Face à la crise climatique et à la disparition de la biodiversité, les films de science-fiction nous offrent la possibilité d’explorer une multitude d’avenirs possibles. Ils nous permettent de nous projeter dans les meilleurs et les pires des futurs, d’imaginer d’autres mondes et des manières nouvelles de façonner notre environnement.
La fin de la nature/de l’humanité
Les années 1970 ont marqué l’apogée de la première prise de conscience écologique dans les médias et le grand public. En 1962, Silent Spring de Rachel Carson1 avait thématisé la disparition des oiseaux à la suite de l’emploi massif d’insecticides. En 1968, Paul Ehrlich évoquait dans The Population Bomb2 le spectre de la surpopulation. En 1972, James Lovelock commence à formuler l’hypothèse Gaïa3 selon laquelle la Terre serait une sorte de superorganisme qui se régule lui-même pour maintenir la vie. La même année, le Club de Rome publie son rapport intitulé Les Limites de la croissance4. Un an plus tard sort sur les écrans Soylent Green de Richard Fleischer qui situe son action… en 2022.
Le générique du film résume en deux minutes le passage de la cohabitation harmonieuse des humains avec la nature à un monde surpeuplé, noyé sous les déchets, transformé en fournaise, contrôlé par un régime autoritaire et d’où toute nature a disparu. Seuls les riches mangent encore une nourriture plus ou moins naturelle, les pauvres devant se contenter d’une sorte de pâtée verdâtre qu’on dit fabriquée à partir de plancton.
On apprend à la fin du film que ce « soylent green » est en réalité constitué de cadavres humains. Et de cadavres, on n’en manque pas, puisque les plus pauvres sont si désespérés qu’ils se font euthanasier. Pour leur faciliter le passage de la vie à trépas et les remercier pour leur sacrifice, on leur montre au moment de mourir des images de la nature. Le personnage principal du film, interprété par Charlton Heston, est trop jeune pour avoir connu le monde d’avant, il n’a jamais vu la nature. Et c’est au moment de la mort de son vieil ami, joué par Edward G. Robinson, qu’il découvre pour la première fois de sa vie des images de chevaux dans un pré, d’arbres en fleurs et de couchers de soleil sur la mer. Une nature de carte postale, à la limite du kitsch, qui rappelle un mythique paradis perdu et qui fait pleurer Charlton Heston !
Soylent Green n’est pas un exemple isolé. Dans les années 1970, le cinéma s’approprie la thématique écologique. Un an après le film de Richard Fleischer sort Phase IV (Saul Bass, 1974), peut-être le film le plus étrange réalisé sur le sujet.
A la suite d’un événement mystérieux dans l’espace, un biologiste détecte un comportement bizarre chez les fourmis, qui commencent à attaquer d’abord leurs prédateurs et ensuite les humains. Ces petites bestioles sont d’autant plus effrayantes que ce sont de vraies fourmis que Saul Bass met en scène et non les insectes monstrueux qu’on avait l’habitude de voir dans des films d’horreur.
La bataille entre les humains et les fourmis a lieu dans le désert américain, un endroit hautement symbolique. Le désert est en effet une nature stérile, hostile aux humains, que les Américains se vantaient d’avoir transformée en paradis de la société de consommation. La ville où se passe l’action s’appelait Paradise City et son slogan était « more of the Good Life ». Les fourmis n’en ont fait qu’une bouchée.
Dans ce désert, deux scientifiques se confrontent aux fourmis, l’un essayant de les combattre par la force (cela finira très mal pour lui), l’autre tentant plutôt de communiquer avec elles. La fin du film est encore plus psychédélique que celle de 2001 – A Space Odyssey (Stanley Kubrick, 1968), auquel Phase IV fait de nombreuses allusions. On peut l’interpréter comme l’avènement d’une société nouvelle dans laquelle les fourmis et les humains semblent échanger leurs rôles respectifs…
Après l’apocalypse – sur Terre
Un nombre important de films s’intéressent au monde postapocalyptique. Qu’arrive-t-il quand la nature disparaît, quand il n’y a plus la possibilité de se nourrir, de se vêtir ou de se protéger de la faim et du froid ? Généralement, les quelques survivants retombent dans la barbarie. L’archétype est bien sûr la série des Mad Max, dont le premier épisode sort en 1979.
