Berlinale 2 – Avancer

Vicky Krieps était à l’honneur vendredi dans la compétition berlinoise avec Hot Milk de Rebecca Lenkiewicz. Mais c’est le film Living the Land du jeune Chinois Huo Meng, sur le difficile passage de la Chine rurale à la société moderne, qui a procuré à la Berlinale son premier moment de grâce.

Hot Milk © Nikos Nikolopoulos / MUBI

Hot Milk, premier long métrage en tant que réalisatrice de la scénariste Rebecca Lenkiewicz (Disobedience, Ida), présenté en compétition à la Berlinale, a provoqué quelques rires moqueurs lors de la projection de presse. Le film, qui fera également l’ouverture du prochain Luxfilmfest, est adapté du roman de Deborah Levy, préselectionné pour le Man Booker Prize en 2016, qui raconte une difficile relation mère-fille lestée par un secret de famille qui empêche la fille d’avancer.

Fiona Shaw y interprète Rose, la mère paraplégique, et Emma Mackey est Sofia, sa fille qui est aussi son assistante, sa garde-malade et son souffre-douleur. Quand le film commence, toutes deux viennent de se rendre en Espagne où Rose espère profiter d’une cure quelque peu mystérieuse. Sur la plage, Sofia fait la connaissance d’Ingrid (Vicky Krieps) qui trimballe, elle aussi, un traumatisme familial.

Assez étonnement, venant de la part d’une scénariste, l’une des principales faiblesses du film réside dans un scénario qui se contente de donner pour acquis un certain nombre de retournements ou de réactions des différents personnages, ce qui semble être la trace d’une adaptation mal maîtrisée du livre à l’écran. Plusieurs dialogues sont par ailleurs d’une étonnante platitude (ce qui a déclenché les rires mentionnés au début). Le directeur de la photo Christopher Blauvelt se montre quant à lui nettement plus inspiré quand il collabore avec Kelly Reichardt (First Cow, Meek’s Cutoff, Certain Women) et se contente ici de composer une image sans relief, qui ne capte rien ni de l’atmosphère des lieux ni des émotions des protagonistes.

Tout cela fait qu’on a beaucoup de mal à s’intéresser à un récit qui laisse trop de choses dans l’ombre et en révèle trop sur d’autres. Fiona Shaw est la seule à vraiment incarner son personnage, apportant même un certain humour au portrait de la mère égocentrique et dépressive pour qui l’unique moment de plaisir arrive quand son médecin lui demande de rédiger la liste de ses ennemis. On ne la connaîtra pas dans le détail, mais elle paraît être plutôt longue et il se pourrait que sa fille en fasse partie.

Premiers troubles

On aurait préféré voir dans la Compétition le film Little Girls Trouble d’Urška Djukić, cinéaste slovène dont le premier long métrage a, au lieu de cela, été présenté dans la section Perspectives. Baigné dans une magnifique lumière (Lev Predan Kowarski), il raconte les premiers troubles d’une jeune fille timide (Jara Sofija Ostan), membre d’un choeur venu répéter un concert au sein d’un monastère où des ouvriers sont en train de restaurer les bâtiments. Entre foi chrétienne, amitiés adolescentes et éveil à la sexualité, Lucija cherche sa propre voie.

Little Trouble Girls © SPOK Films

Le film n’est certes pas d’une grande originalité et la fin frôle un peu le kitsch religieux, mais il se démarque par la délicatesse des sentiments ici exprimés, la finesse du jeu de l’actrice principale, rayonnante de bout en bout, et un scénario convaincant.

Abandonner la terre

Heureusement, la compétition berlinoise nous a également offert un premier moment de grâce avec la projection du film chinois Living the Land, deuxième long métrage du jeune réalisateur Huo Meng. Il nous ramène dans la Chine rurale de 1991, au moment où le pays est en train de changer pour passer à l’économie de marché. Les rites, traditions et systèmes de valeur ancestraux s’en trouvent chamboulés et les habitants sont forcés de s’adapter tant bien que mal.

Living the Land © Floating Light (Foshan) Film and Culture

Entraînés par la voix off du jeune Chuang, un gamin d’une dizaine d’années, nous sommes plongés au centre d’une communauté villageoise au moment où les hommes déterrent dans un champ les restes d’un bandit jadis exécuté et inhumé là, faute de mieux. Sa femme vient de mourir à son tour et la coutume veut qu’on mette les époux côte à côte. Pour l’occasion, leur fille – qui est aussi la mère de Chuang – est revenue au village avec son mari. Le couple travaille dans une ville lointaine mais est obligé de laisser le jeune garçon au village où il est élevé par la famille élargie. Il semble être particulièrement attaché à une jeune tante encore célibataire et une arrière-grand-mère qui a traversé tout le vingtième siècle.

Le film prend la forme d’une chronique paysanne rythmée par les mariages, les naissances, les enterrements, les récoltes et les passages de l’administrateur qui vient empocher une part de la récolte et vérifier si les femmes respectent la politique de l’enfant unique. C’est une contrée perdue, où même le temps s’étire littéralement d’une autre façon qu’en ville puisqu’on y suit un autre calendrier. Dans cette campagne où on laboure encore les champs avec des boeufs, l’arrivée d’un tracteur fait sensation. Peu à peu, les hommes partent travailler à Shenzhen. Une femme est mariée de force. Les vieux meurent. La terre est criblée par des gens venus de la ville pour vérifier si on peut y trouver du pétrole. Petit à petit, la solidarité familiale et villageoise, qui garantissait la survie, commence à s’étioler. Il ne se passe rien d’extraordinaire, et pourtant tout est bouleversé.

Living the Land © Floating Light (Foshan) Film and Culture

Huo Meng nous fait ressentir physiquement la fatigue et la souffrance qui sont le prix à payer pour tirer de la terre de quoi manger, l’éreintement d’une mère qui n’en peut plus de veiller sur son fils retardé mental, l’ébranlement d’une jeune fille traumatisée par un examen gynécologique intrusif et les questionnements d’un gamin qui aime les livres et cherche sa place dans ce monde en train de disparaître.

Le réalisateur et son directeur de la photo Guo Daming captent dans le brouillard du matin, sous la pluie torrentielle ou dans les champs pleins de jeunes pousses, des moments magiques qui rappellent la peinture chinoise. La caméra s’attarde sur les mains et les corps rugueux des paysans, sur les visages ridés, le travail manuel, les bêtes. L’agréable fraîcheur de glaces à l’eau achétées lors d’une journée de travail épuisante procure un instant de répit presque sensuel. Le travail sur le son est remarquable, qui contribue à faire vivre les paysages et la nature, tout aussi perturbés que les humains par l’arrivée de temps nouveaux.

A la fin, même les cadavres ne sont plus inhumés mais incinérés dans un lugubre hangar. La relation des anciens à la terre, difficile, pénible, violente quelquefois, perd son sens. Sans fausse nostalgie pour les temps anciens, Huo Meng dessine le portrait d’une société obligée d’abandonner un passé douloureux mais familier, sans savoir vers quel futur elle avance.

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