- Umwelt
Nos amis, les non-humains
Introduction au dossier
Quand, il y a un peu plus d’un an, je me suis intéressée, en vue d’une conférence, à la représentation de l’écoterrorisme au cinéma, je suis tombée sur Paul Watson1. Lorsque le militant écologiste a été arrêté en juillet au Groenland, j’ai décidé, par curiosité, de suivre l’affaire sur les réseaux sociaux, que je fréquente très peu par ailleurs. Le mot-clé «Paul Watson » a inondé mes comptes de vidéos de baleines, mais j’ai aussi vu d’innombrables images de chats et chiens « mignons », ainsi que d’autres bêtes plus ou moins domestiques. Puis est arrivé Halloween et j’ai découvert, stupéfaite, que des gens s’amusent à déguiser leurs animaux comme on décorerait un arbre de Noël quand vient l’avent, coinçant les pauvres bêtes – qui ne comprennent visiblement pas ce qui leur arrive – dans des costumes plus grotesques les uns que les autres2. On parle beaucoup de droits des animaux, mais ne faudrait-il pas aussi respecter leur dignité?

Plus loin de chez nous (mais toujours sur les réseaux dits sociaux), des « amoureux de la nature » partent en masse observer les mammifères marins, qui sont du coup menacés par la multiplication des bateaux transportant les touristes ou dérangés dans leur reproduction par les humains se filmant en train de nager autour d’eux. A force de nous couper de la nature et de vivre le nez rivé sur notre portable, avons-nous totalement perdu tout bon sens dans notre relation au monde animal ?
L’aliénation crée la peur
Ce dossier est en partie né de ces interrogations. Comme c’est le cas avec d’autres sujets, les positions semblent irréconciliables. Entre ceux qui sacralisent toute vie animale et renoncent par conséquent aux produits d’origine animale quels qu’ils soient, et ceux qui dévorent au Luxembourg plus de 1,6 kilo de viande par semaine3 sans jamais penser aux conditions infernales (pour les bêtes, l’environnement et les ouvriers) dans laquelle elle est « produite », il y a toute la panoplie des pro- et anti-chasseurs, des viandards, flexitariens, végétariens et végans, des anthropocentristes, biocentristes et antispécistes, de ceux qui veulent réintroduire les grands prédateurs et ceux qui crient au loup dès que ces derniers pointent le bout de leur nez.
A force de nous couper de la nature et de vivre le nez rivé sur notre portable, avons-nous totalement perdu tout bon sens dans notre relation au monde animal ?
Les réflexions scientifiques, historiques, artistiques, philosophiques et anthropologiques autour de cette question de la relation entre les êtres humains et non humains sont tout aussi diverses. Ces dernières décennies, d’innombrables livres et contributions sur notre façon de (re)définir notre rapport aux animaux ont vu le jour, et ce, alors même que de moins en moins d’humains ont une connaissance, ou même seulement une expérience personnelle, de la nature et des êtres qui y vivent. Stéphane Risch, responsable du Natur Mobil, constate ainsi que les contacts physiques des enfants avec la nature et les bêtes qu’on y rencontre se font de plus en plus rares. Or, comme il le montre également, cette aliénation crée de la peur, et la peur, à son tour, empêche la connaissance.
Un domaine de recherche, spécifique et interdisciplinaire, est apparu pour étudier plus en détail les relations entre vivants humains et non humains : l’anthropozoologie, ou Human-Animal Studies, que le directeur du Musée national d’histoire naturelle, Patrick Michaely, présente ci-après, détaillant ses origines, ses thématiques et ses liens avec les mouvements de protection des animaux. Dans notre interview, le vétérinaire Tom Conzemius raconte ainsi la mutation du métier de vétérinaire au fil des siècles, évoque les nouvelles problématiques engendrées par l’évolution de nos relations avec les animaux domestiques et aborde les liens entre santé animale, santé humaine et environnement. Un autre sujet des Human-Animal Studies est la représentation des animaux dans les arts. La confrontation avec un herbier a amené l’artiste Justine Blau, dans son projet The Veil of Nature, à s’interroger sur la représentation de la nature, mais aussi sur le rôle et le fonctionnement de la science par rapport à cette dernière. Par la question de la conservation (l’herbier), elle en arrive au concept de « désextinction », mis en avant par certains chercheurs tentés de jouer aux apprentis sorciers.
Une façon de conserver la faune sans se prendre pour Dieu est la taxidermie. Elle permet de garder une trace matérielle des animaux, à des fins de mémoire, mais également dans un but pédagogique, scientifique, muséal ou artistique. forum s’est entretenu avec Guillaume Becker, seul taxidermiste professionnel au Luxembourg, qui évoque son parcours et son travail, tout comme son lien fort avec les animaux.
La biodiversité s’effondre
Cet intérêt grandissant pour nos relations avec le monde animal n’empêche pas la biodiversité de s’effondrer. Selon un article paru dans Geo en 20234, la masse des mammifères de compagnie et d’élevage pèserait 630 millions de tonnes, contre seulement 60 millions de tonnes (dix fois moins !) pour les mammifères sauvages terrestres et marins. Le Guardian5précise que le poids des seuls porcs d’élevage représente le double de celle de tous les mammifères sauvages terrestres. Parallèlement, les espèces exotiques envahissantes se répandent et constituent un danger pour la biodiversité des écosystèmes. Alain Frantz décrit, à l’exemple du raton-laveur au Luxembourg, le travail de détective nécessaire pour retracer l’origine de ces populations et ainsi mieux les comprendre pour, au final, les contrôler.
