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« At what point do we escalate? »
L’écoterrorisme au cinéma
Alors que les scientifiques s’épuisent à dénoncer l’inaction des gouvernements, et d’une partie de l’opinion publique, en matière de lutte contre les crises environnementales, certains militants optent désormais pour la désobéissance civile et posent ouvertement la question des moyens à mettre en œuvre pour sauver ce qui peut encore l’être. Ces activistes jettent de la peinture sur des tableaux dans les musées, d’autres bloquent des routes, occupent des lieux emblématiques, montent dans les arbres ou font la grève de la faim. L’activiste suédois Andreas Malm est allé plus loin. Il a publié un manifeste intitulé How to Blow Up a Pipeline: Learning to Fight in a World on Fire, dans lequel il constate l’inefficacité des méthodes non violentes. « At what point do we escalate? », demande-t-il alors. Estimant que l’utilisation de la violence peut être légitimée face à l’urgence des enjeux environnementaux, il milite pour une radicalisation et notamment le sabotage (ou écotage), en excluant toutefois la violence contre les personnes.
Face à la montée des résistances (et des dommages économiques qu’elles entraînent), les gouvernements réagissent le plus souvent par la répression. Des personnalités politiques et une partie des médias n’hésitent pas à parler d’« écoterrorisme » pour qualifier certaines actions. En Allemagne, le mot Klimaterrorismus a été déclaré barbarisme de l’année (Unwort des Jahres) en 2022.
Selon la définition du terrorisme dans le Code pénal luxembourgeois, qui ne fait que refléter celle d’autres législations et notamment celle des Etats-Unis en la matière, il n’est nul besoin de blesser, tuer ou prendre en otage une personne pour se voir qualifier de terroriste. Or, c’est la question que soulèvent précisément la plupart des films s’intéressant au sujet : du moment que les actes de sabotage ne blessent personne, peuvent-ils vraiment être considérés comme du terrorisme ? N’est-ce pas plutôt un terme utilisé pour faire peur, le mot faisant immanquablement surgir des images de carnage dans la tête des gens ? Et les vrais écoterroristes ne sont-ils pas ceux qui sont en train de détruire la planète ?
Les écoterroristes sont-ils partout ?
On peut se demander si ceux et celles qui voient des écoterroristes partout, jusqu’à évoquer le spectre d’une RAF verte (par référence à la Fraction armée rouge en Allemagne), n’ont pas regardé trop de superproductions hollywoodiennes. Les méchants qui, au fil du temps, ont été dans ces films des nazis, des communistes, des islamistes ou parfois simplement fous, sont en effet de plus en plus décrits comme écofascistes prêts à sacrifier une grande partie de l’humanité pour sauver la planète.

Dans Kingsman: Secret Service (2015), le personnage interprété par Samuel L. Jackson tente ainsi de manipuler les humains pour les faire se massacrer mutuellement et réduire de cette façon la population mondiale. Thanos décide dans le même but de purement et simplement faire disparaître la moitié de l’humanité dans Avengers: Infinity War (2018), alors que dans Aquaman (2018), Orm cherche à débarrasser définitivement les océans des humains qui sont en train de les détruire. Le méchant qui ranime dans Godzilla 2, King of the Monsters (2019) les Titans espère qu’ils pourront sauver le monde que les humains ont détruit. Ils commencent par anéantir plusieurs métropoles, éliminant ainsi quelques millions de gens.
Ces personnages, qui ont tout de même pris conscience des crises écologiques menaçant l’humanité, sont ainsi systématiquement relégués dans le camp des écofascistes et écoterroristes, sans que les causes et les effets de ces crises ne soient discutés, ni aucune solution alternative à la réduction drastique et génocidaire de la population proposée.
Cette approche n’est pas nouvelle. Sorti trois ans après le sommet de Rio (1992), 12 Monkeys de Terry Gilliam imaginait qu’un virus mortel, répandu par un ou des écoterroriste(s), tuait 99 % de la population mondiale en 1996. Trois sortes d’activistes apparaissent dans le film. Le premier niveau est constitué par un groupe de défenseurs de l’environnement qui s’avèrent n’être que des écolos inoffensifs et assez ridicules, adeptes résolus de la non-violence et qui dénoncent la radicalisation de leur ancien collègue Jeffrey Goines. Interprété par Brad Pitt, Goines – qui est par ailleurs décrit comme étant complètement barjo – quitte le groupe environnementaliste qu’il juge trop mou, emmenant avec lui les plus givrés des membres, pour fonder l’Armée des douze singes.
Ils commencent par anéantir plusieurs métropoles, éliminant ainsi quelques millions de gens.