Alors que dans ce premier film, il reste un peu de nature, et que dans le deuxième, on aperçoit au moins quelques routes et donc des traces de la civilisation telle que nous la connaissons, dans les épisodes 3 et 4, il n’y a plus que du sable et une guerre sans merci pour l’eau et le pétrole. Dans le dernier épisode Fury Road (George Miller) sorti en 2015, la nature elle-même n’est plus qu’un vague souvenir, et la « green place », au centre de la quête menée par la protagoniste Furiosa, se révèle à la fin n’être qu’un marécage nauséabond où errent des créatures inhumaines.
En 1992, la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques est adoptée au Sommet de la Terre à Rio. En 1995 arrive sur les écrans Waterworld (Kevin Reynolds, 1995), qui imagine la Terre recouverte par les mers à la suite de la fonte des pôles. C’est le contraire du désert madmaxien, mais le résultat est le même : les humains redeviennent des barbares à la recherche désespérée d’un reste de nature.
Au XXIe siècle, le mouvement s’accélère, alors que défilent les conférences des parties (COP) et les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Un nombre grandissant de films se posent la question de la disparition de la nature. Outre la désertification et la disparition des terres sous les mers, une troisième variante est l’avènement d’une nouvelle période glaciaire, déjà annoncée dans le film-catastrophe The Day After Tomorrow (Roland Emmerich, 2004). C’est ce qui arrive dans Snowpiercer (Bong Joon-ho, 2013), adapté librement de la BD française Le Transperceneige (Jacques Lob et Jean-Marc Rochette, 1982).
Les humains ont essayé de réduire le réchauffement climatique par de la géo-ingénierie, mais au lieu d’un rafraîchissement, ils ont provoqué une nouvelle période glaciaire qui a immédiatement anéanti toute forme de vie. Seul un millier d’humains survivent dans un train qui tourne indéfiniment autour de la Terre, symbole d’une société lancée à toute allure, incapable de s’arrêter ou de changer de route.
Ce train est également symbolique d’une autre manière : les pauvres sont massés à l’arrière des wagons et les riches sont confortablement installés dans ceux du devant. Ils ont même réussi à emporter un peu de nature avec eux pour leur fournir un décor agréable et les nourrir. Les pauvres, eux, mangent des barres de protéines noires qui ressemblent à s’y méprendre au soylent green, mais sont fabriquées à partir de cafards.
A la fin, le train déraille. Les seuls survivants sont une jeune fille et un petit garçon qui sont nés dans le train. Ils se rendent compte que la température a augmenté et qu’il est désormais possible de survivre à l’extérieur. Ils sortent donc du train et se retrouvent face à… un ours polaire. Le symbole du réchauffement climatique devient ici le symbole de la nature qui trouve envers et contre tout le moyen de maintenir et reproduire la vie. Avec un peu d’optimisme, on peut imaginer que cette fille et ce garçon vont repeupler la Terre quelques années plus tard… s’ils ne se font pas dévorer d’ici là par les ours !
Dans The Road (John Hillcoat, 2009), c’est un événement non précisé qui anéantit d’un coup la quasi-totalité de la vie sur Terre et jette sur la route un père et son jeune fils. Pour Cormac McCarthy, l’auteur du roman paru en 2006, la raison de la catastrophe importait moins que la question : quel monde allons-nous laisser à nos enfants ? Le livre et le film ont été interprétés comme une métaphore de l’éco-anxiété, notion qui commence alors à se répandre. Comme dans d’autres films, la nature n’est ici plus qu’un souvenir, le petit garçon est né, comme les enfants de Snowpiercer ou Charlton Heston dans Soylent Green, après la catastrophe et n’a aucun souvenir du monde d’avant. Comme dans Mad Max, beaucoup de gens retournent à la barbarie sur le mode survivaliste.
Dans une séquence très symbolique, le père et le fils arrivent dans une forêt où les arbres, morts depuis longtemps, s’écroulent soudainement. Dans toutes les mythologies humaines, les arbres symbolisent la vie, mais aussi la renaissance et l’immortalité. Les arbres qui tombent d’eux-mêmes, comme s’ils abandonnaient tout espoir d’une renaissance possible, c’est une image de la plus profonde désespérance. Mais – contrairement au roman – le film oppose à cette séquence un autre épisode dans lequel le petit garçon découvre, émerveillé, un scarabée s’envolant vers le ciel. Dans l’ancienne Egypte, le scarabée symbolisait lui aussi la renaissance. C’est une lueur d’espoir. A la fin du film, le père meurt, mais le petit garçon est recueilli par une famille.
