14e Luxembourg City Film Festival 6 – Sex is back!

« Sex is back in movies » annonçaient récemment plusieurs publications et le Luxfilmfest en fait la démonstration.

Les récentes plaintes déposées contre des réalisateurs accusés d’avoir violé de très jeunes actrices tout en érotisant leur corps à l’écran, les révélations sur la façon dont certains cinéastes amènent, contre leur volonté, des comédiennes à se mettre à nu ou à jouer des scènes intimes dont elles ne connaissent pas le contenu ni la visée à l’avance, l’ampleur du mouvement #MeToo et d’associations nées dans son sillage, comme l’ADA (Associations des Acteurices) qui vise à mieux entourer les conditions dans lesquelles les acteurs et actrices travaillent: tout cela a compliqué la représentation mais aussi la réception du sexe au cinéma.

Love Lies Bleeding (c) Film4/Escape Plan/Lobo Films

Selon plusieurs observateurs, le cinéma serait devenu plus timoré, voir carrément puritain, pour éviter ces accusations. Une recherche, faite pour le magazine Playboy par Kate Hagen, révèle que seuls 1,21% des longs métrages recensés sur la plateforme IMDB de 2010 à 2019 contiennent des scènes de sexe. Dans les années 1990, ce pourcentage était de 1,79%. Outre le malaise que peuvent aujourd’hui susciter ces scènes pour les raisons décrites ci-dessus, le cinéma mainstream (surtout américain, Disney en tête) s’adresse de plus en plus au public le plus large possible et – vu les colossales sommes investies – a besoin des spectateurs étrangers pour rentrer dans ses frais : deux raisons qui expliquent que les producteurs préfèrent éviter des scènes sexuelles qui risquent de choquer dans certains milieux ou certains pays. Quant au cinéma américain indépendant, il a de tout temps était relativement pudibond, ou en tout cas assez chastement centré sur les valeurs familiales.

En vérité, le sexe n’a jamais complètement disparu des écrans. Mais ce qui ne passe plus, c’est l’obligatoire première nuit d’amour lors de la rencontre d’un couple, filmée sans conviction, toujours de la même manière presque désincarnée, avec corps en sueur et mains qui se rejoignent au son d’une musique sirupeuse. La plupart du temps, on n’y croit pas et on attend que ça passe. Et l’on accepte encore moins des corps féminins – jamais au-dessus de trente ans et pas plus de 55 kilos – érotisés et objectivés par un « male gaze » dominant.

Pour continuer à exister, le sexe est obligé de se réinventer. Sur les plateaux, un métier nouveau est apparu, celui de « coordinateur/coordinatrice d’intimité ». Son apparition officielle date de la série The Deuce (2017-2019) sur HBO, qui raconte l’évolution de l’industrie pornographique aux Etats-Unis depuis les années 1970. Ces professionnels aident le réalisateur à mettre en scène les scènes intimes, en fournissant un cadre sécurisé aux acteurs et actrices, en discutant en détail comment, de quel point de vue et selon quelles règles une scène sera tournée, en veillant à mettre tout le monde à l’aise et en s’assurant du consentement de chacun. Certains cinéastes refusent cet intermédiaire qui leur paraît freiner leur créativité, d’autres assurent au contraire qu’il leur permet d’aller plus loin dans les scènes intimes.

La façon de considérer le sexe change aussi et le renouvellement vient en premier lieu des films LGBTQ+. Quand il apparaît, le sexe y est désormais un élément essentiel de la narration plutôt qu’une séquence obligatoire mais en fin de compte accessoire. Le président du jury international au Luxfilmfest en sait quelque chose. Ira Sachs a sorti l’année dernière Passages (produit en France) sur les relations tumultueuses qu’un cinéaste interprété par Franz Rogowski entretient simultanément avec un homme (Ben Whishaw) et une femme (Adèle Exarchopoulos). Ces scènes ne sont nullement gratuites puisque c’est en partie à travers elles que sont explorés les liens entre les personnages et l’évolution de leurs relations. Elles sont aussi chargées d’érotisme, au point d’avoir valu au film une classification N-17 aux Etats-Unis. Le réalisateur a refusé d’enlever les scènes ayant déplu au comité de classification et a fustigé l’avis qu’il considère comme anachronique et possiblement homophobe.

Le sexe est pareillement une donnée indispensable dans All of Us Strangers du Britannique Andrew Haigh, actuellement à l’affiche au ciné Utopia, dans lequel l’intimité physique mise en scène dans plusieurs séquences à la fois très crues et très tendres, rapproche et relie les deux protagonistes dans un film qui traite essentiellement de la solitude et du deuil. Il s’en est tiré avec un R (les mineurs de moins de 17 ans doivent être accompagnés d’un adulte) aux USA.

