, Daniel Ellsberg et plus récemment Chelsea Manning, Edward Snowden, Julian Assange et… Donald Trump. Ce faisant, ce qu’ausculte véritablement Tina Satter en filigrane, c’est la réalité de la démocratie américaine au 21e siècle.

La totalité de l’intrigue tourne au final autour de deux documents écrits. L’un est une analyse réalisée par la National Security Agency (NSA) que Reality Winner, qui pouvait accéder à certains papiers classés secrets puisqu’elle travaillait en tant que traductrice pour l’agence, a transmise au site d’information The Intercept. L’autre est donc ce verbatim de sa conversation avec les agents du FBI. L’interrogatoire a lieu chez elle, alors que d’autres agents du FBI sont en train de fouiller sa maison et son téléphone. Les deux interrogateurs Garrick (Josh Hamilton) et Taylor (Marchánt Davis) veulent faire avouer à Reality (Sydney Sweeney) qu’elle a divulgué un document concernant la possible ingérence des Russes dans l’élection présidentielle de 2016. Elle se montre surprise et fait mine de coopérer tout en niant avoir la moindre idée de quoi il retourne. Ce qu’elle ignore, c’est qu’ils ont déjà toutes les preuves. Tout en (sur)jouant la collégialité – ne sont-ils pas tous les trois au service du gouvernement états-unien ? –, les deux agents ne peuvent cacher une certaine jouissance à l’égarer pour mieux laisser le piège se refermer sur elle à la fin. Elle est perdue d’avance dans ce jeu sournois du chat et de la souris mais cela, elle ne le comprend que peu à peu.

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Rapports de force

Bien qu’ils ne paraissent aucunement violents, les agents instaurent immédiatement un rapport de force qui se matérialise dans leurs cartes marquées du sceau FBI et plus insidieusement par le fait qu’ils sont des hommes face à une toute jeune femme en short ultra-court, une image plutôt connotée white trash dans le cinéma hollywoodien. Reality n’est certes pas du genre à avoir froid aux yeux mais quand elle se retrouve dans sa maison avec plusieurs hommes costauds qui envahissent sa chambre à coucher et lisent son journal, puis seule dans une pièce vide au plafond bas, sous un néon blafard, face à deux mecs qui la mettent littéralement au pied du mur et – bien qu’ils ne soient que deux – semblent l’encercler, on ne peut s’empêcher (en tout cas quand on est une femme) de ressentir un profond malaise.

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Malaise renforcé par les allusions à Big Brother présentes dès le début du film quand on découvre Reality dans son petit cagibi de traductrice au-dessus duquel trône un écran de télévision transmettant la novlangue de Donald Trump via Fox News. La jeune femme dira d’ailleurs que c’est la présence continuelle de cette chaîne quand elle travaillait qui l’a poussée à bout. Et les agents semblent tout savoir d’elle, ce qui, il est vrai, n’est pas sorcier dans un monde dans lequel existe facebook.

On a rarement vu une actrice interpréter, avec juste un texte, quelques accessoires et un décor unique, un personnage féminin aussi inattendu et complexe.

Alors que Tina Satter tire ainsi le meilleur profit des décors et des costumes pour accentuer la tension toujours sous-jacente, c’est Sydney Sweeney (The White Lotus, Euphoria) qui donne corps à Reality. Souvent filmée en gros plan, on la voit littéralement réfléchir à toute allure pour tenter d’éviter les pièges tendus par les hommes du FBI. Elle arrive également à rendre immédiatement crédible ce personnage de jeune femme lambda, avec ses peluches, sa chienne (vite mise dans une cage pour éviter qu’elle ne morde les agents) et son chat, mais qui déclare aussi tout naturellement posséder trois armes, dont un fusil d’assaut… de couleur rose ! Ancienne de l’US Air Force, elle lit le Coran, pratique le yoga et le CrossFit, parle trois langues du Moyen Orient, se dit patriote et parle d’égale à égal avec les agents du FBI. On a rarement vu une actrice interpréter, avec juste un texte, quelques accessoires et un décor unique, un personnage féminin aussi inattendu et complexe.

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Du coup, on reste presque sur sa faim quand le film s’achève sur un montage final qui nous apprend que Reality a été condamnée à une peine de cinq ans (elle a été libérée entretemps pour « bonne conduite »). Les raisons de cette peine exceptionnellement lourde – elle n’avait divulgué qu’un seul document qui, de surcroît, ne prouvait pas grand-chose – et le rôle peu reluisant joué dans l’affaire par The Intercept qui, par sa négligence a permis au FBI de suspecter immédiatement Reality Winner, mériteraient sans doute un film à part.

Reality Winner a collaboré avec la réalisatrice sur le film mais refuse jusqu’à présent de le voir.

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