Berlinale 5 – Des hominidés et des pierres

L’un parle d’hominidés et l’autre de pierres, mais aussi bien Sasquatch Sunset des frères Zellner que le documentaire Architecton du Russe Victor Kossakovsky nous interrogent sur l’avenir de l’humanité.

(c) Sasquatch Sunset

Sasquatch Sunset de David Zellner and Nathan Zellner

Présenté comme le film le plus étrange de l’année – et ce n’est pas un exagération publicitaire ! – Sasquetch Sunset est projeté à Berlin hors compétition. D’abord incrédule, on y suit quatre êtres velus dans des forêts de montagne, où ils survivent en se nourrissant de fruits et d’insectes. Sont-ils nos ancêtres lointains ? Ou plutôt nos descendants, retournés à un état primitif après une quelconque catastrophe ? Mais il n’y a pas de reste de Statue de la Liberté en vue, et ces drôles d’hominidés – deux d’entre eux sont joués par Jesse Eisenberg et Riley Keough! – ne semblent même pas disposer d’un langage articulé: le film est entièrement sans paroles. Ils communiquent pourtant entre eux et tentent apparemment de prendre contact avec des semblables en tapant sur les arbres.  Aucune réponse ne leur parvient. L’un d’eux disparaît, et puis un deuxième. Il reste la femelle et le petit. Le bébé nait mais sa survie ne paraît tenir qu’à un fil.

Construit au rythme des saisons comme un documentaire animalier, le film laisse d’abord perplexe. Est-ce un exercice d’école ? Une grosse blague potache ? Un genre de folk horror sans l’horreur ? On attend qu’il se passe quelque chose, mais il faut compter quarante minutes pas très palpitantes, durant lesquels ils mangent, ont des relations sexuelles (pas toujours de façon consentie), se menacent les uns les autres et confrontent ensemble divers dangers, avant que les protagonistes n’aperçoivent une trace de civilisation humaine. Ce qui les perturbe beaucoup. A partir de là, la présence humaine se fait plus présente, l’environnement change rapidement, les hominidés sont perplexes, angoissés. Perdus.

En 1981, Jean-Jacques Annaud tournait La Guerre du feu dont Sasquatch Sunset semble par moments être un remake contemplatif. Mais le film d’Annaud racontait la naissance de l’humanité. Il parlait de progrès, se terminait sur l’allumage d’un feu et une femme au ventre rond. Trente ans plus tard, les frères David Zellner and Nathan Zellner utilisent le mot « sunset » et suivent les survivants d’un peuple en voie d’extinction. Les protagonistes semblent être les derniers de leur espèce. L’humanité moderne, elle, reste invisible, réduite à des objets de consommation, des machines, des arbres abattus, des pièges mortels… et un musée folklorique consacré au bigfoot, ce monstre velu censé hanter les montagnes américaines, et dont l’autre nom est… sasquatch.

Architecton de Victor Kossakovsky

Architecton (c) Ma.ja.de. Filmproduktion GmbH, Point du Jour, Les FIlms du Balibari

A leur façon, originale et un peu puérile mais au bout du compte touchante, les auteurs de Sasquatch Sunset ne questionnent rien moins que notre relation à la nature et le devenir de l’humanité. Et c’est exactement ce que fait aussi le réalisateur russe Victor Kossakovsky dont les Luxembourgeois ont pu découvrir, il y a trois ans, au Luxfilmfest, le documentaire Gunda, sur la vie d’un cochon. Dans Architecton, présenté en compétition à la Berlinale, il s’intéresse aux pierres. Les « vieilles pierres » des ruines, les pierres que nous arrachons à la montagne et à la terre, les pierres millénaires au Liban dont plus personne ne sait comment elles ont été sculptées, les pierres avec lesquelles l’architecte Michele de Lucchi trace, dans son jardin, un cercle parfait dans lequel plus aucun humain n’aura le droit de pénétrer. Et en contrepoint, des bâtiments modernes, construits à la va-vite et détruits par la guerre ou des tremblements de terre, maisons éventrées, effondrées, réduites en gravats jetés dans les décharges, matériaux morts et désormais bons à rien.

Ces images époustouflantes se mélangent à la musique d’Evgueni Galperine dans une véritable symphonie visuelle et sensorielle que vient conclure, et en partie commenter, un épilogue dans lequel les préoccupations environnementales du réalisateur et de l’architecte sont formulés verbalement. « Pourquoi construisons-nous des bâtiments en béton qui durent cinquante ans, alors que les constructions de nos ancêtres ont survécu pendant des siècles ? » Pourquoi privilégions-nous la laideur à la beauté, le court terme à l’éternité, le béton à la nature ?

Langue étrangère de Claire Burger

Langue étrangère (c) Les Films de Pierre

L’avenir, c’est aussi ce qui préoccupe la Française Claire Burger dans Langue étrangère, également en compétition. Fanny (Lilith Grasmug) est une ado strasbourgeoise, harcelée dans son lycée, qui se réfugie après une tentative de suicide à Leipzig, chez sa correspondante allemande Lena (Josefa Heinsius). Les deux filles se rapprochent bientôt et deviennent amies intimes, faisant front commun contre des adultes empêtrés, d’un côté comme de l’autre du Rhin, dans leurs histoires de couple et leur refus de prendre au sérieux les menaces – politiques et environnementales – qui angoissent leurs enfants. Si la forme est ici classique, le film se démarque par la volonté de proposer une réflexion sur l’état d’esprit des jeunes d’aujourd’hui, fournit un catalogue des préjugés que nourrissent les Allemands vis-à-vis des Français et vice-versa, thématise la désobéissance civile et se veut une métaphore du « couple » franco-allemand. Les Allemands parlent plutôt de « deutsch-französische Freundschaft » et en conséquence et de façon un peu littérale, les deux ados hésitent entre amour et amitié. Mais au final, c’est la relation entre les deux filles, leurs expériences amoureuses et autres, leurs démêlées avec leurs parents, et leurs différences qui focalisent l’intérêt de la réalisatrice, au détriment des sujets politiques ou sociétaux.

A Traveler’s Needs de Hong Sang-soo

La relation entre des gens de culture différente et au monde qui nous entoure est également au centre de la contribution sud-coréenne de Hong Sang-soo. L’homme, qui tourne un à deux films par an et réussit l’exploit de presque tous les caser dans un grand festival (de préférence Cannes ou Berlin), propose cette fois A Traveler’s Needs, avec Isabelle Huppert dans le rôle principal (c’est leur troisième collaboration). Elle y joue une Française en Corée, qui n’a justement que très peu de besoins, vit chez un étudiant et gagne chichement sa vie en proposant des cours de français peu orthodoxes à des femmes coréennes.

Film après film, Hong Sang-soo tisse sa petite toile, construisant une sorte de comédie humaine, avec des personnages et des situations renvoyant parfois à ses œuvres précédentes. Les très longues conversations (généreusement arrosées d’alcool sous toutes ses formes) bifurquent parfois vers des sujets inattendus. Dans ce film-ci, le ton monte peu à peu, la présence d’une étrangère permet des apartés en coréen, les personnages (et les interprètes) butent sur l’anglais, ça risque de partir en vrille mais ça se termine toujours bien. Pour ceux qui s’engagent dans les films de Hong Sang-soo, il s’en dégage à la fois une douce familiarité et une certaine fascination, c’est subtil et drôle. Mais après plus d’une trentaine de films dans une veine comparable, ça manque un peu d’originalité.

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