Au bout du compte, Goines veut se venger de son père, un célèbre et richissime virologue. Alors qu’un tel mobile personnel – combattre un parent écocide ou, au contraire, lutter contre des pollueurs à l’origine de la mort ou de la maladie d’un proche – n’est jamais donné dans les documentaires cités ci-dessous, il apparaît dans beaucoup de films de fiction et semble donc davantage justifié par des règles narratives (character motivation) que par une quelconque réalité. Une motivation politique – par laquelle la plupart des activistes non fictifs expliquent leur engagement – est en effet plus compliquée à mettre en scène et risque de s’avérer moins consensuelle.
Goines va se contenter de remettre des animaux en liberté. Celui qui provoque l’éradication quasi totale de la population mondiale en propageant le virus mortel est un scientifique résolu à sauver la planète, que le film élève ainsi au rang de super-méchant.

Au même moment, un film pour enfants japonais raconte un combat environnemental dans lequel le sabotage, et même le terrorisme, sont au contraire évoqués du point de vue des activistes et présentés comme des actions de résistance. Réalisé en 1994 par Isao Takahato, le film d’animation Pompoko suit une communauté de tanukis, animaux du folklore japonais inspirés des chiens viverrins. Lorsque leur forêt est rasée pour faire place à une ville nouvelle, les tanukis se défendent en sabotant les travaux de construction. Ces actions provoquent des accidents qui tuent plusieurs ouvriers sur le chantier. Loin de l’occulter, le film thématise la mort de ces travailleurs, mais de nombreux articles occidentaux ont préféré passer sous silence ou même nier le fait que des humains meurent par la faute des tanukis. Une minorité se radicalise encore davantage et choisit la confrontation armée avec les forces de l’ordre. Sans succès. L’équilibre entre la nature et les humains est définitivement rompu.
Jay place l’idéologie et l’amour pour les animaux au-dessus de tout sentiment d’empathie envers les humains, un reproche souvent adressé aux écoactivistes.
En 2017, le réalisateur sud-coréen Bong Joon-ho narre le combat d’une petite fille contre une multinationale appelée Mirando (référence à Monsanto) et qui fabrique des cochons géants par modification génétique. L’un de ces cochons est Okja, le compagnon de jeu de la petite Mija, jusqu’au jour où Mirando récupère l’animal pour l’envoyer à l’abattoir. Des membres de l’Animal Liberation Front (ALF) – mouvement de défense des animaux qui existe réellement et a été classé en 1991 comme organisation terroriste par le FBI – s’emparent alors d’Okja. Jay (Paul Dano), le leader du groupe, explique doctement à Mija leurs méthodes pour aider les animaux : « We inflict economic damage on those who profit from their misery. We reveal their atrocities to the public and we never harm anyone, human or non human. That is our 40-year credo. » Ce message non violent, également revendiqué dans la réalité par l’ALF, est toutefois réfuté de façon brutale quand Jay frappe soudainement un membre du groupe, qui a enfreint l’une de leurs règles, en lui cognant la tête sur la table. Jay place l’idéologie et l’amour pour les animaux au-dessus de tout sentiment d’empathie envers les humains, un reproche souvent adressé aux écoactivistes.
« Nothing in the world has really changed. »
Réalisé par Jerry Rothwell, How To Change the World (2015) raconte les débuts de Greenpeace et pose la question des moyens mis en œuvre pour mener les luttes de préservation de l’environnement.
Profondément marqué par la guerre du Vietnam et la course à la bombe atomique, le Canadien Bob Hunter (1941-2005) devient journaliste et part sur un bateau baptisé Greenpeace pour tenter d’arrêter un test atomique en Alaska. Parmi les militants qui l’accompagnent se trouvent Patrick Moore et Paul Watson. Moore défend dans le documentaire le principe du « bearing witness », qui consiste à documenter et médiatiser les méfaits des industries écocides, une stratégie baptisée « mind bomb » par Bob Hunter pour décrire l’impact de ces images sur l’opinion publique. A contrario, Paul Watson n’hésite pas à s’en prendre physiquement aux chasseurs de bébés phoques ou de baleines. Il plaide pour l’action directe et doit quitter Greenpeace en 1977.
Greenpeace ne pratique pas le sabotage, mais à en croire le film, Bob Hunter a été du moins tenté par cette voie. Dans un moment de découragement, face aux bateaux qui arrêtent de pourchasser les baleines en présence de Greenpeace, mais reprennent dès que les militants ont le dos tourné, il écrit : « I’ve born witness to the point of nausea. Yet nothing in the world has really changed. Maybe we should buy some explosives and sink the bastards. » Bob Hunter n’a pas acheté d’explosifs, mais il a rejoint plus tard Sea Shepherd, et nous le retrouvons, aux côtés de Paul Watson, dans le documentaire de Peter Jay Brown, intitulé de façon provocatrice Confessions of an Eco-Terrorist (2010).