Dans Wall-E (Andrew Stanton, 2008), la Terre entière a complètement disparu sous les déchets et les humains ont fui dans l’espace. Depuis 700 ans, le petit robot Wall-E nettoie inlassablement la planète. Son seul compagnon, et apparemment le seul être encore vivant sur Terre, est un cafard. Mais un beau jour, Wall-E découvre une plante qui a miraculeusement survécu.
Le robot Eve, dont Wall-E est tombé amoureux, ramène la plante dans le vaisseau spatial, qui sert dorénavant d’habitat aux humains. Ces derniers vivent là depuis plusieurs générations, ils n’ont jamais vu la nature, sauf sur des images idylliques qui ressemblent à celles qu’on montre aux mourants dans Soylent Green. Quand ils découvrent la plante ramenée par Eve, ils décident aussitôt de repeupler et renaturer la Terre. Il faut regarder le générique pour voir la nature revivre. Un énorme arbre surgit de la petite plante. Et à côté se tiennent Wall-E et la bien nommée Eve dans les rôles d’Adam et Eve au Paradis.
Dans un monde sans humains, il se pourrait aussi que la nature reprenne très vite le dessus. Durant le confinement, on a beaucoup parlé des animaux qui ont réapparu dans les rues désertes des villes. C’est une idée qui nous vient directement du romantisme, avec ses ruines envahies par la végétation. Au cinéma, on peut citer I Am Legend (Francis Lawrence, 2007) avec Will Smith ou Dawn of the Planet of the Apes (Matt Reeves, 2014) dans lesquels la nature reconquiert New York. Dans Dust (2009), Max Jacoby transporte cet imaginaire au Grand-Duché. L’humanité a disparu sans qu’on ne sache ni pourquoi ni comment. Seuls trois jeunes gens semblent avoir survécu. A la fin du film, ils se rendent dans la capitale abandonnée et recouverte par la végétation.
Après l’apocalypse – dans l’espace
Il se pourrait qu’un jour, nous n’ayons peut-être plus d’autre solution que d’abandonner la Terre. On pourra alors essayer de coloniser de nouvelles planètes pour les rendre vivables. C’est ce qu’on appelle la « terraformation ». Dans sa Trilogie de Mars (1992-1996), l’écrivain américain Kim Stanley Robinson décrit comment la planète rouge pourrait être transformée en planète bleue. Le milliardaire Elon Musk compte s’en inspirer et voit dans Mars la première étape d’une humanité qu’il imagine « multiplanétaire ».
Le cinéma s’est assez peu intéressé à la terraformation, qui prend en principe des centaines d’années. A moins bien sûr de trouver un moyen plus rapide d’y arriver. Dans Star Trek : The Wrath of Khan (Nicholas Meyer, 1982), un procédé appelé le « Genesis device » permet de transformer quasi instantanément une planète désertique en monde accueillant.
A défaut d’inventer ce genre de gadget, il existe un plan B : l’humanité se réfugie à bord d’énormes vaisseaux spatiaux. Un autre milliardaire, Jeff Bezos, a conçu le projet appelé « Blue Origin » qui doit nous permettre de vivre à l’avenir dans des stations spatiales, un peu comme dans le film Wall-E. Il imagine des colonies qui flottent dans l’espace et dans lesquelles on reconstruirait notre environnement naturel. Dans le marketing de Bezos, cette nature paraît très idyllique, mais totalement artificielle – toujours à l’instar des images dans Soylent Green. On nous montre certes des métropoles modernes, mais aussi de jolies fermettes censées nous rappeler un passé idéalisé. Des images qui semblent tout droit sorties du film Interstellar (Christopher Nolan, 2014), dans lequel l’humanité doit quitter la Terre suite à une catastrophe climatique. Des astronautes sont censés trouver une planète de remplacement, mais cela s’avère un peu compliqué et l’humanité survit en fin de compte dans une de ces colonies spatiales qu’aimerait nous vendre Jeff Bezos.
Dans Silent Running, le réalisateur Douglas Trumbell imaginait en 1972 un autre scénario : la nature ne peut plus survivre sur la Terre, mais les humains se sont finalement accommodés d’un environnement entièrement artificiel. Ils ont envoyé la nature dans l’espace comme une sorte d’arche de Noé.