Alors que les défenseurs de la biodiversité œuvrent pour la préservation des populations de faune sauvage en général, les protecteurs des animaux se concentrent davantage sur leur bien-être en tant qu’individus.
La question se pose donc de savoir jusqu’à quel point nous sommes encore prêts à tolérer la présence de bêtes (plus ou moins) sauvages qui empiètent sur « notre » territoire, détériorent parfois nos biens et nous empêchent d’exploiter les ressources naturelles à notre guise. Des associations comme natur&ëmwelt essaient de sensibiliser la population à la cohabitation avec les animaux, y compris ceux perçus (souvent à tort) comme dangereux, tel que le relate Lieke Mevis avec l’exemple des guêpes. Pourtant, la masse des insectes baisse d’au moins 2,5 % chaque année6. Les populations de vertébrés sauvages suivies par le World Wildlife Fund ont diminué de 73 % entre 1970 et 20207. A brève échéance, 41 % des amphibiens risquent de disparaître, de même que 40 % des espèces d’insectes8. Tous ces équilibres mis à mal par les humains ne seront pas simplement rétablis en réintroduisant quelques espèces sauvages autrefois présentes sur nos territoires, d’ailleurs vite vilipendées lorsqu’elles rivalisent avec les espèces domestiques. Le Conseil de l’Union européenne, suivi par le Comité permanent de la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, vient ainsi de revoir à la baisse la protection du loup. Malgré des déclarations antérieures allant dans le sens contraire9, le gouvernement luxembourgeois soutient cette décision. Thomas Kolnberger la replace dans le contexte historique de la présence du loup au Luxembourg.
(Re)définir notre rapport aux animaux
De nombreuses associations luttent pour améliorer le bien-être et la survie des animaux sauvages et domestiques. Mais toutes n’ont pas la même approche. Ce qui nous ramène à Paul Watson. Sur les réseaux sociaux, il est surtout soutenu par les protecteurs des animaux et moins par les mouvements de protection de la nature. Pour des raisons idéologiques ou stratégiques, certains parmi ces derniers réfutent son approche qu’il qualifie lui-même de aggressive non-violence (s’en prendre aux intérêts économiques sans blesser les êtres vivants), mais d’autres estiment que ses actions les plus spectaculaires, qui misent essentiellement sur l’émotion suscitée par le massacre des baleines et des dauphins (et pour lesquelles il s’est retrouvé en prison au Groenland), sensibilisent certes le grand public, mais pourraient au final se révéler peu fructueuses, voire même contre-productives. La Luxembourgeoise Anna Schleimer, spécialisée dans la biologie des populations de baleines, essaie de dépasser la simple réaction émotionnelle pour poser un regard plus scientifique sur la situation des différentes espèces de mammifères marins et les dangers réels qui les menacent, ainsi que le rôle que peut jouer le Grand-Duché dans la préservation des écosystèmes marins.
Cette différence d’approche traduit en réalité une philosophie radicalement différente par rapport au monde animal. Alors que les défenseurs de la biodiversité œuvrent pour la préservation des populations de faune sauvage en général, les protecteurs des animaux se concentrent davantage sur leur bien-être en tant qu’individus. S’ils peuvent se rejoindre sur un certain nombre de causes (comme la protection des espèces menacées), ils se confrontent cependant sur d’autres points. Au Luxembourg, le Mouvement écologique préconise ainsi, au grand dam des amoureux des bêtes, une « chasse respectueuse des animaux » afin de réduire le gros gibier qui cause de graves dégâts à la forêt luxembourgeoise, déjà malmenée par le changement climatique10. Alors que les défenseurs des animaux les plus radicaux militent pour une alimentation sans protéines animales et que la lutte contre le réchauffement climatique nécessite une réduction drastique de la consommation de viande, l’agriculture biologique a néanmoins besoin du bétail pour pâturer les prairies (réserves de biodiversité) et fournir l’engrais nécessaire aux champs.
Dans un monde où les liens entre humains et non-humains se disloquent et se virtualisent, nous sommes donc amenés, sur le plan individuel, mais aussi en tant que société, à questionner la relation que nous entretenons avec le monde animal, qu’il soit loin ou proche de nous, domestiqué ou sauvage. Et c’est d’autant plus urgent que de nombreuses études démontrent les bienfaits irremplaçables que l’accès à une biodiversité en bon état a sur notre santé mentale et physique, comme le rappelle la biologiste et pédagogue Petra Lindemann-Matthies. Les humains font partie de la nature et ne pourront survivre sans elle. L’astrophysicien canadien Hubert Reeves, récemment décédé, le formulait autrement : « Il n’y aurait rien de plus inhumain qu’une Terre uniquement peuplée d’humains.11 »
1 Fondateur de l’association Sea Shepherd et notamment connu en tant que défenseur des baleines, Paul Watson a été détenu au Groenland du 21 juillet au 17 décembre 2024 suite à un mandat d’arrêt international émis par le Japon pour des événements survenus en 2010. Après cinq mois d’emprisonnement, le Danemark a finalement refusé de l’extrader et l’a libéré.
2 https://www.instagram.com/vakitamedia/reel/DBx4S16tsBK/ (toutes les pages Internet auxquelles il est fait référence dans cette contribution ont été consultées pour la dernière fois le 13 décembre 2024.)
3 https://ourworldindata.org/grapher/meat-supply-per-person?tab=chart&country=~LUX
6 https://www.wwf.de/themen-projekte/artensterben/insektensterben
8 https://www.ofb.gouv.fr/pourquoi-parler-de-biodiversite/la-biodiversite-en-danger
10 « Wald, Wild und Jagd – Wie passt das zusammen? » [Spezialbeilage], Kéisecker-Info, Mouvement écologique, novembre 2020.
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