Femme (c) Agile Films/Anton/BBC Film

Projeté hors compétition au Luxfilmfest, Femme est un vrai thriller, érotique et très noir, dans lequel une drag queen se fait violer, puis utilise le sexe pour se venger de son agresseur. Le film de Sam H. Freeman et Ng Choon Ping joue de façon conséquente du trouble engendré par l’identité sexuelle ambiguë des deux protagonistes (interprétés par Nathan Stewart-Jarrett et George MacKay) et ne lésine pas sur les scènes de sexe qui deviennent par moments le principal moyen d’expression du personnage de George MacKay, incapable d’articuler autrement ses sentiments.  

Mais ce qui frappe peut-être le plus dans les films récents, dont plusieurs présentés également hors compétition au Luxfilmfest, c’est la façon naturelle, jouissive, voire subversive avec laquelle est présenté le sexe. Poor Things en est le meilleur exemple, dont l’héroïne, « née » dans le corps d’une adulte, n’a pas appris à devenir femme. Du coup, elle est parfaitement à l’aise dans ce corps et dans sa tête. Elle découvre vite la sensation plus qu’agréable que lui procurent certains frottements entre ses jambes et elle pratique avec enthousiasme ce qu’elle appelle le « furious jumping » tout en dépassant très vite son instructeur en la matière qu’elle va transformer, bien malgré elle, en amoureux possessif, et qu’elle quitte aussitôt.

Dans le film grec The Summer With Carmen, deux amis homosexuels décident d’écrire un scénario tournant notamment autour de la rupture de l’un d’eux avec un amant. L’originalité rafraîchissante de ce film estival très coloré est d’intégrer, de façon tout à fait naturelle, des scènes de nu et de sexe joyeusement désinhibées.

Programmé en séance unique le 8 mars, Drive-Away Dolls a été réalisé par Ethan Coen et écrit en collaboration avec sa femme Tricia Cooke, qui se présente elle-même comme lesbienne et connaît bien les milieux dans lesquels se passe le film. A savoir : l’Amérique rurale et a priori puritaine du Bible Belt. Mais chaque ville, aussi petite soit-elle, semble y avoir son bar lesbien, plus ou moins caché. Et c’est de bar en bar que vont, à la veille de l’an 2000, la sage Marian (Geraldine Viswanathan) et son amie, beaucoup plus délurée, Jamie (Margaret Qualley), poursuivies par des gangsters aussi ineptes que dangereux. Sans le savoir, elles transportent en effet une valise au contenu un peu particulier.

Drive-Away Dolls (c) Working Title Films

Drive-Away Dolls est en vérité un film Coen pur jus, version sexy et à la sauce queer ! Et ça marche, grâce au charme fou des interprètes, au rythme délirant auquel est menée cette virée dans laquelle l’ultra-violence ne s’exerce pour une fois que contre les hommes, et à l’aisance avec laquelle sont filmées les rencontres entre des femmes qui se fichent comme d’une guigne des mecs, ceux-ci, il faut bien l’avouer, ne brillant guère par leur intelligence ou leur charme. Tricia Cooke voulait appeler le film Drive-Away Dykes, les producteurs n’étaient pas d’accord, elle a néanmoins réussi à garder le titre pour la fin.

Et il aurait pu aussi servir au film de clôture du Festival qui sera projeté dimanche soir. Love Lies Bleeding, réalisé par Rose Glass, raconte, avec juste un peu moins de désinvolture, une violence plus gore et des scènes de sexe particulièrement sensuelles, une histoire semblable. Cette fois encore, on est renvoyé au XXe siècle (en 1989), au Nouveau-Mexique où Jackie (Katie O’Brian) et Lou (Kristen Stewart) deviennent amantes et sont poursuivies par des gangsters sanguinaires dont l’un n’est autre que le père de Lou (Ed Harris). Les deux films devraient sortir en salle au printemps.

Als partizipative Debattenzeitschrift und Diskussionsplattform, treten wir für den freien Zugang zu unseren Veröffentlichungen ein, sind jedoch als Verein ohne Gewinnzweck (ASBL) auf Unterstützung angewiesen.

Sie können uns auf direktem Wege eine kleine Spende über folgenden Code zukommen lassen, für größere Unterstützung, schauen Sie doch gerne in der passenden Rubrik vorbei. Wir freuen uns über Ihre Spende!

Spenden QR Code