Disons le d’emblée : si le film d’ouverture de Tom Tykwer, intitulé Das Licht, reflète le programme à venir de la 75e Berlinale, on est mal parti ! Heureusement, A Complete Unknown, dans lequel Timothée Chalamet interprète de façon très convaincante Bob Dylan en artiste surdoué mais pas toujours aimable, s’avère une bonne surprise. Parallèlement à la séance de gala à Berlin, le biopic est présenté ce soir au Kinepolis avant sa sortie sur les écrans luxembourgeois mercredi prochain.

Du meine Güte !
« Du meine Güte », c’est ainsi que s’exclame la nouvelle femme de ménage en entrant dans la chambre d’un des jumeaux de la famille Engels qui se trouve au centre du film Das Licht de Tom Tykwer. Elle le dit en arabe parce qu’elle est Syrienne et le traduit aussitôt en allemand à l’ado, mais dans le contexte de la scène, cela signifie quelque chose comme « Oh mon Dieu », et, sous-entendu, « Quel bordel ! » C’est exactement ce qu’on a envie de dire après deux heures trente de projection d’un film qui brasse à peu près toutes les grandes thématiques de notre époque sans rien dire sur aucune d’entre elles.
En 1998, Lola rennt, dans lequel Tykwer faisait vivre trois fois la même course effrénée à Franka Potente, avait capté quelque chose de l’air du temps et valu au réalisateur une réputation flatteuse. Par la suite, il n’a pas vraiment rempli les espoirs suscités par cette belle réussite. Ses films révèlent souvent une certaine attirance pour des sujets ésotériques dans des mises en scène ambitieuses mais qui ont tendance à pencher vers une esthétique proche du kitsch. Depuis 2017, il se consacre à la série Babylon Berlin dont l’action se situe dans les dernières années de la République de Weimar.

La lumière annoncée dans le titre de son premier long métrage depuis 2016, résulte d’un phénomène scientifique dûment expliqué dans le récit mais néanmoins susceptible d’entraîner les personnages dans des expériences proches du surnaturel. En se faisant engager comme femme de ménage, Farrah (Tala Al-Deen) va mettre à nu les dysfonctionnements d’une famille berlinoise dans laquelle chacun vit de son côté. La mère Milena (Nicolette Krebitz) reçoit une semaine sur deux son plus jeune fils, issu d’un adultère commis au Kenya où elle coordonne tant bien que mal un projet culturel. Le père Tim (Lars Eidinger) élabore, sans y croire le moins du monde, des slogans publicitaires pour des sociétés qui semblent portées sur le greenwashing. Le fils Jon (Julius Gause) est champion d’un jeu en réalité virtuelle et la fille Frida (Elke Biesendorfer) passe ses nuits à danser jusqu’à épuisement en chercheant tout à la fois une orientation à sa sexualité et un but à sa vie.
Est-ce parce qu’il est dorénavant habitué au format long des séries que Tom Tykwer éclate son récit entre tous ces personnages dont aucun n’a ici assez de substance pour qu’on s’y intéresse véritablement ? La déception est d’autant plus grande qu’on se souvient de Sterben, film comparable (également avec Lars Eidinger) mais infiniment plus intelligent, subtil et cruel, présenté l’année dernière par Matthias Glasner dans cette même Berlinale.
Ici, tout y passe : l’incapacité des familles à communiquer, l’avortement, l’adultère, la maternité, le divorce, la réalité virtuelle mais aussi le post-colonialisme, l’arrogance occidentale, la bureaucratie, les printemps arabes, les réfugiés, les crises climatiques. N’en jetez plus ! Stylistiquement, le film est à l’avenant : on y trouve des scènes (mal) chantées et dansées, des animations, des images d’archives, des illustrations abstraites, sans que tout cela ne fasse vraiment sens. Et, cerise sur le gâteau, c’est plutôt moche, à l’exception de quelques jolis plans sur des décors berlinois, ce qui a peut-être contribué à sa sélection en ouverture, qui sait ?
The times they are a-changin’

Retraçant les premières années de la carrière de Bob Dylan, A Complete Unknown est en revanche une bonne surprise. Le film de James Mangold, déjà auteur en 2005 d’un biopic sur Johnny Cash (Walk the Line avec Joaquin Phoenix), évite les habituels pièges du genre pour livrer un portrait de Dylan (Timothée Chalamet) en artiste de génie épris de liberté, sans cacher la face sombre du personnage. Celle-ci ne tient pas, pour une fois, à une dépendance à l’alcool ou la drogue, mais à la célébrité qui l’incommode, et à la personnalité même du chanteur qui semble parfois être son propre meilleur ennemi.
Faisant l’impasse sur sa jeunesse dont il refuse de parler, même à ses intimes, le film s’appuie essentiellement sur les chansons – interprétées de façon très convaincante par Chalamet lui-même – pour faire avancer le récit, à l’écriture très classique mais bien maîtrisée. Dès son arrivée à New York, Dylan rencontre ses idoles Woodie Guthrie, déjà très malade, et Pete Seeger (Edward Norton). Ce dernier le prend aussitôt sous son aile et devient le père de substitution qu’il finira par trahir. L’autre ancrage de la narration sont bien sûr les femmes dans la vie de Bob Dylan : Sylvie Russo (qui s’appelait dans la vraie vie Suze Rotolo), jouée par Elle Fanning ainsi que Joan Baez (Monica Barbaro), quelque peu réduite au rôle de faire-valoir de Dylan. Comparé à lui, elle apparaît comme une femme certes émancipée mais une artiste bien plus conventionnelle à laquelle il reproche sèchement de chanter trop joliment des textes un peu lourdauds. Sylvie s’en sort encore plus mal, réduite au rôle de la gentille petite amie, immédiatement jalouse de la collaboration entre Bob et Joan.

Le film est plus convaincant quand il lie les textes et l’évolution du chanteur à une Amérique en train de changer radicalement au début des années 1960, entre la crise des missiles de Cuba en 1962 et l’assassinat de Malcolm X en 1965. Ses chansons accompagnent ces crises qui ne sont pas sans rappeler celles que l’on vit aujourd’hui et confèrent à A Complete Unknown une indéniable modernité et un réel intérêt au-delà du seul portrait d’un chanteur qui a toujours réussi à ne pas être là où on l’attendait.
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