Brown ne cache pas qu’il est, au moment de la production du film, membre depuis trente ans de la Sea Shepherd Conservation Society fondée par Paul Watson. Le but de Sea Shepherd est d’agir contre toutes les pêches illégales et/ou non durables. A cet effet, Watson met en œuvre ce qu’il appelle la « non-violence agressive », en n’hésitant pas à tamponner les bateaux de pêche, voire les couler s’il le faut. Dans un style jubilatoire proche des documentaires de Michael Moore, Peter Brown fait de Watson une sorte de demi-dieu sans peur (sinon tout à fait sans reproche), capable de traquer les baleiniers dans l’immensité de l’océan. Brown se vante ouvertement de manipuler les médias pour rallier l’opinion publique à leur cause. Il reprochera plus tard à Watson d’entretenir un certain culte de la personnalité que Confessions of an Eco-Terrorist a contribué à créer et qui vaut parfois à Watson l’appellation de « gourou ». Si elle est, dans son cas, à prendre au sens figuré, elle fait néanmoins référence à certaines dérives sectaires liées au mouvement hippie des années 1970. Et, de fait, cette image d’un écolo baba cool doctrinaire, quelque peu illuminé et parfois toxicomane, revient dans bon nombre de films.
Nommé pour l’Oscar du meilleur documentaire en 2011, If a Tree Falls de Marshall Curry démontre lui aussi comment des activistes passent de la protestation pacifique aux actes de sabotage, mais veille au contraire à présenter son protagoniste comme un homme ordinaire. Daniel McGowan a été membre du mouvement Earth Liberation Front (ELF), créé dans les années 1990 pour affaiblir économiquement les gros pollueurs en incendiant des installations industrielles. Affublé d’un tee-shirt qualifiant George Bush Jr de « international terrorist », McGowan raconte qu’il a commencé à s’engager pour l’environnement après avoir vu des films montrant la terre ravagée par la pollution et la déforestation.
Il s’est d’abord engagé dans des actions pacifistes. Mais quand des manifestations non violentes, visant à empêcher l’abattage d’arbres, ont donné lieu à l’intervention musclée des forces de l’ordre, certains activistes se sont radicalisés. La symbolique très forte des arbres abattus, le sentiment d’être nargués par les autorités, l’abus de pouvoir de la part des multinationales, une violence policière perçue comme démesurée et arbitraire ainsi que le réel succès – médiatique et économique – des actes de sabotage sont les éléments invoqués dans le documentaire pour expliquer la radicalisation d’un certain nombre de militants.
Les films américains et européens indépendants nous mettent face à des images de destructions environnementales et mettent en scène différentes réponses et réactions, tout en thématisant les conséquences concrètes, stratégiques et éthiques de ces agissements.
Face à la prolifération du terme « écoterroriste » dans les médias, McGowan parle de « new buzz word » et de « boogy man word », utilisés par le gouvernement pour attiser la peur à l’égard des écologistes, alors que sa sœur (new-yorkaise) s’insurge de voir le terme de terrorisme attribué aux actions de son frère qui n’a pourtant commis aucun meurtre. Peter J. Brown réfute pareillement, dans Confessions of an Eco-Terrorist, cette appellation en arguant qu’en trente ans d’activité, Sea Shepherd n’a jamais tué ou sérieusement blessé personne. D’autres intervenants dans If a Tree Falls rappellent les blessures psychiques et la peur suscitée par les attentats. Un procureur explique qu’on peut être qualifié de terroriste même si on n’a mis personne physiquement en danger, alors qu’un militant renvoie le terme à la figure des grandes sociétés qui polluent et détruisent le monde.
« Will God forgive us? »
A l’opposé des écoterroristes représentés dans les blockbusters et un certain cinéma mainstream, les activistes dépeints dans les documentaires cités ne sont pas des tueurs en série et ils ne visent pas à terroriser la population. Leur but est d’attirer l’attention de l’opinion publique sur les problèmes environnementaux et, si possible, d’y remédier, sans blesser qui que ce soit. Le cinéma d’auteur propose un traitement un peu différent. Les films américains et européens indépendants nous mettent face à des images de destructions environnementales et mettent en scène différentes réponses et réactions, tout en thématisant les conséquences concrètes, stratégiques et éthiques de ces agissements.
