- Kino
Field of Vision
fait une place au documentaire politiquement engagé
Il n’y a pas encore si longtemps, on croyait le genre du documentaire moribond. Mais la situation politique que nous vivons depuis le début du 21e siècle a favorisé un renouveau inattendu du documentaire politique.
Le long métrage documentaire a toutefois un handicap, c’est qu’il demande un investissement important en temps et en argent et a du mal à réagir à l’actualité. Pour y remédier, la réalisatrice Laura Poitras a lancé en 2015 le site Field of Vision dont le but est la production et la diffusion de documentaires en format court (généralement 10 à 20 minutes) en prise directe avec l’actualité politique.
Nommée aux Oscars en 2007 pour son film My Country, My Country sur la présence américaine en Irak, Laura Poitras a remporté la statuette du meilleur long métrage documentaire en 2015 avec CitizenFour sur Edward Snowden. Elle est la cofondatrice du site de journalisme investigatif The Intercept. Field of Vision est né de là mais collabore désormais avec différents partenaires.
Field of Vision passe des commandes à des réalisateurs mais accepte aussi des propositions de films et permet même d’en déposer de façon anonyme. Le site contribue entre 5000 et 30000 dollars selon les besoins et laisse le copyright aux auteurs. Les films sont en ligne gratuitement et sans blocage géographique.
L’élection de Trump a donné un coup de fouet au site mais il ne traite pas que des Etats-Unis. La série The Journey (Matthew Cassel) suit ainsi une famille de Syriens cherchant refuge en Europe. Une autre est consacrée à la Grèce (#Thisisacoup, Paul Mason). Beaucoup de films sont réalisés par des femmes et la plupart sont accompagnés d’interviews avec les auteurs qui y expliquent en détail leurs choix en matière de contenu mais aussi d’esthétisme cinématographique. Car on est bien en présence de films et non de reportages télévisuels. Le commentaire est généralement remplacé par des textes expliquant le contexte nécessaire, la forme est souvent recherchée et complexe. Le site continue de travailler en collaboration avec The Intercept sur des documentaires tels que Project X, l’une des plus belles contributions, signée par Laura Poitras elle-même et Henrik Moltke. Cette enquête et le film visuellement étonnant qui l’accompagne sont consacrés au gratte-ciel sans fenêtres qui abrite à New York les équipements de la société de télécommunications AT&T… et apparemment un programme d’espionnage à grande échelle. Un autre film (Eric and «Anna», Kelly Duane de la Vega et Katie Galloway) est basé entièrement sur des enregistrements secrets du FBI.
Project X de Laura Poitras et Henrik Moltke
Les films sont formellement assez différents et certains sont plus intéressants que d’autres. Mais l’objectif est toujours le même: questionner l’activité des dirigeants politiques, montrer les implications qu’ont leurs décisions sur la société, attirer l’attention sur les abus possibles de pouvoir, interroger, remettre en question. Field of Vision est une initiative passionnante et on aimerait bien qu’elle fasse des émules en Europe!
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