Berlinale 3 – Anatomie des relations humaines

La gentillesse et la douceur pourront-elles sauver un monde qui va mal ? A la 75e Berlinale, certains aimeraient y croire tandis que d’autres s’en tiennent à un constat nettement plus pessimiste.

Mickey 17 © 2025 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved

Très attendu hors compétition, le réalisateur sud-coréen Bong Joon-ho (The Host, Okja, Parasite) explore dans Mickey 17 (sortie luxembourgeoise prévue le 5 mars) un futur pas si lointain dans lequel il sera possible de copier/coller la mémoire d’une personne tout en reconstituant sans fin son corps. Ces avancées pourraient rendre les humains immortels dans une enveloppe éternellement jeune. Les questionnements éthiques et sociétaux de cette technologie n’ayant cependant pas encore été résolus, les reproductions humaines sont formellement interdites sur Terre mais tolérées dans l’espace. Un milliardaire égocentrique, mégalomane et névrosé – suivez mon regard ! – en profite pour inventer le métier d’« expendable » (ou « remplaçable ») consistant à exécuter les travaux les plus pénibles et se soumettre aux expérimentations les plus dangereuses. A chaque fois qu’un de ces ouvriers d’un genre nouveau meurt, il est immédiatement remplacé par une copie conforme à laquelle est implantée sa mémoire actualisée. Pour des raisons qu’il serait trop long d’expliquer ici, Mickey (Robert Pattinson) se porte volontaire. Il renaît donc encore et encore jusqu’au jour où, par mégarde, on le remplace alors que son corps précédent est encore vivant.

Mickey 17 ne propose pas de réelle réflexion philosophique profonde sur notre avenir posthumain. L’intrigue est surtout prétexte à une réjouissante comédie d’action, pleine de rebondissements (quelque peu attendus) et d’extraterrestres (plutôt coopératifs) dans laquelle les acteurs, Pattinson en tête dans un double rôle, s’en donnent à cœur joie. Le film n’en propose pas moins un commentaire sur notre société et la façon dont nous traitons d’autres humains. Il est peut-être symptomatique que la première qualité du héros est sa gentillesse.

En passant, le réalisateur se moque joyeusement des tristes sires qui prétendent régner sur les Etats-Unis, voire nous emporter vers d’autres cieux pour y implanter une nouvelle race supérieure. Malheureusement, pour le film et pour nous, la réalité vient de dépasser la fiction et le milliardaire incarné par Mark Ruffalo, aussi dingue et démesuré soit-il, n’arrive pas à la cheville d’Elon Musk. Il n’est qu’un pitre pathétique là où le nabab joué par Mark Rylance dans Don’t Look Up (Adam McKay, 2021) s’avérait autrement plus flippant.

Rapports inégaux

La façon dont les humains se traitent entre eux, est également le grand sujet de Dreams (en compétition), réalisé par le Mexicain Michel Franco, avec Jessica Chastain en richissime philanthrope, et le danseur Isaac Hernández dans le rôle d’un immigré qui rêve d’intégrer une compagnie de ballet à San Francisco. Les liens qui unissent ces deux personnages sont faits de dépendance économique, sexuelle et sentimentale.

Dreams © Teorema

Habituée à voir ses désirs exécutés, Jennifer est quelque peu déstabilisée quand elle découvre, en rentrant chez elle un soir, le jeune amant mexicain dont elle partage les nuits quand elle se rend pour ses bonnes œuvres de l’autre côté de la frontière. Sans l’avertir, Fernando est entré clandestinement aux Etats-Unis et s’attend maintenant à ce qu’elle officialise leur union. Sachant que sa famille ne sera jamais d’accord, mais incapable d’envisager une séparation, elle finit par prendre une décision radicale qui entraînera des conséquences funestes.

Michel Franco filme froidement une relation passionnée qui nous est montrée dès le début teintée d’ambiguïté et lourde de sous-entendus, à l’image des liens entre le Mexique et les Etats-Unis. Ils ont besoin l’un de l’autre, mais le déséquilibre dans les positions de pouvoir – ne serait-ce que face à la frontière que Jennifer traverse à sa guise alors que Fernando y risque sa vie – rend d’emblée impossible un rapport d’égal à égal. Jennifer et sa famille s’imaginent en généreux bienfaiteurs des arts et des migrants (et ne manquent jamais de le rappeler) alors que Fernando aimerait juste être respecté pour ce qu’il est. Visage de cire, garde-robe et bijoux de grand luxe, Jessica Chastain est parfaite dans le rôle de la riche femme blanche, inconsciente de ses privilèges et certaine de faire « le bien ». Mais, malgré ses nombreux séjours au Mexique, elle n’a jamais pris la peine d’apprendre l’espagnol et reproche même à Fernando de le parler avec ses amis.

Dreams © Teorema

Le réalisateur ne prend pas parti pour l’un ou pour l’autre de ses deux personnages mais révèle à quel point l’infériorité des uns, renforcée par l’arrogance, même inconsciente, des autres, et les rancœurs ainsi créées, aboutissent à la violence – y compris genrée – et à une fin, certes annoncée mais qui prend néanmoins de court le public.

Regarder les enfants

Michel Franco est souvent comparé à Michael Haneke pour le ton implacable sur lequel il filme la violence des relations humaines dans un monde qui va mal. Il va mal aussi dans l’univers d’Ari, le protagoniste éponyme du film de Léonor Serraille, également en compétition. Tellement mal qu’Ari n’arrive plus à le confronter et plonge dans une dépression qui l’empêche de réaliser son rêve à lui : devenir enseignant dans une école maternelle. Il n’a pas su faire face non plus quand son amie lui a révélé qu’elle était enceinte.

Ari a été réalisé avec la collaboration de l’Académie des arts dramatiques de Paris. Le scénario a notamment été écrit à partir d’entretiens et d’improvisations des élèves. Au contraire de Franco, la réalisatrice française veut croire que le salut peut venir de nos liens aux autres. Mis à la porte par son père veuf, qui ne supporte plus de le voir glandouiller et se lamenter, Ari n’a pas de plan, pas de projet. Il se met entre parenthèses et s’en va retrouver d’anciens amis plus ou moins compréhensifs. De rencontre en rencontre, les scènes se ressemblent, opposant à chaque fois Ari à d’autres personnages dont la fonction est surtout de le secouer pour l’amener à avancer.

Ari © Geko Films – Blue Monday Productions – ARTE France – PICTANOVO – Wrong Men – 2025

Léonor Serraille chasse de façon conséquente le monde externe de son film en cadrant presque tout le temps l’ensemble des personnages en très gros plans. C’est en quelque sorte l’invitation à se reconcentrer sur ses émotions pour mieux se reconnecter aux autres en faisant fi, le temps d’une pause, de l’état désastreux de tout ce qui nous entoure. A cultiver son jardin (Ari fait aussi la connaissance d’un beau jardinier) et regarder jouer les enfants quand on n’a plus la force ou l’espoir de changer l’avenir. La proposition peut sembler contre-intuitive par les temps qui courent. Mais Ari est un film chaleureux et généreux, et pas si apolitique qu’il n’y paraît, ne serait-ce que par son choix d’un personnage masculin vulnérable, indécis mais bienveillant et attentif, à l’exact opposé de ceux qui prétendent remettre  « l’énergie masculine » au centre de la société.

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