Dans First Reformed (2017), le plus radical et aussi le plus perturbant de ces films, l’Américain Paul Schrader met en scène un pasteur du nom d’Ernst Toller (Ethan Hawke). Toller est sollicité pour venir en aide à un activiste souffrant d’une forme aiguë d’écoanxiété. Mais ce dernier se suicide, léguant au pasteur son ordinateur, son écoanxiété, une ceinture explosive et deux questions : « Will God forgive us? » et « Who’s gonna stand up and save the earth? »
First Reformed sort deux ans après l’encyclique Laudato si’, dans laquelle le pape François thématisait en 2015 la crise climatique, la société de consommation, l’emprise du monde financier et les inégalités sociales qui en résultent, toutes choses également discutées par Schrader. Dans une longue discussion avec un autre pasteur, Toller défend une interprétation écothéologique de la création. Se sentant abandonné de tous, il décide de se sacrifier et, tout protestant qu’il est, prend comme modèle les terroristes islamistes, puisqu’il choisit de faire usage de la ceinture explosive dans le but d’entraîner dans la mort l’un des gros pollueurs du pays, mais aussi des dizaines de paroissiens innocents.

Dans Woman at War (2018) du réalisateur islandais Benedikt Erlingsson, la protagoniste Halla (Halldóra Geirharðsdóttir) sabote des lignes de haute tension dans les montagnes islandaises afin de paralyser une usine d’aluminium et faire peur aux investisseurs étrangers. Elle veut également adopter une orpheline de guerre ukrainienne. Ecoguerrière et mère semblent deux activités a priori antagonistes, mais en réalité inséparables pour qui veut assurer un avenir aux enfants.
Dans son appartement, Halla a accroché côte à côte les portraits de Mahatma Gandhi et de Nelson Mandela. Mais alors que Gandhi est devenu l’emblème de la résistance non violente, le personnage de Mandela est plus ambigu. Bien qu’il ait défendu lui aussi la non-violence, il a jugé à un moment donné que la répression du gouvernement sud-africain ne lui laissait d’autre choix que de radicaliser ses méthodes et de passer au sabotage (tout en évitant de faire des blessés ou des morts). Ce débat est au cœur du film et se reflète dans le dédoublement de Halla, dont la sœur jumelle (interprétée par la même actrice) est fermement opposée à toute forme de violence. La dernière image du film montre Halla portant la petite orpheline sur une route inondée, toutes deux s’en allant vers un avenir bien incertain.
Night Moves de Kelly Reichardt (2013) sonde les conséquences éthiques et psychologiques d’un écotage qui tourne mal lorsqu’une personne non impliquée trouve la mort par accident. Dès qu’ils apprennent qu’un campeur a été noyé dans l’eau du barrage qu’ils viennent de faire sauter, le petit groupe d’écoactivistes commence à se disloquer. Night Moves devient alors une étude de caractère centrée sur la culpabilité et la paranoïa. Mais Kelly Reichardt pose aussi la question des réponses possibles aux crises écologiques : manifestations pacifiques comme les prône un personnage apparaissant au début du film, centrales nucléaires, sobriété ou modes de vie alternatifs ? Aucune ne semble réellement satisfaisante, mais pour les avoir écartées au profit du sabotage, le personnage principal interprété par Jesse Eisenberg se retrouve à la fin en train de postuler pour un job dans un magasin spécialisé dans l’outdoor, où l’environnement est réduit à un produit de consommation. Coincé entre un formulaire qu’il ne peut remplir (il ne peut donner son nom et n’a pas d’adresse) et un miroir de surveillance dans lequel se reflètent des clientes pendues à leur smartphone, il a tout perdu.
Dix ans plus tard, il il ne reste plus de temps pour ce genre de tergiversations morales. Le réalisateur américain Daniel Goldhaber choisit dans How to Blow Up a Pipeline une approche plus engagée, en imaginant un groupe de huit jeunes activistes, d’origines ethniques et sociales diverses, ayant chacun·e une raison personnelle pour se radicaliser. Victimes directes ou indirectes d’entreprises écocides, les protagonistes du film décident de passer à l’action en s’inspirant explicitement de l’opuscule d’Andreas Malm. Goldhaber utilise les codes du heist film – ou film de casse – pour construire un récit haletant, propre à attirer un public qui n’irait a priori pas voir une œuvre sur un sujet environnemental.
Lors de la sortie du film aux Etats-Unis, le FBI a émis plusieurs avertissements, craignant que des activistes radicalisés n’imitent les personnages en faisant sauter des pipelines. Car tout en débattant du pour et du contre de leur action et de ses conséquences éthiques, économiques et sociales, le film prend résolument le parti des écoactivistes. Il se termine – comme le livre de Malm – par un appel ouvert à passer au sabotage. Le réalisateur espère ainsi faire comprendre l’urgence de la situation et invite à discuter des réponses concrètes à apporter aux crises écologiques.
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