L’un des scientifiques veillant sur la nature dans cette arche est Freeman Lowell. Mais comme sur la Terre, on finit par trouver que tout cela coûte très cher pour pas grand-chose, Lowell reçoit l’ordre de détruire la nature et de retourner sur Terre. Pour la sauver, Lowell sacrifie ses collègues et finalement lui-même. Il fait exploser le vaisseau et catapulte littéralement la nature dans l’espace, comme une bouteille à la mer. Et à bord de cette capsule, il ne reste pour veiller sur la nature qu’un petit robot, lointain cousin de Wall-E.
Natures extraterrestres
En 1961, l’auteur polonais Stanislaw Lem publie un roman intitulé Solaris, dans lequel il imagine une planète recouverte d’un océan vivant, une forme d’intelligence extraterrestre incompréhensible pour les humains. Après l’arrivée d’astronautes, l’océan semble chercher à communiquer avec eux et pour cela, il pénètre dans leur cerveau et en fait ressurgir leurs proches décédés.
En 1972, le Russe Andrei Tarkovski adapte le roman et en tire une métaphore sur la culpabilité et l’expiation. Il ajoute aussi un prologue sur la Terre, où l’on voit le personnage principal faire ses adieux à la nature. Dans une petite boîte en métal, il va emporter un peu de nature terrestre dans l’espace. Arrivé dans le vaisseau spatial où sont censés l’attendre les astronautes arrivés avant lui, il découvre un univers hanté par des fantômes, dont celui de sa femme qui s’est suicidée, et cet océan, entité vivante, totalement étrangère, autre, incompréhensible. Face à ce mystère, entouré des morts, ce qui relie le personnage à son passé et à la Terre, c’est sa plante dans sa petite boîte métallique.
Quelques années après le roman de Stanislaw Lem paraît celui de Frank Herbert, Dune (1965), aujourd’hui considéré comme un précurseur de la science-fiction écologique. Herbert imagine Arrakis, une planète presque sans eau, où ne survivent que de gigantesques vers. L’écologiste impérial Liet Kynes veut terraformer Arrakis pour en faire une planète bleue. Dans le film éponyme de David Lynch (1984), le thème de la terraformation passe toutefois à l’arrière-plan, tout comme dans le premier épisode de l’adaptation récente de Denis Villeneuve (2021).
Dans Avatar (2009), James Cameron invente un écosystème complexe, tout en donnant de la nature une image très sentimentale et assez kitsch. Les humains veulent coloniser et exploiter les richesses minières d’une planète nommée Pandora. On apprendra qu’ils viennent d’une Terre dévastée d’où toute nature a disparu et ils s’apprêtent maintenant à détruire manu militari celle de Pandora. L’un de ces colonisateurs est le vétéran Jake, cloué dans un fauteuil roulant, mais qui peut à nouveau se mouvoir librement grâce à son avatar.
Pandora est habitée par les Na’vi, des humanoïdes bleus qui rappellent les peuples autochtones des Amériques vivant en totale harmonie avec la nature. C’est une image très idéalisée de ces peuples, ce que Shepard Krech a appelé « The ecological Indian5 », une variation du « bon sauvage » qui ne tient pas compte de la relation réelle forcément plus nuancée et plus complexe des Amérindiens avec la nature.
Les Na’vi vivent au sein d’une nature très riche, sous un énorme arbre de la vie – appelé ici « hometree » – qui leur donne aussi leur force spirituelle. Dans cette nature, tout est lié, la frontière entre faune et flore est mouvante. Guidés par une femme shaman, les Na’vi sont reliés entre eux, à la nature et à leurs ancêtres.
Le moment le plus traumatisant dans le film survient lorsque les colonisateurs abattent le « hometree », l’arbre des ancêtres, l’arbre de la vie. Il tombe au ralenti sur une musique aux accents religieux. Les images de désolation qui suivent son écroulement font directement référence au 11 Septembre et aux ruines du ground zero. Mais tout se termine bien, les colonisateurs sont renvoyés sur la Terre et Jake choisit de rester avec les Na’vi. Alors que le film se veut aussi une critique de la colonisation, il a été beaucoup éreinté pour avoir fait de Jake un « sauveur blanc », le messie d’Eywa qui n’est autre que la version pandorienne de Gaïa. Avatar peut en effet être analysé comme l’illustration parfaite de l’hypothèse Gaïa : une planète formant un système dynamique qui se régule lui-même (avec l’aide de Jake) pour rester toujours en harmonie et préserver la vie. Dans la réalité, tout n’est malheureusement pas aussi simple que dans un film hollywoodien !
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